Coup d'Etat avorté en Guinée

Au lendemain du décès de l'ancien président, le général Lansana Conté, venu lui-même au pouvoir, en 1984, grâce à un coup d'Etat ayant balayé le régime de Sékou Touré, la Guinée vivrait un nouveau putsch, depuis ce matin.

Les militaires guinéens, qui ont pris goût apparemment aux pronunciamientos, ont récidivé, mais avec un succès qui reste mitigé, cette fois. Les forces armées impliquées dans ce soulèvement resteraient, semble-t-il, minoritaires : seuls des officiers subalternes dirigés par un lieutenant-colonel revendiquent la paternité du coup de force. L'essentiel de la troupe, aux mains de généraux, s'en déclarerait loyaliste, à en croire le Premier ministre et le président de l'Assemblée nationale, qui estiment que la situation est jusqu'ici maîtrisée.

Pourtant, un appel à la radio, lancé tôt dans la matinée, faisait craindre le pire : "A compter d'aujourd'hui, la Constitution est suspendue, ainsi que toute activité politique et syndicale", a déclaré le capitaine Moussa Dadis Camara, après avoir annoncé : "La dissolution du gouvernement, des institutions républicaines et de la Constitution".

La situation socio-économique que vit la Guinée, rangée au nombre des pays les plus pauvres, est en vérité très préoccupante, malgré, remarque-t-on, les richesses dont elle dispose. La désorganisation de l'administration que complique encore la corruption érigée en système profitant essentiellement aux dignitaires du régime font que la dégradation du niveau de vie du peuple militait de longue date déjà au renversement de Lansana Conté.

Une ONG activant dans le pays en est arrivée à constater : "Beaucoup de Guinéens, y compris dans la classe politique, comptaient sur la possibilité d'une sorte de 'bon' coup d'Etat militaire, qui déposerait le vieux général et ouvrirait la voie à une transition démocratique parrainée par des officiers bienveillants et progressistes". Mais elle a prévenu, par référence sans doute à ce que l'expérience offre ailleurs, que : "Le scénario du coup d'Etat militaire libérateur est cependant dangereux et aurait peu de chance d'enclencher un processus démocratique de rupture avec le système Conté." Mieux encore, elle met en garde contre "un départ dans des conditions non maîtrisées du président à court terme qui serait porteur d'un risque réel de chaos, d'explosion de violence et de divisions ethniques", et ce bien avant la disparition du président Conté.

Lansana Conté, à l'exemple de nombreux chefs d'Etat africains, n'était pas non plus un modèle de dirigeant probe, intègre et compétent pour diriger son pays.

Installé par un coup d'Etat, en 1984, il aurait pu être renversé dès 1985 par un autre coup d'Etat qui avait fini en eau de boudin.

Aux premières élections de 1993, les résultats qui l'ont élevé au rang de chef de l'Etat élu étaient eux-mêmes contestés par l'opposition. Aux suivantes de 1998, son challenger a même été arrêté avant le vote. Pour contrer ce dernier plus sûrement, il a même fait retarder, en 2001, l'âge limite des candidatures aux présidentielles. Réélu avec 95 % de voix en 2003, pour un mandat se terminant en 2010, le dictateur ne devait son succès qu'à l'appui de ses compagnons d'armes, des généraux corrompus pour la plupart.

Conté était en fait cloué à son fauteuil depuis 1998, à cause de sa leucémie et de son diabète, deux maladies qui le rendaient quasiment impotent.

Le pays était, sous son règne, géré de manière calamiteuse. 40 % de la population vivent encore sous le seuil de la pauvreté, malgré un sous-sol riche en bauxite, en fer, en or et en diamant. Classée au 173è rang (sur 180) des plus corrompus, la Guinée tient le 160è rang dans l'ordre du développement humain.

Décidément, la confusion règne toujours en Guinée. On ne parle plus d'un lieutenant-colonel porté à la tête des putschistes mais du même capitaine, Moussa Dadis Camara, dont on attend l'autoproclamation en tant que nouveau chef de l'Etat.

Ce même officier est revenu plusieurs fois à l'antenne de la radio pour annoncer, tantôt, que "des élections libres, crédibles et transparentes, seront organisées d'ici à la fin 2010" ; tantôt, qu'un "président du Conseil national pour le développement et la démocratie" a été nommé ; tantôt, que "la prise du pouvoir est un acte de civisme qui répond à la volonté de sauver un peuple en détresse, que le Conseil n'avait aucune ambition de s'éterniser au pouvoir, et qu'il s'engageait à respecter solennellement cette déclaration".

Moussa Dadis Camara, officier inconnu, vient en fait de la section Carburants de la direction de l'Intendance de l'armée.

En défilant aujourd'hui dans les rues de Conakry, les putschistes, au nombre d'une centaine environ, ont certainement cru pouvoir ainsi attirer d'autres camarades dans leurs rangs. Face à des loyalistes, beaucoup plus nombreux, ils redoutent que ces derniers encouragent "l'intervention de mercenaires venus de pays voisins, qui sont déjà à l'intérieur", selon leur propre déclaration.

