Le Point.fr - 22.04.2011
De notre correspondante au Caire Denise Ammoun
Abou Georges, sexagénaire au poignet tatoué d'une croix, ne cache pas sa colère : "Nous avions bien raison de craindre la montée du fondamentalisme musulman. Voyez ce qui se passe à Qéna !" Depuis le samedi 16 avril, des milliers de manifestants se regroupent tous les jours dans les rues de cette ville de Haute-Égypte, à forte concentration chrétienne, pour dénoncer la nomination du nouveau gouverneur. Aux cris de "Notre province ne sera pas dirigée par un chrétien", ils s'insurgent contre le choix de l'exécutif, qui a attribué au général Emad Mikhaïl la fonction de gouverneur de Qéna.
Ces manifestations à caractère confessionnel auraient pourtant pu être évitées. Au départ, la contestation lancée par des jeunes de la Révolution du 25 janvier portait sur le passé du général. De fait, Emad Mikhaïl était l'adjoint du directeur de la sécurité de Guiza, c'est donc un officier de l'ancien régime, un policier qui a peut-être participé aux violences commises contre les manifestants de février. Mais le gouvernement n'a pas donné suite aux revendications des jeunes. Les Salafistes ont alors repris la contestation à leur compte, rapidement soutenus par de nombreux Frères musulmans et par des membres de la Jamâa islamiya. Les contestataires ont alors dressé des barrages sur les routes et les voies ferrées menant aux villes touristiques de Louxor, d'Assouan et de la mer Rouge.
L'exécutif ne cédera pas
Pour désamorcer la crise, le gouvernement a envoyé à Qéna, le 19 avril, le ministre de l'Intérieur en personne. Mais les chefs des manifestants ont refusé tout dialogue, toute conciliation, et ont adopté la même attitude face aux dignitaires religieux qui cherchaient à prêcher la bonne parole. Ils ont ensuite renforcé les barrages, coupant le sud et le nord du pays. Plusieurs solutions ont été avancées : muter le général Mikhaïl à Louxor, ou lui demander de prendre un congé de maladie jusqu'au moment où les passions se seront apaisées. Le général lui-même a proposé de démissionner. Mais le gouvernement a refusé toutes ces mesures, jugées dangereuses pour l'avenir. En d'autres termes, "l'exécutif ne cédera pas sous la pression de la rue".
Finalement, la décision du gouvernement est tombée jeudi matin : le général Emad Mikhaïl demeurera le gouverneur de Qéna. Le ministre de l'Intérieur est chargé "d'adopter les mesures nécessaires pour faire face à la violation de la loi, garantir la sécurité des citoyens et rétablir les services publics". À Qéna, les opposants continuent de bloquer les routes et les voies ferrées. C'est le premier bras de fer entre le gouvernement et les citoyens.