Le 3è mandat de Bouteflika - mythe ou réalité

Désormais, la scène politique algérienne, à près d'un an et demi des prochaines élections présidentielles, sera essentiellement marquée par la perspective de la réforme constitutionnelle, qui se dessinait depuis quelques mois déjà à l'effet de permettre à Bouteflika de briguer un 3è et peut-être même un quatrième mandats, la règle en pays islamique étant de ne jamais abandonner le pouvoir dès qu'on le tient entre les mains.

Jusqu'à plus ample informé, dans aucun régime musulman notamment arabe, jamais président désigné ou soi-disant élu n'a quitté vivant ses fonctions de son propre chef. Il n'est pas seulement devenu commun de manipuler à volonté la Constitution, pour s'assurer le maintien au pouvoir, mais l'on a même innové dans la manière de conserver ce dernier en le transmettant tout simplement à sa progéniture, comme la règle l'admet couramment dans les régimes monarchiques. Assad a bien donné le premier exemple ; il sera incessamment suivi par Mubarak, Kadhafi ou Benali. Dans un terme encore mal défini, il est aussi probable qu'à son tour Bouteflika parvienne à combiner avec ses sbires quelque subterfuge permettant à l'un de ses frères d'assurer sa succession.

Pour l'heure, en tout cas, l'Algérie de Larbi Benmehidi, de Didouche Mourad, d'Abane Ramdane en est là à se chercher, sans la moindre chance de la trouver, quelque raison potentiellement acceptable pour valoir à son peuple d'être livré depuis l'indépendance à une espèce de dictateurs et d'arrivistes hors du commun que rien d'autre n'intéresse excepté de tout mettre en oeuvre pour mieux le pressurer et l'enfoncer chaque jour un peu plus dans la misère qui a toujours été la sienne.

Le plus curieux est, enfin, le silence régulier qu'entretient sciemment et à volonté le reste des hommes politiques de premier plan, rescapés de la guerre de libération, bien qu'atteints progressivement, il est vrai, par la sénilité, pour laisser totalement libres de leurs mouvements les détenteurs successifs du pouvoir ou simplement les divers prétendants au "trône".

Complètement inattendue, la réaction de Farouk Ksentini, suite à l'annonce de cette réforme constitutionnelle, a de quoi surprendre.

Ce responsable de l'Observatoire des droits de l'homme, qui a pourtant toujours soutenu vaille que vaille le président Bouteflika depuis sa première désignation à la tête de l'Etat, estime, dans une déclaration au journal arabophone El Khabar que "La situation sociale des Algériens s'est tellement dégradée ces dernières années, qu'il y a tout lieu de craindre une explosion sociale imminente".

Ksentini ne s'est pas contenté simplement de le dire crûment à ce journal, il annonce qu'il l'écrit même dans un rapport à remettre à Bouteflika, dès samedi ou dimanche. Il précise, sans toutefois citer les hommes ou les institutions responsables de ce désordre : "Je mets en garde contre de graves répercussions sur la situation générale du pays et j'appelle à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l'aggravation de la crise."

C'est bien là une curieuse manière de prétendre se dédouaner vis-à-vis de l'opinion quand, comme homme lige, on a assuré des années durant la défense de son protecteur, de celui à qui l'on doit vraiment tout. Quid de Ksentini avant 1999 ? Quasiment un simple homme du commun tiré de l'ombre par la grâce de son soutien retentissant au soi-disant "messie"...

Ksentini et bien d'autres égarés de son espèce devraient plutôt méditer leur grosse, leur irréparable bévue et demander surtout pardon au peuple pour lui avoir fait prendre des vessies pour des lanternes !

Abdelhamid Mehri, l'ancien premier responsable du FLN, devenu le tristement célèbre meneur de la bande de St Egideo, vient de rendre publique une curieuse lettre dans laquelle, tout en essayant de justifier l'appel qu'il a signé avec Aït-Ahmed et Hamrouche en septembre dernier, il souhaite que l'Algérie change de système de gouvernement.

Pour lui, grosso modo, le problème du pays n'est pas si dépendant des capacités ou des compétences propres à l'homme désigné à sa tête. Il faut plutôt le rattacher, dit-il, au manque "de débat sérieux portant sur l'évaluation du système de pouvoir établi depuis l'indépendance". Parce qu'un tel débat n'a point existé jusqu'ici, on n'aura donc jamais pu "identifier les causes réelles de l'impuissance, des erreurs, du marasme, des déviations et des dépassements subis par notre pays."

