La Bulgarie dans les mâchoires de la pègre

A son tour, la Bulgarie, cet ex pays balkanique et ancien satellite de Moscou, qui a pris place dans l'U.E. l'année dernière, a maille à partir avec sa pègre. Telle situation rappelle tristement la Roumanie mais surtout la Russie des années quatre-vingt-dix, où huit voyous avaient fait main basse sur l'économie du pays, s'accaparant à profusion des biens de la communauté, faisant chanter au besoin leur pantin de président, Elstine. Là, l'arrivée de Poutine, il y a 8 ans, a mis fin aux dérives d'un Etat qui battait sérieusement de l'aile au point d'avoir attiré à la curée d'autres rapaces plus voraces venant cette fois de l'occident.

D'une façon pourtant différente, aujourd'hui, à Sofia, le gouvernement en place, en dépit des mises en garde pressantes à lui adressées par l'U.E., peine toujours à se débarrasser de la mafia qui s'est emparé d'une frange du pouvoir, se permettant même d'attenter à la vie de personnalités qui essayent de lui barrer le chemin. Ainsi, Boris Geogiev, directeur général de la société énergétique Atomenergoremont l'a bien payé de sa vie, en se faisant abattre dimanche dernier. De même, Georgi Stoev, chroniqueur bien connu spécialisé dans l'étude de la mafia locale, l'a également payé de sa vie en tombant sous les balles assassines le lendemain. Le courage, pour ne pas dire la témérité, de ce dernier aura justement été de dénoncer l'existence de cette mafia au niveau même du ministère de l'Intérieur.

Le gouvernement socialiste en place s'est trouvé cette fois bien incapable de démentir l'accusation, faisant plutôt amende honorable en reconnaissant les dysfonctionnements de ce ministère qui appellent, reconnaît-il, des remèdes de cheval. Semblables dérives justifient aux yeux de l'opposition de droite l'exigence de la démission non seulement du ministre intéressé mais de tout le gouvernement, tant les scandales récurrents qui le secouent deviennent extrêmement préoccupants et menacent sérieusement le devenir même du pays.

Comme partout ailleurs dans les pays de l'ex Pacte de Varsovie, le passage de l'économie socialiste vers l'économie de marché s'accompagne toujours de cette nécessaire et difficile période de transition, pendant laquelle les tabous, en tombant brutalement, attisent des appétits sans bornes à tous les niveaux de la société. Une indispensable décantation s'opère ensuite au fil du temps avant de ramener tout le monde à la raison, car la survie en dépend plus que jamais. C'était hier le cas de la Russie, de la Tchéquie, de l'Ukraine, de la Pologne, etc. ; c'est aujourd'hui celui de la Roumanie et de la Bulgarie, sans doute les derniers maillons de la chaîne. L'un comme l'autre pays ont des potentialités réelles qu'il suffit juste enfin de mettre en mouvement à un moment donné pour leur faire reprendre la place qui est la leur dans le concert des nations.

Poussé vers la porte de sortie, le ministre de l'Intérieur bulgare, Roumen Petkov, vient de déposer sa démission. Eclaboussé par une série de scandales à répétition touchant ses collaborateurs immédiats, ce dernier, incapable d'y mettre fin, aurait dû, en vérité, être remplacé depuis longtemps déjà.

En déclarant juste après : "Ce n'est pas un signe de faiblesse, ni une soumission à la pression. Je démissionne pour permettre un meilleur Etat", il ne clarifie rien de son attitude plutôt irresponsable, à cause de laquelle l'U.E. a dû intervenir à plusieurs reprises auprès du gouvernement bulgare pour lui demander de conjurer le phénomène destructeur de la corruption devenue presque une institution dans le pays.

Il reste à savoir, maintenant, si, hors du ministère de l'Intérieur, il n'y a pas de ramifications bien établies dans les autres secteurs administratifs et économiques. Et cela, nous ne tarderons pas à le savoir dans les prochaines semaines.

Sofia reste décidément dans le collimateur de l'U.E. qui la presse d'activer sa lutte contre la corruption et le crime organisé. Michael Leigh, responsable de l'Elargissement de la communauté européenne, vient de lui accorder un délai jusqu'au 16 juin pour déposer son rapport sur les mesures prises expressément contre le détournement des fonds en provenance de l'U.E. et destinés à aider le pays à préparer son adhésion à la communauté.

Dans la précipitation, le gouvernement bulgare, après s'être séparé de son ministre de l'Intérieur, dont les services sont les premiers mis en cause dans le phénomène décrié, s'est tout récemment doté d'un vice Premier ministère spécialement chargé de coordonner et de contrôler la gestion des fonds européens. 450 millions d'euros sont précisément gelés depuis mars dernier par Bruxelles, faute de garantie du bon usage pouvant en être fait.

Aussi, à Sofia, s'échine-t-on désormais à prendre très au sérieux les menaces reçues. La justice, elle-même, s'est même saisie de certaines enquêtes comme celle dirigée contre le directeur du réseau routier, poursuivi pour le détournement de 50 millions d'euros prélevés sur l'aide européenne. Le parquet militaire ne serait pas en reste, lui qui actionne d'autres poursuites contre des responsables du ministère de l'Intérieur, déjà limogés, qui ont communiqué des informations à des milieux mafieux.

La Bulgarie, enfin, n'a donc guère intérêt à se retrouver isolée, dès juillet prochain, si la Commission européenne estime insuffisants les efforts accomplis dans la lutte contre le phénomène.