En attendant, la communauté internationale, depuis l'Union africaine, l'Union européenne jusqu'à l'ONU, condamne en bloc le coup d'Etat. L'U.A. a même brandi la menace de sanctions "fermes" contre les putschistes s'ils persistaient dans leur résolution.

Déjà à Conakry, si le président de l'Assemblée nationale a exhorté la communauté internationale à barrer la route à ces derniers, le chef d'état-major de l'armée se montre, lui, plutôt optimiste en assurant que la situation est sous contrôle et que les égarés n'ont aucune chance de succès.

Contrairement aux attentes, le capitaine Camara a fini par obtenir la reddition du gouvernement guinéen au complet. Les trente ministres du cabinet se sont tous rendus à lui, derrière le Premier ministre, Ahmed Tidiana Souaré. Ce dernier, sans le moindre problème de conscience, a cru bon de répondre à l'appel du chef putschiste. « Retenez que nous sommes des techniciens et que nous sommes à votre entière disposition. Nous vous remercions encore une fois pour votre sagesse, Monsieur le président », lui a-t-il déclaré en forme d'allégeance.

Même l'état-major de l'armée semble avoir pris fait et cause pour le pronunciamiento. Après les premiers mouvements d'humeur entendus ça et là aux premières heures du putsch, tout le monde se range désormais sous la bannière des putschistes.

On enterrait, aujourd'hui même, feu Lansana Conté, dans une profonde atmosphère de recueillement. Une foule nombreuse, estimée à plus de 30 000 personnes, a rendu ses derniers hommages au défunt. Et dire pourtant que l'on considérait ce dernier comme exécré par le peuple. Les répressions d'une rare violence, qui ont toujours répondu aux diverses manifestations populaires réclamant pain, justice, baisse des prix des produits alimentaires et du carburant, semblaient comme totalement oubliées.

C'est bien là l'esprit, indéchiffrable hélas, des populations africaines, du nord au sud et d'est en ouest. Elles reçoivent des coups, subissent les pires méfaits de leurs dirigeants mais finissent toujours par tout oublier, en pleurant même leurs propres tortionnaires.

Le capitaine et chef de la junte, Moussa Dadis Camara, a réuni l'ensemble des forces politiques dans la cour du camp militaire Alpha Yaya Diallo.

Il leur a laissé particulièrement entendre que "Toute personne qui veut détourner le bien de l'Etat à son profit, s'il est pris, il sera jugé et châtié devant le peuple"". Il a justifié le coup d'Etat par la "corruption notoire du gouvernement" et fustigé "l'irresponsabilité et l'incapacité notoire de l'Assemblée nationale".

S'agissant des exploitations minières, l'orateur a annoncé "une renégociation, une révision" des contrats. En attendant : "On a bloqué le secteur minier", et tout particulièrement "les zones aurifères", a-t-il indiqué, avant d'ajouter : "La décision est déjà prise : plus d'extraction jusqu'à nouvel ordre."

Evoquant, enfin, le problème du "Port autonome de Conakry", il a également laissé prévoir "une révision du contrat", voire son "annulation".

Le Sénégal, si peu prompt d'ordinaire à soutenir un quelconque coup de force survenant en Afrique, défraye la chronique, cette fois. Il est le premier pays non seulement continental mais international à se déclarer pour le "soutien de la junte arrivée au pouvoir à Conakry".

"Je pense que ce groupe de militaires mérite d'être soutenu", a déclaré Abdoulaye Wade, le président sénégalais, à Paris, à l'occasion d'une conférence de presse tenue à la résidence parisienne de l'ambassadeur sénégalais.

Pour Wade, le jeune capitaine, chef de la conjuration guinéenne, est "un jeune pur qui veut bien faire et qui n'a pas d'ambition politique. Il me parait tout à fait honnête".

"Le capitane m'a demandé de me faire son interprète auprès des Guinéens, de l'Opposition, de la CEDEAO, de l'Union Africaine, de l'Union Européenne, des Etats-Unis, de la Banque mondiale et des institutions internationales pour leur dire que 'nous avons pris le pouvoir pour éviter les affrontements tribaux. Notre intention n'est pas de garder le pouvoir. Nous voulons mettre en place le nouveau président et retourner dans les casernes'", a rapporté M. Wade.

Le capitaine Camara a mis à la retraite vingt-deux généraux de l'armée, dont le chef d'état-major, Diarra Camara, qui avait annoncé que les putschistes étaient minoritaires.

Les noms des officiers généraux limogés ont été annoncés dans une ordonnance signée de ce capitaine, qui leur promet, néanmoins, des nominations ultérieures à des hautes fonctions.

Un communiqué séparé désigne le général Mamadou Ba Camara, précédemment chef d'état-major de l'armée de terre, au 2è rang de la junte, comme ministre de la Sécurité et de la protection civile.

Par ailleurs, Kabine Comara, directeur de la Banque africaine d'import-export installée au Caire a été nommé Premier ministre.

Répondant, enfin, à une question posée à propos du défunt président, Lansana Conté, le capitaine Camara a déclaré qu'il ne reprochait surtout pas à ce dernier d'avoir été corrompu.