Editorial | LEMONDE | 28.12.11 |
En Égypte, le déroulement sans accroc de la seconde phase des élections législatives ne doit pas faire illusion. Le pays vit sur un volcan. Même si la place Tahrir a été rouverte à la circulation, les affrontements entre révolutionnaires et forces de sécurité peuvent recommencer du jour au lendemain.
Lors des derniers épisodes de violences, fin novembre, avant la première phase des élections (42 morts), puis à la mi-décembre, entre les deux tours de la deuxième phase (17 morts), une étincelle avait suffi pour transformer le centre-ville en champ de bataille et paralyser une bonne partie de l'activité économique du Caire. Au moindre abus des forces de l'ordre, les sans-culottes de Tahrir, exaspérés par trois décennies d'arbitraire policier, n'hésiteront pas à redescendre dans la rue.
On peut disserter sans fin sur ce nouvel avatar de la révolution égyptienne. Déplorer que le soulèvement euphorisant des mois de janvier et février ait tendance à se muer en combats de rue autodestructeurs ou en soliloques narcissiques sur Twitter. Critiquer la veine anarchiste, voire nihiliste, de certains manifestants. Ou encore regretter que les partis politiques, libéraux comme islamistes, n'aient pas su porter les revendications de la rue, préférant s'enferrer dans des débats stériles et abscons, comme celui sur la notion d'"État civil".
Reste une vérité irréductible. Le Conseil supérieur des forces armées (CSFA), qui gouverne le pays depuis la démission d'Hosni Moubarak, au mois de février, a démontré l'étendue de son incurie. Après la manifestation copte du 9 octobre écrasée, au sens propre du terme, sous les chenilles des blindés, l'assaut du 16 décembre contre le sit-in devant le siège du gouvernement, ponctué par le matraquage infamant d'une manifestante à moitié dévêtue, a ôté aux militaires le peu de crédibilité et de légitimité qui leur restait.
Non contents de reproduire les méthodes honnies de l'ex-police politique, ils ont échoué à stabiliser l'économie et à préparer la transition. À moins de deux semaines de la fin des législatives, nul ne sait quelles seront les prérogatives exactes de l'Assemblée du peuple, où les islamistes devraient disposer d'une confortable majorité. Détiendra-t-elle un droit de regard sur la composition du gouvernement et sur la rédaction de la Constitution ? Sur ces deux sujets cruciaux, les généraux laissent planer la possibilité d'une ingérence perpétuelle de l'armée dans les affaires de la nouvelle Égypte.
Le CSFA doit donc partir, et vite. Son maintien jusqu'à la date théorique de l'élection présidentielle, en juin, fait courir trop de risques au pays du Nil. Le calendrier du transfert du pouvoir aux civils doit être avancé, comme le suggèrent un nombre croissant de personnalités de l'opposition. Certaines d'entre elles proposent d'organiser le scrutin présidentiel le 25 janvier, à la date du premier anniversaire de la révolution.
Aussi longtemps que la superstructure sécuritaire de l'ex-régime Moubarak ne sera pas mise à bas - et l'armée en est un maillon essentiel -, la révolution égyptienne ne sera pas achevée.
(http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/28/les-militaires-egyptiens-doivent-ceder-le-pouvoir_1623316_3232.html)