La grève des fonctionnaires embarrasse le pouvoir

Bien qu'il y ait eu, jusqu'ici, des grèves souvent retentissantes en Algérie, depuis l'avènement de Bouteflika c'est bien pourtant la première fois que les enseignants ont réussi le tour de force de réunir le quorum requis pour protester de la même voix contre leurs conditions sociales qui ont toujours été décriées.

Plus de 70 % du personnel concerné à l'échelle nationale se sont rangés, aujourd'hui, derrière leur syndicat autonome, le Cnapest, pour interrompre le travail, à la fois en faisant fi de la mise en garde de leur tutelle et en déjouant la tentative de l'UGTA de leur faire barrage.

Aussi, cette action de revendication s'est-elle voulue, déjà, un désaveu fortement significatif adressé à ce dernier, le syndicat croupion qui n'a de cesse d'oeuvrer pour les intérêts du régime au détriment de ceux des travailleurs. Elle constitue aussi un avertissement envoyé au pouvoir en lui assenant la preuve que le personnel enseignant a pris désormais ses destinées en mains, en s'unissant, malgré les successives manoeuvres d'intimidation, derrière son syndicat autonome pour faire avancer la lutte pour la défense de ses intérêts.

"Nous revendiquons ni plus ni moins que nos droits. Nous ne demandons pas l'aumône. Nous voulons vivre dignement avec un salaire décent. Il est malheureux de voir un enseignant, qui a sacrifié toute sa vie pour former des générations, faire la manche", s'est écriée, au nom de ses camarades, une enseignante gréviste au micro du journal El-Watan.

Ce corps très important de fonctionnaires se considère en effet bien floué par la nouvelle grille de salaires concoctée avec la bénédiction de l'UGTA, déçu par tant d'injustice qui a toujours caractérisé son statut, sa rémunération, ses avantages sociaux, sa carrière. Il appelle à ce que pareille situation négative cesse au plus tôt. Par les problèmes personnels qu'elle génère inévitablement sur le moral des enseignants, celle-ci nuit d'ailleurs indirectement à la qualité des prestations attendues d'eux et par conséquent au sort des élèves eux-mêmes.

On s'attend, enfin, à une autre journée de protestation initiée par le reste des fonctionnaires de l'Etat, qui entendent, comme leurs camarades enseignants, faire entendre raison au pouvoir resté insensible aux préoccupations qui, tout particulièrement à propos des conditions de vie, sont les leurs mais aussi celles de l'ensemble de leurs concitoyens.

Selon Meriane Meziane, porte-parole de la coordination des syndicats autonomes, le débrayage au niveau de l'Education nationale s'est déroulé avec un grand succès, puisqu'il accuse un taux de 90 % au moins à l'échelle nationale. Certes, dans le secondaire il a été moindre, selon lui, en se situant entre 70 et 80 %, à cause des retards pris au niveau de la préparation des examens, ce qui a empêché les professeurs concernés de s'associer au mouvement.

Parallèlement, au plan de la Santé publique, la grève a paralysé un grand nombre de structures.

Cette démonstration de force réussira-t-elle à ébranler les pouvoirs publics, responsables de la nouvelle grille de salaires des fonctionnaires qui est loin de répondre aux attentes, à un moment particulièrement marqué par des hausses inopinées et abusives des produits alimentaires de base, des transports, etc. ?

Derrière la fronde des enseignants, se profile la colère des lycéens des classes terminales qui va se traduire, dès samedi, par une marche de protestation à travers la capitale.

Ces élèves s'estiment, non sans raison, trop surchargés cette année, cause de leur retard considérable et général dans le suivi du nouveau programme imposé par l'administration. Par-delà une révision en profondeur de ce dernier qui s'impose à eux, une nouvelle matière a été surajoutée à la masse déjà énorme et pénible de cours que les prochains candidats bacheliers doivent assimiler dans un délai relativement court, compte tenu des congés, d'un côté, et de l'approche des examens, de l'autre. Du coup, les malheureux lycéens ne disposent de temps ni pour étudier et réviser leurs cours ni pour souffler, en fin de journée, pour se remettre au travail le lendemain.

Il faut enfin croire que les responsables, au ministère de l'Education, qui ont à charge d'analyser et d'évaluer les conditions d'applicabilité de leur réforme, sont totalement inconscients des résultats pouvant naître de leur bévue, à cause de laquelle l'avenir de dizaines de milliers d'élèves risque fort d'être compromis.

Peut-être faudra-t-il que les parents eux-mêmes se décident à sortir dans les rues pour soutenir leur progéniture dans leurs revendications ! C'est apparemment l'issue la mieux indiquée pour ramener l'administration concernée à plus de discernement.

