Le Point.fr - 13/04/2012
source : AFP
Le président Raimundo Pereira et le Premier ministre Carlos Gomes Junior ont été arrêtés jeudi par des membres de l'armée.
L'armée bissau-guinéenne détenait vendredi le Premier ministre Carlos Gomes Junior et le président Raimundo Pereira, au lendemain d'une tentative de putsch qui semblait en passe de réussir. L'état-major a justifié ces nouveaux troubles dans la région, trois semaines après le renversement du gouvernement au Mali par des militaires, en dénonçant un "accord secret" conclu entre l'exécutif et l'Angola. Les États-Unis ont réclamé le retour d'un pouvoir civil et la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a condamné un "coup de force" dans ce pays très instable, où les rumeurs de putsch se faisaient insistantes depuis des jours, à l'approche du second tour de la présidentielle du 29 avril.
Le président par intérim de Guinée-Bissau, Raimundo Pereira, a été arrêté jeudi soir à sa résidence par des militaires, a-t-on appris vendredi auprès de son entourage. "Il a été arrêté jeudi soir à sa résidence par un groupe de militaires" à Bissau et "emmené vers une destination inconnue", a indiqué un membre de sa garde rapprochée. Pour sa part, le Premier ministre Carlos Gomes Junior "a été arrêté depuis hier (jeudi) par des militaires. Ils l'ont ensuite introduit dans un pick-up qui a démarré en trombe vers une destination inconnue", a déclaré son épouse Salomé Gomes, venue à la résidence du couple récupérer des affaires. La demeure du chef du gouvernement et favori de la présidentielle a été attaquée jeudi soir à la roquette par des militaires, qui ont pris la radio nationale et bouclé la ville. L'armée de Guinée-Bissau a affirmé vendredi n'avoir "aucune ambition pour le pouvoir", dans un communiqué de l'état-major.
La résidence éventrée par une roquette
Plusieurs responsables politiques ont été arrêtés jeudi soir et conduits au siège de l'état-major, selon une source militaire. D'autres sont "activement recherchés", a-t-elle ajouté. Des soldats étaient déployés vendredi matin à travers Bissau, notamment devant les ministères des Finances et de la Justice et le siège du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC, au pouvoir), en centre-ville, où les habitants avaient repris leurs activités. "Les militaires sont partout et interdisent certains accès. Les radios ne fonctionnent pas", a affirmé une source diplomatique à Bissau.
La résidence de Carlos Gomes Junior était toujours gardée par des hommes en armes. Le salon de la maison a été éventré par une roquette et le fronton porte des impacts de balle. Vendredi matin vers 9 heures, une centaine de jeunes sont venus manifester devant pour témoigner leur "solidarité" à Carlos Gomes Junior mais ont été dispersés par les militaires, qui interdisent le passage sur la grande avenue qui la borde. Des sources hospitalières n'avaient pas pour l'heure fait état de victimes.
Accord militaire secret
L'armée est sortie de son silence par un communiqué laconique de l'état-major, qui n'affirme pas formellement détenir le pouvoir mais accuse l'exécutif. "L'événement d'hier (jeudi) a pour raison le fait que nous avons découvert l'existence d'un accord militaire secret, signé à la fois par le Premier ministre Carlos Gomes Junior et le président intérimaire Raimundo Pereira, le gouvernement de Guinée-Bissau et celui d'Angola", indique le texte. "Cet accord vise à légitimer la présence de troupes étrangères, en l'occurrence la mission militaire angolaise (Missang) en Guinée-Bissau, dans un souci de protéger le gouvernement en cas de crise", ajoute l'armée.
Présente depuis 2011, la mission militaire angolaise est une pomme de discorde entre le gouvernement et l'armée de Guinée-Bissau, les militaires soupçonnant les autorités de dissimuler le renforcement de cette mission ces derniers mois dans le but d'entretenir une force disponible en cas de troubles. Lors d'une visite lundi à Bissau, le chef de la diplomatie angolaise, Georges Chicoty, a annoncé le prochain retrait de la force. Ses effectifs n'ont jamais été communiqués officiellement mais la Missang compte au moins 200 éléments, selon des sources concordantes.
Accusation de "fraudes massives" (opposition)
Tout en relevant que la situation demeurait confuse, les États-Unis ont exhorté "toutes les parties à déposer leurs armes et à restaurer le leadership légitime des civils", a déclaré leur ambassade à Dakar, donnant des consignes de prudence à ses ressortissants à Bissau. Le Portugal, ex-puissance coloniale, a fait de même et lancé "un appel à cesser la violence et au respect de la légalité". De son côté, le président de la commission de l'Union africaine (UA), Jean Ping, a condamné dans un communiqué "l'inadmissible" tentative de coup d'État militaire en cours en Guinée-Bissau."
Pour sa part, la Cedeao a condamné "formellement et rigoureusement" cette tentative de putsch et promis la "fermeté" face à ses responsables. La Guinée-Bissau a une histoire jalonnée de putschs, tentatives de coups d'État militaires et violences politiques depuis son indépendance en 1974. Elle est devenue ces dernières années une plaque tournante du trafic de cocaïne entre l'Amérique du Sud et l'Europe. La tension montait depuis plusieurs jours, en plein entre-deux tours de scrutin. Jeudi même, quelques heures avant les troubles, l'opposition menée par l'ex-président Kumba Yala, qui est censé affronter le 29 avril Carlos Gomes Junior, avait appelé au boycott de la présidentielle, et mis en garde quiconque ferait campagne.
Kumba Yala avait dénoncé des "fraudes massives" au premier tour du 18 mars, où il avait obtenu 23,26 % des voix contre 48,97 % pour Carlos Gomes Junior.
(http://www.lepoint.fr/monde/guinee-bissau-le-premier-ministre-aurait-ete-arrete-13-04-2012-1451273_24.php)