atlantico.fr - 15.03.2015
Entretien avec Aurélien Barrau(*)
Après 8 ans de travail, de recherches, de calculs et d'études, Albert Einstein présente à la communauté internationale sa théorie de la relativité générale. Une proposition scientifique révolutionnaire qui modifia en 1915 notre rapport au temps et à l'espace, contredisant les modèles de Newton et de Kant qui prévalaient jusque-là.
Atlantico - La théorie de la relativité générale fête ses 100 ans cette année. Globalement, qu'a pu nous apporter cette théorie, en quoi nous a-t-elle permis de mieux comprendre le monde ?
Aurélien Barrau : La relativité générale est certainement l’une des propositions scientifiques les plus importantes et les plus révolutionnaires de l’histoire.
Comme la théorie de l’évolution dans le domaine des sciences de la vie (cette dernière constitue d’ailleurs certainement un cadre plus fiable et plus incontestable encore), elle est une avancée majeure dans notre compréhension du réel.
Que dit-elle ? Que l’espace et le temps ne sont plus, comme le supposaient Newton ou Kant, des structures figées. L’espace n’est plus le lieu dans lequel se déploient les phénomènes : l’espace devient lui-même un phénomène ! Voilà la grande découverte d’Einstein : L’espace et le temps sont des entités dynamiques, ils sont soumis à une évolution comme les autres processus de l’Univers. En un certain sens, l’espace et le temps ne sont pas différents des autres "objets" du monde, c’est une unification remarquable !
La relativité générale nous apprend qu’il n’existe aucune "trame de fond" immuable et fixe dans laquelle nous nous trouverions. Même l’espace-temps se distord et se distend, il répond à la présence des corps, il bouge.
L’expansion de l’Univers, que nous l’observons effectivement, n’est pas un mouvement des objets dans l’espace : elle est une dilatation de l’espace lui-même. Les galaxies, pourraient-on dire, s’éloignent sans bouger ! C’est l’espace qui enfle entre elles.
Atlantico - En quoi a-t-elle pu compléter la théorie de la relativité restreinte, parue dix ans plus tôt ?
A. B. - La relativité restreinte est déjà étonnante. Elle montre qu’il existe une vitesse indépassable qui ne provient pas des lois de la physique mais de la structure propre de l’espace-temps. L’espace et le temps sont indéfectiblement liés. Elle montre également que les voyages dans le futur sont possibles. Un enfant peut devenir plus vieux que ses propres parents dès lors que ces derniers sont soumis à une vitesse suffisante pendant un temps suffisant. Enfin, elle montre qu’il est possible (E=mc²) de transformer une propriété – l’énergie – en existence – la masse.
Mais la relativité générale va beaucoup plus loin en rendant l’espace-temps "plastique". Elle montre que le champ de gravité est l’espace-temps ! Nous vivons sur ou dans le champ gravitationnel qui, en quelque sorte, tient lieu d’espace et de temps.
Atlantico - Quelles autres théories ou hypothèses de l'époque concernant la gravité cet ensemble relativité générale-restreinte a-t-il remis en cause ?
A. B. - Du point de vue pratique, pour l’essentiel des situations usuelles, la relativité générale n’apporte qu’une petite correction aux prédictions de la physique newtonienne. Mais du point de vue ontologique, c’est à dire quant à la nature profonde de ce qui est décrit, le changement est immense, presque radical ! Chez Newton, la Lune tourne autour de la Terre parce que la force de gravitation lui impose cette trajectoire. Chez Einstein, il n’y a plus de force gravitationnelle, la Lune avance en ligne droite dans l’espace courbé par la présence de la Terre ! La différence est immense.
Au-delà de cette révolution conceptuelle, il est des cas importants – comme la dynamique de l’Univers ou les trous noirs – dans lequels seule la relativité générale est en mesure d’apporter des réponses satisfaisantes. La physique de Newton s’effondre.
En montrant que seul le relationnel fait sens, la relativité a totalement renouvelé notre rapport au réel. Elle est bien plus qu’une théorie de la gravitation, elle est une manière de redessiner en profondeur le sens du monde. Plus rien n’y est absolu.
Atlantico - Quelles sont les applications concrètes, visibles au quotidien, qui ont pu en découler ?
A. B. - La grande théorie d’Einstein est une révolution immense quant à notre compréhension de la Nature. Elle change drastiquement le monde dans le lequel nous vivons. Mais elle a peu d’applications pratiques. C’est peut-être pourquoi, dans notre enseignement, hélas très technocratique, elle occupe aujourd’hui une place qui n’est pas à sa juste mesure.
Au quotidien, l’application la plus claire est le système GPS. À cause de la différence d’intensité du champ de gravitation entre le sol terrestre et l’altitude des satellites, la relativité générale nous enseigne que le temps ne doit pas s’écouler à la même vitesse. Si l’on néglige cet effet, le positionnement par GPS ne fonctionne pas en effet !
Mais la première vertu de la relativité c’est peut-être son incroyable élégance. Elle est certainement la plus belle théorie jamais proposée par l’esprit humain. Relativiste et relationnelle, elle décrit un monde réinventé, fragile et gracieux.
Atlantico - La théorie de la relativité a-t-elle jamais été sérieusement remise en doute depuis lors ? Que n'explique-t-elle toujours pas ?
Que la théorie d’Einstein remplace avantageusement celle de Newton, qu’elle constitue un cadre de pensée infiniment plus fécond, personne n’en doute. Mais comme toute théorie scientifique, elle ne prétend évidemment pas être une réponse définitive. Le cœur de la démarche scientifique consiste précisément à demeurer poreux à une éventuelle déconstruction.
Le plus important problème auquel la relativité est aujourd’hui confrontée est celui de la conciliation avec la physique quantique. Cette dernière est l’autre pilier de la science de la Nature. Elle est adaptée à la description de l’infiniment petit. Hélas, la théorie quantique n’est pas compatible avec la relativité générale ! Tenter de conjoindre ces deux fondements de notre physique est une question considérée comme essentielle depuis près d’un siècle. Nous n’avons toujours pas aujourd’hui de réponse tout à fait satisfaisante.
Les enjeux sont pourtant essentiels, ils concernent la structure intime de l’espace et du temps ainsi que l’origine de l’Univers.
(*) Aurélien Barrau est professeur à l’Université Joseph Fourier, membre de l’Institut Universitaire de France et chercheur au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie du CNRS.
Il a publié en mars 2013 Big Bang et au-delà - Balade en cosmologie (Ed. Dunod) qui explique, dans un langage clair et accessible, les dernières découvertes en cosmologie, et des Univers multiples paru chez Dunod en 2014.
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