Des milliers de lycéens de la ville d'Alger ont occupé aujourd'hui la rue pour protester contre les programmes scolaires, mis en place depuis septembre dernier dans le cadre de la nouvelle réforme, qu'ils estiment trop lourds à assimiler dans un espace de temps aussi court que celui qui sépare les candidats bacheliers de leurs examens prévus à la mi juin.

Malgré les barrages de police nombreux placés sur leur passage pour les empêcher de se rendre auprès du ministère de l'Education nationale afin de faire entendre leurs revendications, ils ont réussi à se frayer un chemin qui les a conduits à leur point de destination où ils ont pu clamer haut et fort leur indignation devant les déclarations irresponsables du ministre qui n'a trouvé comme seule réponse, reprise ce soir dans le journal télévisé : "Nous déciderons du choix des sujets à poser aux examens à la lumière des limites atteintes dans l'exécution du programme en vigueur et que nous entendons maintenir en place dès cette année." Autrement dit, il ne faut rien espérer de notable comme changement, même si, et c'est de la seule faute du ministère, l'entrée en vigueur de la nouvelle réforme n'a pas même été préparée dans les classes de première et deuxième années secondaires, et encore moins testée préalablement, ne fût-ce que que dans un seul lycée, avant d'en généraliser la mise en application.

Quant à évaluer, à des dates fixes, l'avancement moyen de l'exécution d'un tel programme, avant de déterminer le contour des examens qu'affronteront les candidats au prochain baccalauréat, c'est pousser exagérément les professeurs à aller aussi loin que possible dans le parcours dudit programme. Malheureusement, se confond toujours à ce type de démarche peu constructive un travail fait à la diable que les candidats, seuls, paieront nécessairement par un redoublement bien souvent injuste de leur année scolaire.

Ne pas répondre, enfin, aux revendications ô combien censées et fondées de ces élèves, qui ont du reste de bonnes raisons de se soucier de leur avenir, c'est, encore une fois de trop, faire un pied-de-nez aux attentes légitimes de la société. Quelqu'un n'a-t-il pas dit juste en faisant observer que le peuple est autrement plus intelligent que ses propres dirigeants politiques ?

Les lycéens, un peu partout dans le pays, poursuivent ça et là leur grève pour protester contre le surcroît de travail dont les classes terminales sont affectées depuis la mise en place de la nouvelle réforme.

Le ministre de l'Education nationale semble lui-même très loin de saisir la réalité de leurs préoccupations. Tant pis pour les malheureux adolescents qui devront affronter le bac dans un peu plus de quatre mois, eux qui n'ont pas même réussi à terminer le programme du premier trimestre ! a-t-il semblé narquoisement leur répondre, dans un message télévisé en arabe classique où il a lui-même frisé le ridicule en commettant une faute de grammaire inacceptable pour la fonction qu'il assume.

C'est pourtant expressément sous son accord qu'une matière sans intérêt scientifique, l'apprentissage de centaines de sourates complètes, a été surajouté à un programme scolaire déjà extrêmement chargé.

Ne sommes-nous pas véritablement fêlés, nous tous qui mettons notre progéniture entre les mains d'irresponsables de cette espèce qui n'ont d'autre souci que de l'astreindre à se soumettre à leur seule volonté ?

Au bout de deux semaines de manifestations et de grèves, les potaches ont fini par avoir raison de leur ministère de tutelle. Ce dernier, après maintes tergiversations, s'est enfin décidé à reconnaître le bien-fondé de leurs revendications. Il a décidé, à l'issue d'un entretien avec leurs délégués, non pas d'un allègement des programmes comme l'avaient revendiqué les grévistes, mais d'un compromis qui semble satisfaire ces derniers. Les candidats au baccalauréat auront connaissance, dès la fin mai prochain, des limites de programmes qui auront été retenues pour constituer la source des sujets d'examens qu'ils devront affronter à la mi-juin. Ainsi, les chances seront égales pour tous, quelles qu'auront été les avancées des unes ou des autres classes dans la poursuite des cours.

Pareille issue paraît être satisfaisante pour les délégués qui s'en félicitent. Du coup, ont-ils d'ores et déjà lancé un ordre de reprise des cours.

Les parents d'élèves réunis en associations auront aussi, de leur côté, l'occasion d'engager un dialogue avec les responsables concernés du ministère de l'Education nationale. Ils comptent défendre les intérêts de leurs enfants en demandant notamment l'organisation d'une seconde session d'examen pour donner une seconde chance aux recalés prochains, d'un côté, et, de l'autre, la possibilité de rachat pour les candidats des classes spéciales qui éprouvent, plus que leurs camarades des autres classes, beaucoup de mal à suivre le programme exceptionnellement chargé mis en vigueur cette année à leur intention.

