Alassane Ouattara proclamé élu provisoirement président de la Côte d'Ivoire

La menace brandie par les partisans de Gbagbo de se rendre dès aujourd'hui à l'hôtel du Golf occupé par Ouattara et ses proches pour les en déloger semble être restée lettre morte jusqu'ici. Les agences de presse continuent d'ailleurs de souligner unanimement la persistance du calme apparent observé ces tout derniers jours.

De son côté, Ouattara qui avait donné un ultimatum à son adversaire à l'effet de quitter le pouvoir avant le 31 décembre à minuit n'a pas non plus reçu de suite satisfaisante. Bien au contraire, Gbagbo continue de claironner son intention de ne pas céder sa place.

Le premier ministre Soro de Ouattara a cependant prévenu ce soir que la Cedeao, avec laquelle, disait-il, il était resté en contact, lui avait confirmé sa résolution d'intervenir incessamment par la force pour éjecter Gbagbo.

Les trois émissaires de la Cedeao, accompagnés cette fois d'un représentant de l'Union africaine en la personne du Premier ministre Kenyan, Raila Odinga, sont retournés ce matin à Abidjan. Le Kenyan s'est dit non pas en charge d'une mission de médiation mais de "faire entendre la voix du peuple ivoirien et de faire respecter la démocratie". Lui-même avait demandé d'ailleurs, il y a quelques jours, le départ de Gbagbo sans conditions.

Quant au président nigérian, Goodluck Jonathan, président en exercice de la Cedeao, sa position reste, semble-t-il, inchangée : Gbagbo doit simplement quitter le pouvoir pacifiquement s’il ne veut pas s’exposer à des poursuites judiciaires et à une opération militaire de grande envergure pour le déloger du pouvoir.

Jusqu'à l'heure qu'il est, rien, en tout cas, n'a encore filtré des entretiens de Gbagbo et de ses visiteurs d'aujourd'hui.

Les gesticulations faites ces derniers jours par Roland Dumas et Jacques Vergès, deux avocats connus pour être respectables pourtant et appelés à la rescousse par Gbagbo pour tenter de l'aider à sortir du bourbier dans lequel il s'est fourvoyé, n'ont plutôt réussi qu'à agacer l'opinion publique qui les juge non seulement ridicules mais surtout malvenues. Elles sont intervenues, en effet, à un moment où l'unanimité internationale semblait être réunie pour condamner sans équivoque le coup de force de l'ex président ivoirien.

Ces deux juristes ont prétendu, rien de moins, que des fraudes auraient faussé les résultats des élections du deuxième tour en Côte d'Ivoire. Par voie de conséquence, ils estiment, à la surprise générale, qu'il faut refaire le comptage des voix, une idée qu'ils sont jusqu'ici les seuls à avoir mûrie.

Or, en jetant en l'air semblable idée aussi saugrenue que déconcertante, ces nouveaux amis de Gbagbo feignent simplement d'ignorer qu'ils remettent en cause tout le système des élections, dont peuvent éventuellement se prévaloir demain tous les candidats malchanceux du tiers-monde.

Aboutir à une telle conclusion bien piètre ne fait en vérité que porter définitivement atteinte à tout le capital de sympathie et d'honorabilité dont pouvaient s'enorgueillir jusque-là ces deux avocats. La ministre française des Affaires étrangères, M.A.M. (Michelle Alliot-Marie) a d'ailleurs eu le mot juste pour flétrir la conduite toute particulière de Roland Dumas.

La mission de conseil juridique menée à Abidjan auprès de Laurent Gbagbo par les avocats français Jacques Vergès et Roland Dumas est "pitoyable", a-t-elle déclaré aujourd'hui, dans un entretien au quotidien 20 minutes, repris par Le Figaro.

"Certes, je sais que MM. Dumas et Vergès sont les avocats de M. Gbagbo. On pourrait considérer que c'est dans un cadre professionnel, en quelque sorte, qu'ils s'y sont rendus, mais j'ai trouvé que les déclarations sont finalement bien tristes de la part d'un ancien ministre des Affaires étrangères, qui devrait être plus soucieux des principes et du respect de la démocratie", a-t-elle déploré.

S'il n'y a pas d'évolution positive notable au plan politique qui va dans le sens de la résolution de la crise, notent les observateurs, par contre la situation sociale commence vraiment à se dégrader rapidement et dangereusement. Non pas que les Ivoiriens, lassés de se retrouver sous la coupe de deux présidents, manifestent leur ras-le-bol, mais ils ressentent désormais les conséquences directes de leur irrésolution sur leur porte-feuilles et leur estomac.

Les produits alimentaires attendus de l'étranger ne parvenant plus sur les quais pour de multiples raisons (par suite, pense-t-on, d'un manque de garantie de paiement, de blocages voulus par des États réclamant le départ de Gbagbo, etc.), les prix flambent quand ils ne se raréfient pas sur les marchés, plaçant les ménages devant une situation nouvelle qui les irrite au plus haut point et risque de dégénérer gravement.

À mesure que ces privations persisteront, les problèmes les plus insolubles sont à venir, dès lors que les aéroports étrangers refuseront aux aéronefs ivoiriens de se poser sur leur sol. Les choses pourriront plus vite sitôt que des médicaments, des produits ou des fournitures de première nécessité manqueront dans les hôpitaux, les pharmacies...

Les Ivoiriens comprendront alors que l'on ne peut pas indéfiniment tenir tête à l'ensemble de la communauté internationale quand on est incapable, a fortiori pour eux qui appartiennent à un pays du tiers-monde, d'assurer le minimum vital pour nourrir les populations.

Loin de s'améliorer la situation en Côte d'Ivoire continue de se dégrader, voire de pourrir.

D'abord, les Ivoiriens fuient leur pays à une cadence de 600 personnes par jour qui vont se réfugier au Liberia, où le dernier bilan de l'ONU fait état de 23 000 d'entre eux regroupés dans un camp à Bahn près de Saclepea (Comté de Nimbaun).

Ensuite, Gbagbo semble s'enraciner à son poste, refusant même de répondre au dernier geste d'apaisement consenti par Ouattara. En vain, ce dernier s'était proposé, sous réserve que Gbagbo quitte le pouvoir, de reprendre dans son cabinet des personnages appartenant à l'équipe du président sortant.

Enfin, on annonce 4 ou 5 morts dans les rangs des fidèles d'Ouattara qui voulaient sans doute s'opposer à un meeting organisé à la mi-journée par les amis de Gbagbo dans un quartier d'Abdjan. Ces malheureux auraient été froidement exécutés par les policiers, disent les agences de presse.