Visite d'affaires de Sarkozy à Alger

Un mot pourtant bien pesé résume l'essentiel du discours de Sarkozy, au premier jour de sa visite d'Etat en Algérie. Selon lui : "Le système colonial a été profondément injuste". Un tel constat n'a réussi pourtant qu'à satisfaire partiellement ses auditeurs, tout en créant un véritable sujet de polémique en France. Autant, en vérité, les Algériens qui en attendaient plus doivent-ils se satisfaire d'une espèce de demi-reconnaissance du mal qu'ils ont enduré à cause du colonialisme, autant les pieds-noirs, toujours enfiévrés dans la culture de leurs rêves chimériques de l'Algérie de papa, n'en reviennent pas d'entendre leur président rappeler une réalité par trop gênante et regretter surtout que des "crimes terribles ont été commis des deux côtés". Aussi, nombre de ces illuminés de l'Algérie française éprouvent-ils d'ores et déjà leur plus grosse déception d'avoir contribué à l'élection de Sarkozy.

Si le ministre algérien de l'Intérieur, Zerhouni, de son côté, estime insuffisants les propos de l'hôte officiel de l'Algérie, d'autres de ses camarades doivent en catimini applaudir cette sortie de Sarkozy comme résultat direct des propos tenus par Mohamed-Chérif Abbas, ministre des Moudjahidines il y a une semaine.

Connaissant en effet la fermeture du président français devant tout projet de repentance ou d'excuses à formuler vis-à-vis de l'ancienne colonie française, sa déclaration d'hier, à Alger, ne peut avoir d'autre explication qu'à travers l'attaque frontale menée contre lui-même par Abbas, à l'initiative très probablement de ses pairs.

Pour les masses algériennes, enfin, qui savent l'objet plutôt mercantile de la visite du président français, elles ne se font guère d'illusions sur les positions tranchées et extrémistes qui sont les siennes dans l'approche notamment des problèmes de l'immigration. Aussi, leur accueil glacial, dans la rue, a-t-il été suffisamment révélateur de leur manque de sympathie pour leur illustre visiteur.

C'est donc cet après-midi, à Constantine, que s'est achevée la visite de Sarkozy en Algérie.

Aujourd'hui encore, il est revenu sur le colonialisme, devant les étudiants de l'université de Constantine, pour réaffirmer : "Le système colonial était injuste par nature et il ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d'asservissement et d'exploitation".

Ne se limitant pas au rappel des souffrances endurées par le peuple algérien, durant la guerre de libération, le président français a également évoqué le sort douloureux des pieds-noirs, au terme de la colonisation : "Je n'oublie ni ceux qui sont tombés les armes à la main pour que le peuple algérien soit de nouveau un peuple libre, ni les victimes d'une répression aveugle et brutale, ni ceux qui ont été tués dans les attentats... ni ceux qui ont dû tout abandonner". Il a même tenté d'atténuer l'image de ces derniers, en précisant : "Beaucoup de ceux qui étaient venus s'installer en Algérie étaient de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l'intention d'asservir ni d'exploiter personne".

Enfin, à aucun moment il n'a prêté le flanc aux interpellations de la foule réclamant des excuses pour les crimes imputés au colonialisme. Usant à fond du don de l'esquive qui lui est cher, il a répété à l'envi : "Je ne suis pas venu nier le passé, mais je suis venu vous dire que le futur est le plus important", avant d'ajouter : "Les fautes et les crimes furent impardonnables. Mais c'est sur notre capacité à conjurer l'intolérance, le fanatisme et le racisme qui préparent les crimes et les guerres de demain que nos enfants nous jugeront". Et de reprendre son idée de "bâtir l'Union méditerranéenne sur l'amitié franco-algérienne", en citant le modèle réussi franco-allemand.

Pour Mohamed Harbi, historien et ancien haut responsable de la Fédération de France du FLN durant la guerre de libération, interrogé par le Quotidien d'Oran, Sarkozy semble avoir renoncé à ses anciennes positions vis-à-vis de la question coloniale, mais il reste peu conséquent avec lui-même.

D'un autre côté, il estime que "l'Etat français est tenu de ne plus cautionner des opérations qui, à l'image du "Mur des disparus de Perpignan" vont dans le sens de la loi du 23 février 2005".

S'agissant du peuple juif ayant vécu en Algérie, Mohamed Harbi reconnaît que "L'Etat pré-colonial a donné aux juifs d'Algérie le statut de dhimmis. L'Algérie a des torts à leur égard pour cette période. Après 1830, l'Etat colonial les a associés à son entreprise comme il a associé des notables musulmans. A la seule différence que ces derniers sont restés des colonisés. Mais nous ne devons jamais oublier que beaucoup de nos compatriotes de confession juive n'ont pas épousé la logique coloniale. Je cite, entre autres, Henri Alleg, Claude Sixou et Daniel Timsit. Nous ne devons jamais céder au racisme anti-juif et les blesser".

J'ajouterai, pour ma part, un autre personnage illustre, Pierre Vidal-Naquet, qui s'est notoirement distingué dans la lutte anti-coloniale aux heures les plus chaudes de la guerre de libération. Comme universitaire parisien, il avait bravé des centaines de ses propres collègues qui étaient gagnés à l'autre thèse, celle de l'Algérie française. Et le plus regrettable est encore que l'Algérie indépendante a tendance à trop oublier les mérites de ces vrais combattants de la liberté.