Le Figaro.fr - 2.07.2014
par Caroline Piquet
Les classes sociales se mélangent peu dans les lycées franciliens, encore moins dans les établissements parisiens, selon une étude dévoilée par Le Monde. Marie Duru-Bellat, professeur de sociologie à Sciences Po, décrypte ce phénomène de ségrégation sociale.
Les classes sociales ne se mélangent pas dans les lycées franciliens, et encore moins dans les établissements parisiens. C'est la conclusion d'une étude menée par trois chercheurs de l'Institut des politiques publiques. Ces économistes ont analysé l'état de la mixité sociale dans les 349 lycées généraux (public et privé) des académies de Paris, Créteil et Versailles.
Résultats de cette enquête révélée par Le Monde mardi: dans la capitale, qui compte 73 lycées généraux, 50 % des élèves les plus favorisés sont scolarisés avec seulement 3 % des élèves les moins favorisés alors que ces derniers représentent 17 % de la « population scolaire » parisienne. À l'inverse, dans l'académie de Créteil, la moitié des lycéens fils de chômeurs et d'inactifs n'ont été mélangés qu'à 11 % de fils de cadres supérieurs et d'enseignants.
Une ségrégation sociale qui tend à s'atténuer
Dans leurs travaux, les chercheurs ont toutefois montré que cette ségrégation sociale avait diminué dans les lycées parisiens ces dix dernières années. En cause? Le dispositif Affelnet, utilisé pour affecter les élèves après la classe de troisième. Il suffit de modifier ce barème à points basé sur plusieurs critères (proximité géographique, résultats scolaires, statut de boursier) pour améliorer la mixité sociale dans les lycées. Par exemple, l'introduction d'un bonus bourse à Paris en 2008 a permis aux boursiers de grappiller quelques points supplémentaires pour accéder plus facilement à des lycées prisés.
Reste que la ségrégation sociale reste plus marquée à Paris qu'en province. Comment expliquer cet entre-soi? Pourquoi est-il important d'introduire plus de mixité sociale dans les établissements? Éléments de réponses avec le Pr Marie Duru-Bellat, professeur de sociologie à Sciences Po, spécialisée dans les sciences de l'éducation.
LE FIGARO. - Comment expliquer cet entre soi très significatif dans les lycées parisiens?
Pr Marie Duru-Bellat : Ce phénomène s'explique dans le comportement des parents qui mettent en place une « stratégie scolaire » pour le choix de l'école de leur enfant. Ceux issus de milieux instruits vont faire en sorte que leurs enfants se retrouvent dans des établissements prisés. L'objectif est que leurs progénitures aient, comme on le disait traditionnellement, de « bonnes fréquentations ». Ils veulent que leurs camarades de classe soient du même milieu pour avoir de bonnes chances de réussite. À l'inverse, les parents de milieux moins favorisés font davantage confiance au système et ne pensent pas forcément à mettre leurs enfants dans un lycée en particulier.
Peut-on parler d'un phénomène récent?
C'était déjà le cas dans les années 1980. À l'époque, il n'y avait pas tous ces classements et ces statistiques. Les mères allaient donc à la sortie des écoles pour regarder la « tête » des élèves qui fréquentaient l'établissement.
« Bien fréquenté » ne va pas toujours de pair avec « qualité »?
Pour choisir un établissement scolaire, rien ne sert de miser sur sa fréquentation. La notion d'efficacité d'un lycée ne dépend pas du profil des élèves qui y sont admis. Il faut regarder le taux brut des résultats. Vous avez des établissements en milieu populaire qui ont un très bon taux de réussite au bac. De même, un élève moyen dans un établissement « chic » ne deviendra pas plus intelligent. Ce n'est pas aussi magique. Au contraire, il se peut que le jeune ne supporte pas la pression et la compétition qui y règnent... Il faut donc penser que l'enfant sera peut-être plus à l'aise dans un établissement moins prisé mais qui encouragera plus ses élèves.
Que faudrait-il faire pour diminuer cette ségrégation sociale?
C'est avant tout une question de choix politique. On pourrait, par exemple, affiner l'effet bonus des boursiers, en fonction des échelons. Autre levier d'action: mieux orienter les jeunes issus de milieux moins favorisés. Ces derniers n'osent pas demander certaines options ou ont peur de postuler dans des lycées plus prestigieux.
Pourquoi est-il important d'entretenir une mixité sociale à l'école?
Pour éviter les ghettos scolaires et la formation de castes entre élèves. Si les jeunes issus de milieux défavorisés ont le sentiment d'être concentrés dans un même lycée, ils auront plus de "ressenti" et auront moins confiance dans le système scolaire.
(http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/07/02/01016-20140702ARTFIG00205-dans-les-lycees-parisiens-les-classes-sociales-ne-se-melangent-pas.php#xtor=AL-201)