C'est ici une bien niaise perception de la conduite ou de la gestion des affaires publiques, peut-on faire observer à ce personnage toujours surprenant. Ancien ministre du GPRA, ministre de l'information dans le gouvernement du sanguinaire Boumediene, responsable au sommet du FLN à l'époque de l'"érudit" Chadli, fossoyeur de la République au tout début de "l'ouverture démocratique" de 1989, puis à l'occasion du contrat de Rome lequel se proposait rien moins que de faire remettre le pouvoir central entre les mains des criminels du FIS, Mehri se permet aujourd'hui de donner des leçons au peuple algérien.

Si tant est que ce personnage ambitionnait de donner quelque sens concret à son discours, que n'a-t-il réagi, déjà en 1962, pour stopper la fringale de pouvoir qui animait alors la banque d'Oujda ? Que n'a-t-il réagi en 1965, lors du coup de force de Boumédiene pour l'inviter à tout le moins s'expliquer sur un acte d'une si grande gravité, au lieu de lui apporter son allégeance quelques années plus tard en devenant l'un de ses ministres de l'information ? Que n'a-t-il réagi contre les dérives de Chadli, avec qui il avait d'ailleurs tissé des alliances familiales, quand à la tête du FLN il disposait sans conteste d'une force suffisamment capable d'imposer un rappel à l'ordre ? Et, aujourd'hui, en prenant mille précautions de langage pour ne pas gêner son "frère Bouteflika" auquel il ne semble pourtant pas accorder de faveur pour accéder à un troisième mandat, il tente de faire passer un message bien tardif, celui de repenser toute la question des institutions dans leur globalité.

Toutefois, pour un premier pas exceptionnel engagé dans le bon sens, accordons-lui quand même quelques circonstances atténuantes, en lui rappelant néanmoins deux ou trois aphorismes parfaitement de circonstance qu'il lui faut méditer :
* Les Arabes ont toujours privilégié l'homme sur les institutions. Un tel constat suffisamment vérifié semble avoir échappé à Mehri. Zerhouni ne serait pas tombé dans le piège, lui qui a déclaré benoitement : "Mais la loi, ça se change !"
* On ne juge jamais un homme qui gagne, même, pouvons-nous ajouter, quand il a fait des erreurs. Et, jusqu'à preuve du contraire, aucun président algérien n'a jusqu'ici été réduit à cette extrémité.
* Les peuples ont toujours les chefs qu'ils méritent. Parce que les Algériens ont montré tant de lâcheté, d'abord pendant la guerre de libération à laquelle ils n'avaient pas si grandement contribué, contrairement au discours propagé, puis à l'indépendance, quand des dictateurs sortis de nulle part sont venus, l'un après l'autre, leur ravir à jamais le pouvoir, ils ne peuvent prétendre à être gouvernés autrement que par des fats et des goujats.

Les échanges à fleurets mouchetés entre, d'un côté, le chef du gouvernement, son ministre des Affaires étrangères et, de l'autre, les ambassadeurs des Etats-Unis et du Royaume Uni à Alger ont abouti à ceci de positif qu'ils forcent le pouvoir à dévoiler, peut-être prématurément et contre son gré, son dessein à propos de la révision constitutionnelle qui reste nécessaire pour frayer le passage à Boutef en vue d'un troisième, voire d'un quatrième et peut-être même d'un cinquième mandats.

Le site si bien informé Tout sur l'Algérie nous révèle là-dessus une certaine entente qui se serait dégagée au sommet dit de l'Alliance présidentielle, composée des partis FLN, RND et HAMAS, à l'effet de se partager le pouvoir. Plus précisément, ce triumvirat convient désormais de la création d'un poste de vice-président que pourront convoiter deux d'entre les serviteurs les plus zélés : l'actuel Premier ministre Belkhadem et son prédécesseur Ouyahia, à charge, ensuite, pour Bouteflika de retenir l'homme de son choix.

Dans cette perspective, ajoute Tout sur l'Algérie, "la révision constitutionnelle devrait être annoncée en juillet prochain", et un référendum populaire organisé à l'automne si la question n'est pas tranchée par un vote au niveau parlementaire.

Pareille hypothèse reste digne d'intérêt, en effet, quand on essaie d'expliquer les positions respectives de l'un et de l'autre canditats potentiels à la succession, ainsi que leur acharnement à pousser à la roue vers un 3è mandat.

Il manque, toutefois, à un tel montage, l'avis des véritables décideurs, autrement dit les généraux de l'ombre qui font et défont à leur guise les présidents algériens. Ceux-là, à moins d'être solidement bridés par une distribution de prébendes à hauteur de leurs appétits respectifs, peuvent, seuls, changer toute la donne. Les prochaines semaines, sinon les prochains mois nous apporteront sans doute plus de lumière.