Les prochains jours nous renseigneront sans doute sur le sort final que comptent donner les grévistes à cet accord obtenu quasiment à l'arraché.

Un nouveau débrayage, durant trois jours consécutifs du 24 au 26 février, est programmé par la Coordination nationale des syndicats autonomes de la Fonction publique. Les préavis de grève sont déjà déposés auprès des tutelles respectives dès samedi dernier, indiquent les journaux d'hier.

"La paix sociale se gagne avec la prise en charge des fonctionnaires et non pas avec avec un pacte social conclu en catimini ou avec la matraque", a déclaré Meziane Meriane, coordinateur national du Syndicat autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique. Ce représentant syndical fustige encore : "Une grille de salaires censée consacrer le savoir et la compétence, qui n'est en réalité qu'une supercherie", avant de s'en prendre à l'UGTA, le syndicat croupion qu'il accuse de vouloir récupérer les effets des débrayages des semaines dernières.

Quant aux pouvoirs publics qui déclarent qu'il suffit de déployer l'arsenal juridique pour avoir raison des grévistes, Meriane se dit convaincu que les travailleurs sont dans leur bon droit de protester contre les atteintes à leurs intérêts et surtout à leur pouvoir d'achat.

Une nouvelle grève des fonctionnaires est annoncée à l'échelle nationale pour les 13, 14 et 15 avril. Elle relance donc les pouvoirs publics à propos des revendications exprimées déjà par les syndicats autonomes et restées jusqu'ici sans suite, en dépit des débrayages récemment opérés dans tous les secteurs de l'Etat.

Les syndicats demandent une augmentation satisfaisante des salaires ainsi que la revalorisation du point indiciaire et son indexation sur un pouvoir d'achat réel. En sus, ils veulent prendre part entière aux négociations ayant pour objet l'élaboration des statuts particuliers sectoriels et la définition des régimes indemnitaires. D'un autre côté, ils demandent l'intégration des enseignants contractuels et la titularisation des vacataires en créant au besoin de nouveaux postes budgétaires. Enfin, ils tiennent à ce que les pensions de retraite s'accordent désormais avec un pouvoir d'achat décent.

Ils souhaitent enfin, à travers cette action extrême de protestation, que les pouvoirs publics se résolvent à ouvrir les portes de la négociation, sans quoi ils se disent prêts à renouveler leurs débrayages et de recourir, le cas échéant, au boycott des examens de fin d'année scolaire.

Ouyahia, l'ex chef du gouvernement et secrétaire général du RND, mouvement dit de l'Alliance présidentielle, s'insurge contre cette grève, en considérant que "c'est tout le peuple algérien qui est (ainsi) pris en otage".

Pour lui, la nouvelle grille des salaires, mise en application à compter de ce mois, constitue une bouffée d'oxygène pour plus d'un million de familles, qui n'est pas donnée à d'autres franges de la société algérienne, beaucoup plus nombreuses et surtout souvent placées dans une situation de grande précarité, avec le chômage et la cherté de la vie.

Ouyahia considère que la paix sociale ne s'obtient non par des augmentations de salaires déraisonnables mais par le développement de l'investissement dans le domaine économique : "Si on ne peut qu'applaudir l'Etat d'avoir consenti plus de 150 milliards de dollars d'investissements publics, on ne peut, par contre, que regretter le frein mis à l'investissement économique des entrepreneurs à cause, entre autres, des charges sociales, des difficultés d'accès aux crédits bancaires, du problème foncier, etc."

Ouyahia, la tête à claques du pouvoir, n'en dira pas davantage pour ne pas gêner son successeur, Belkhadem. Mieux, il tentera de glorifier l'action de ce dernier, en tentant de l'associer au projet de construction d'un million de logements qu'il avait lui-même lancé, du temps où il se trouvait en fonction. "On a déjà 430 000 logements et 540 000 autres sont en cours", a-t-il claironné devant les militants de son mouvement réunis en commission de nationale de préparation du prochain congrès.

Ce que n'a pas pris soin de préciser l'orateur, est que ces 430 000 logements distribués relèvent en fait d'un vieux projet initié bien avant 1999, autrement dit à la veille de l'arrivée de Bouteflika, et qu'ils comprennent aussi, sauf erreur, les logements construits par les particuliers eux-mêmes, sur leurs fonds propres et pour leurs seuls besoins. Quant aux 540 000 autres, soi-disant en cours, les Algériens devront sans doute attendre encore une nouvelle décennie avant d'en connaître la distribution réelle, d'autant qu'aujourd'hui le pays affronte une crise exceptionnellement dissuasive dans le domaine des travaux publics, caractérisée par un renchérissement exceptionnel et inédit de ses principales matières premières.