Parmi les 16 nouveaux partis agréés récemment, le PLJ de Mohamed Saïd, auquel avait déjà été accolé l'étiquette de mouvement islamiste, s'était quelque peu distingué à la dernière élection présidentielle. Mohamed Saïd, son premier responsable s'était porté en effet candidat et avait obtenu un score certes négligeable mais suffisamment indicateur sur l'état de son emprise dans la société. Une autre observation : l'appellation de ce parti, fondé bien avant le déclenchement de ce que l'on appelle faussement aujourd'hui Le Printemps arabe, est quasiment celle reproduite par les nouveaux courants islamistes mis en place en Tunisie, au Maroc, en Libye et en Égypte, ce qui vérifie pour tous leur adossement à l'islam.
TSA est allé précisément interroger Mohamed Saïd sur nombre de questions, dont les réponses obtenues méritent d'être relevées ici.
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TSA - 2.02.2012
Propos recueillis par Achira Mammeri
TSA - Le PLJ est le premier parti en attente d’agrément à avoir tenu son congrès constitutif…
Mohamed Saïd - Ce congrès constitutif est l’aboutissement d’un long processus de structuration du Parti de la liberté et de la justice (PLJ) depuis sa création en janvier 2009. D’ailleurs, ma participation à la dernière élection présidentielle répondait justement à ce besoin de faire connaître le parti en saisissant l’opportunité de cette candidature qui offre, dans un système verrouillé, des moyens de propagande dont aucun homme politique ne peut se passer.
Certains, à l’époque, ont fait de moi un lièvre ou ont parlé d’une transaction avec le pouvoir. Ce n’était ni l’un, ni l’autre. Je n’étais pas dupe au point de nourrir le moindre espoir dans la victoire après la révision constitutionnelle de novembre 2008. Pour ceux qui ne le savent pas, ou l’ont oublié, je dois rappeler que 48 h avant le scrutin, j’ai déclaré au cours d’une conférence de presse que mon objectif était atteint à 100 %. Le résultat est aujourd’hui là. Le PLJ existe.
- Le PLJ n’est pas prêt, selon vos déclarations, à mener la bataille des législatives dans toutes les wilayas du pays. Qu’est-ce qui motive ces craintes ?
- D’abord, le PLJ est un parti de jeunes car la moyenne d’âge des congressistes est de 33 ans, donc le temps joue en sa faveur. Ensuite, participer dans la précipitation sans être sûr de la qualité et de l’engagement irréversible de tous ses candidats comporte le risque de voir le PLJ utilisé par certains partis bien rodés comme une simple passerelle pour atterrir au parlement. Ceci est d’autant plus vrai que les députés ont rejeté l’interdiction du nomadisme politique dans la nouvelle loi électorale.
C’est pour cela que la direction politique a besoin de plus de temps dans certaines wilayas pour expérimenter sur le terrain le degré d’engagement politique des adhérents qui nous ont rejoints récemment. Le PLJ doit démarrer sur des bases solides, avec des militants convaincus, intègres et forts devant l’appât des privilèges du pouvoir. En tout état de cause, cette question sera abordée ce vendredi à l’occasion de la réunion du conseil national du PLJ. Par contre, nous nous investirons à fond dans les élections locales qui se tiendront en octobre pour permettre à nos militants de s’entraîner à l’exercice des responsabilités.
- Le PLJ est-il un parti islamiste ?
- Le PLJ se veut un parti rassembleur, ouvert à tous les Algériens et les Algériennes, quelles que soient leurs convictions politiques : islamistes, laïques, démocrates, nationalistes…. pourvu qu’ils réunissent deux conditions. À savoir, remplir les conditions légales et répondre aux critères d’intégrité, de compétence et d’engagement politique ferme.
J’observe que l’étiquette d’Islamiste vient de mes relations avec le Dr Taleb Ibrahimi qui est un homme moderne, ouvert, nationaliste, intellectuel, propre et attaché à l’authenticité de son peuple. Si tel est le cas, je suis fier d’être l’ami de Taleb Ibrahimi et je le resterai quoiqu’il arrive.
- Un seul parti est-il capable de contenir tous ces courants ?
- Dans la phase actuelle, notre pays n’a pas besoin d’une démocratie arithmétique. Il a besoin d’une démocratie consensuelle qui permette la mise en place d’institutions représentatives de toutes les tendances de la société. Il y a beaucoup de points communs entre les courants que j’ai cités, mais le plus grand mal réside à mon sens dans l’absence de dialogue entre toutes ces tendances. Je pense qu’il est important d’exploiter ces dénominateurs communs tels que l’amour de la patrie dans ses frontières nationales, l’attachement à l’unité du peuple algérien, la stabilité du pays, le respect de l’identité nationale….
L’apport principal du PLJ réside dans la recherche d’institutions modernes fortes, la justice sociale et le respect des valeurs morales dans l’exercice des responsabilités publiques. Bref, le PLJ aspire à être un creuset d’où sortira un citoyen nouveau caractérisé par ce triptyque: être soi-même, être de son peuple, être de son temps. Nous sommes contre l’exclusion, pour un État de droit fort, juste et respectueux des libertés. Le PLJ est un parti dont la philosophie découle d’une analyse historique sereine de la vie politique nationale depuis l’indépendance.
