Le Figaro.fr - 3.04.2014
par Christian Combaz(*)
La nomination de Manuel Valls au poste de Premier ministre ne doit certes rien à la qualité de son expression comme vient d'en témoigner, une fois de plus, son intervention sur le plateau de TF1 le soir de la formation de son gouvernement.
De toute façon, la qualité du français parlé par François Hollande aurait rendu toute exigence en ce domaine impossible puisque notre Président a parlé récemment des massacres qui se « perpétuent » en ce moment même en Centrafrique et qu'il a présenté Nelson Mandela comme « un combattant infatigable de l'apartheid » . (Lorsque vous dites « combattants de la liberté » vous désignez donc, selon l'Élysée, les partisans de la dictature). Autres phrases glanées lors de la conférence de presse présidentielle: « Nous avons créé un fonds pour leur venir en soutien à ces entreprises ».
« S ‘il n'y a pas accélération, il n'y aura pas l'opportunité qui sera saisie ». Le florilège est tellement inquiétant qu'on rentre les épaules à chaque fois qu'un membre du gouvernement ouvre la bouche .
« S ‘il n'y a pas accélération, il n'y aura pas l'opportunité qui sera saisie ».
Manuel Valls, formé par les Fédérations socialistes et par des compagnons d'armes aussi experts en maniement du langage que Martine Aubry ou Laurent Fabius, ne pouvait se hisser au niveau requis qu'au prix d'efforts surhumains que nul ne songera, vu son parcours, à exiger de lui. D'une part il a bien trop à faire, et de l'autre le français n'est pas son truc, c'est tout. Mais comme son discours d'investiture approche, donnons-lui quelques conseils de dernière minute, même s'il n'est pas homme à les accueillir de bonne grâce.
D'abord suggérons-lui d'éviter l'artifice commun à la plupart des candidats aux examens oraux, qui consiste à caser le plus grand nombre de notions et de faits dans la même phrase. Justice sociale, inégalité, pauvreté, message de colère, la mention de tout cela semblait nécessaire, mais pas au prix d'une juxtaposition liminaire hâtive, mécanique, entrecoupée de heu-heu qui trahissent la crainte d'oublier quelque chose, et certes il n'oublie jamais rien, sauf l'essentiel: le naturel, la grâce, l'art de la pause, l'articulation du discours, la souplesse dans la gestuelle, le charme en somme. «
République » revient tellement souvent dans la bouche du Premier ministre qu'on a l'impression qu'il est atteint du syndrome de Gilles de la Tourette
D'une manière générale, s'il est permis de donner au Premier ministre un conseil essentiel, invitons-le à se méfier de la raideur de ses automatismes, surtout dans la redondance. « République » revient tellement souvent dans sa bouche qu'on a l'impression qu'il est atteint du syndrome de Gilles de la Tourette depuis le jour où il a ouvert son premier manuel de Droit constitutionnel. Il lui arrive de bugger dès qu'il profère des mots-clés du genre "valeurs", "diversité", "priorité". Son logiciel interne vide sa mémoire-cache de manière inopinée: apprentissage, École de la république, Jules Ferry et Clemenceau, tout ressort dans le désordre, d'où l'impression qu'il ne sait plus par quoi enchaîner.
Dire que « par rapport à l'emploi il y a trop de chômage et par rapport au pouvoir d'achat il y a trop de vie chère » ou « la situation que nous avons trouvée en 2012 était en très grande difficulté pour la France », c'est quand même le degré zéro du discours politique - voire du discours tout court. Henri Krasucki lui-même faisait mieux, personnage qu'il imite toutefois lorsqu'il répète à l'envi « dans ce pays », expression favorite des communistes sous François Mitterrand.
« Nous devons dire que les salariés sont indispensables pour créer de la richesse et c'est ça que nous allons mettre en œuvre ». Voilà aussi, il me semble, un raccourci obscur dont il devrait se garder dans son discours de politique générale lors du vote au Parlement, parce que les publications officielles sont impitoyables à l'égard de ce relâchement systématique.
Jamais sans doute le français parlé par nos élus n'a été moins châtié, moins nuancé, moins élégant. Il n'est pas interdit d'y voir une conséquence des préceptes que la Gauche inflige à l'Éducation nationale depuis quarante ans afin qu'elle cesse de faire son métier. De sorte que, s'il reste quelque chose, dans un siècle, du discours d'investiture de Manuel Valls, il est à craindre que ce ne soit le témoignage de la pauvreté du français officiel au début du millénaire.
Enfin quand le Premier ministre conclut son entretien par : « La France est une grande nation ne l'oublions pas », on est gêné qu'il nous récite cela comme une leçon mais quand on y réfléchit, c'est vrai de tout le reste.
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(*) Christian Combaz est écrivain et essayiste. Son dernier livre, «Gens de Campagnol», est paru en 2012 chez Flammarion.
(http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/04/03/31001-20140403ARTFIG00147-parlez-vous-le-manuel-valls-les-tics-de-langage-du-premier-ministre-decryptes.php)