Cette analyse permet d’établir un constat essentiel : une seule tendance ne peut pas à elle seule gérer le pays. Le parti du FLN a régné seul et son monopole a pris fin dans la violence des manifestations d’octobre 1988. Le FIS, vainqueur aux élections locales et au premier tour des législatives, a manifesté d’emblée des tendances religieuses à la monopolisation du pouvoir, ce qui a fait peur à une frange de la société, d’où l’arrêt du processus électoral dans la violence et le début d’une tragédie sanglante aux retombées encore présentes. Depuis, nous assistons à une forme de gouvernement hybride d’où sont exclus les deux courants remplacés au départ par des clowns et des copies dont l’autonomie est à la mesure de leur impact réel dans la société, d’où ce déficit de légitimité et cette relation conflictuelle entre le pouvoir et les institutions. C’est la leçon tirée : la mise en commun de toutes les volontés politiques pour gouverner ensemble avec une vision claire.
- L’adoption de la loi électorale a fait réagir, à l'étranger, des cadres du FIS dissous qui ont dénoncé leur exclusion de la politique. Le pouvoir estime que ces personnes se sont exclues d’elles-mêmes en recourant à la violence. Quelle est votre interprétation à ce sujet ?
- Il y a la loi et l’esprit de la loi. Sur le plan théorique, la loi sur les partis exclut de toute activité politique les personnes directement impliquées dans la tragédie nationale. Mais dans la pratique, outre ce que vous venez de citer, les internés du Sud réclament leur réhabilitation, et certaines familles de disparus n’acceptent pas d’être indemnisées. Donc, trois problèmes restent posés. À mon avis, une solution consensuelle doit être imaginée sur une base claire : garantir l’irréversibilité de la réconciliation nationale pour éviter toute velléité de retour en arrière, satisfaire certaines demandes qui ne menacent pas l’ordre public et laisser le reste au temps.
- Le prochain parlement sera diversifié pour certains et émietté pour d’autres. Selon vous, pour quel courant la majorité va-t-elle basculer ?
- Peu importe la couleur politique de la prochaine majorité parlementaire, elle n’aura pas d’impact direct sur la gestion du pays puisque le Premier ministre est constitutionnellement désigné par le président dont il est tenu d’exécuter le programme. En d’autres termes, dans la Constitution actuelle, la future majorité n’aura pas à désigner le Premier ministre et encore moins à appliquer son propre programme. La question se posera au moment de l’amendement de la Constitution. Là aussi, le président de la République peut directement consulter le peuple par référendum sans passer par le parlement. Ceci dit, je pense vraiment que le prochain parlement doit être représentatif, capable d’assumer son rôle dans le contrôle de l’exécutif et donc composé d’hommes compétents et intègres, décidés à transformer cette citadelle en un lieu de débats politiques de haut niveau, regagner la confiance du citoyen… Il doit être en mesure d’interpeller le gouvernement et de le sanctionner, ce qui n’a pas été le cas hélas à ce jour. Nous avons besoin du prochain parlement pour légitimer le pouvoir parce que nous avons un vrai problème de légitimité des institutions.
- Ne craignez-vous pas, justement, d’être utilisé par ces mêmes institutions comme argument pour retrouver cette légitimité perdue ?
- Cette question me rappelle les critiques que j’avais essuyées en participant aux présidentielles. À les suivre, on ne fera jamais rien. Ce n’est pas le rôle d’un homme politique. En politique chacun à ses calculs et il arrive parfois que ces calculs se croisent ou même convergent momentanément. Avec les autres forces, nous voulons profiter de cette brèche qui s’est ouverte dans l’édifice politique national pour contribuer à opérer le changement attendu par le peuple et trouver des solutions à ses problèmes tout en gardant un œil attentif sur la stabilité et l’unité nationale. Aucun citoyen n’a intérêt à faire du changement un prétexte pour précipiter l’Algérie dans le chaos.
- Un gouvernement technocrate est-il, à votre avis, une garantie suffisante pour la neutralité des prochaines élections ?
- La responsabilité de l’État à travers son administration omniprésente est plus importante que celle de la classe politique et de la société civile. La volonté politique exprimée d’assurer une neutralité de l’administration est nécessaire mais pas suffisante, compte tenu des expériences passées où la pratique a contredit le discours. Le citoyen a perdu confiance et pour être rassuré, il veut des mesures concrètes sur le terrain, telles que la sanction médiatisée des falsificateurs, et des acheteurs de voix.
La société civile doit aussi assumer son rôle. En un mot, et pour répondre à votre question, je dirai que je préfère un gouvernement consensuel qu’un gouvernement technocrate unilatéralement désigné. La première mission qui sera confiée au parlement sera la révision de la Constitution.
- Que faut-il changer dans la loi fondamentale?
- Le programme politique du PLJ est favorable à la limitation de tous les mandats à un seul renouvelable une seule fois, mandat local, national ou présidentiel et au sein même des directions des partis. C’est la seule voie pour garantir un renouveau permanent du personnel politique et éliminer les risques de dictature. En outre, nous sommes pour l’instauration d’un régime "parlementaire spécifique" transitoire avec un Premier ministre issu de la majorité et le maintien du Sénat dans son rôle actuel de soupape de sûreté, car nous avons besoin les uns et les autres de mieux nous connaître pour retrouver confiance et travailler ensemble sans remettre en cause les acquis démocratiques. Le reste existe dans la Constitution (séparation des pouvoirs, indépendance de la justice, lutte contre la corruption…), il suffit tout simplement de prévoir des mécanismes de sanction pour sa non-application.