Atlantico.fr| Atlantico.fr – 27 juin 2014
Propos recueillis par Gauthier Hulot
Le champ magnétique terrestre se serait considérablement affaibli dans certaines régions du monde. C'est du moins le constat rapporté par les trois satellites SWARM lancés en novembre dernier par l'Agence Spatiale Européenne.
Atlantico - Les trois satellites SWARM lancés le 22 novembre 2013 par l'Agence Spatiale Européenne (ASE) ont confirmé la décroissance du champ magnétique de la Terre dans certaines régions du monde. Quelles sont ces régions ? Comment expliquer ce phénomène ?
Gauthier Hulot - La région principalement concernée par l'affaiblissement du champ magnétique terrestre se trouve en Amérique du Sud, au niveau du Brésil. On constate également un affaiblissement dans d'autres régions, mais la région de l'Amérique du Sud est particulièrement intéressante étant donné que l'on observe un affaiblissement depuis au moins un siècle maintenant et qui a atteint aujourd'hui des proportions importantes.
Cette diminution d'intensité est liée à la façon dont le champ est généré, engendré dans le noyau de la terre, en grande profondeur. La partie extérieure du noyau terrestre est largement liquide et est composé de métaux conducteurs – principalement du fer mais on trouve également un peu de nickel. Il est donc par définition conducteur. Ces trois éléments, à savoir le fait qu'il soit liquide, conducteur et composé de métaux, sont connus pour être à l'origine du mécanisme de dynamo auto-entretenu observé par ailleurs dans d'autres planètes et étoiles. Ce mécanisme apparaît car le noyau se refroidissant, il s'anime de mouvement et fait bouger le métal liquide d'environ 10 km par an. Et ces mouvements eux-mêmes sont responsables de l'apparition de courants électriques à l'intérieur du noyau, courants associés à un champ magnétique. Une partie de ce champ va ensuite s'échapper de la Terre et donner ainsi vie au champ magnétique terrestre.
Si l'intensité du champ est faible en Amérique latine, c'est qu'au lieu que ce champ magnétique quitte le noyau, traverse le manteau, arrive en surface, change d'hémisphère et replonge dans le noyau – soit ce qu'il fait habituellement – il va cette fois s'arrêter à la surface et replonger dans une région où le champ est en quelque sorte inversé, c'est-à-dire qu'il revient là où il en aurait en principe dû sortir. Il y a donc moins de lignes de champ en surface et c'est pourquoi l'intensité est plus faible dans cette région.
Pourquoi le champ magnétique fait-il un tel trajet dans cette région ? Tout simplement parce que de telles anomalies peuvent se produire naturellement. Un peu comme quand il pleut, on ne sait pas très bien pourquoi soudain il pleut dans cette région précisément. On sait en tout cas que l'anomalie provient de la partie du noyau se trouvant sous le Brésil.
Atlantico - Quelles conséquences un tel phénomène peut-il avoir sur l'Homme ? Et sur les technologies modernes, notamment spatiales ?
G. H. - Pour ce qui concerne l’Homme, les conséquences ne sont pas très graves. Les particules qui circulent dans l’environnement proche de la Terre, celles qui composent la ceinture de radiation, sont stoppées par l’intensité du champ. Quand ce champ est moins intense, comme c’est le cas au-dessus du Brésil, cette ceinture descend plus bas. Ce qui signifie que les particules sont capables d’atteindre l’atmosphère en plus grand nombre dans cette région que dans d’autres. Lorsqu’elles arrivent dans l’atmosphère, la plupart vont être stoppées. Vu que nous vivons sur le sol, il n’y a a priori pas de problèmes. Cependant, ceux qui vivent en haute altitude sont susceptibles de recevoir plus de radiation. La circulation aérienne peut également être concernée par ce problème.
Concernant les technologies spatiales, le problème est que l’on se trouve au-dessus de l’atmosphère. Les satellites, et par conséquent tout ce qui se trouve à bord, c’est-à-dire l’électronique embarqué, souffrent des radiations étant donné qu’il s’agit de particules de haute énergie. Par exemple, si un électron vient frapper une mémoire, l’ordinateur de bord se trouvant sur le satellite pourra alors modifier un chiffre et introduire ainsi une erreur dans les calculs de l’ordinateur. Il existe des solutions pour contrer ces problèmes mais celles-ci demeurent encore très coûteuses.
Atlantico - Pourquoi le Brésil est-il la zone la plus touchée ? Qu'est-ce que cela induit ? Pourquoi à l’inverse certaines régions sont-elles épargnées ?
G. H. - Pour la simple et unique raison que c’est sous le Brésil que la dynamo terrestre a une zone de champ inversée. Ce n’est pas un phénomène rare dans la vie de la Terre mais il est particulièrement développé en ce moment sous l’Amérique du Sud. Concernant les régions épargnées, le champ magnétique est globalement structuré entre l’hémisphère nord et sud. Pour le coup, il n’y a pas non plus de raison, c’est juste que le champ est moins intense sous le Brésil.
Atlantico - Qu'est-ce que les satellites SWARM peuvent-il apporter d'autres comme informations sur le champ magnétique terrestre ? Que reste-t-il à comprendre ?
G. H. - Les satellites SWARM mesurent de manière générale le champ magnétique avec une précision telle qu’ils permettront de détecter le champ magnétique produit par les roches aimantées à la surface de la Terre. Ils détectent aussi les courants électriques qui circulent dans la ionosphère et dans la magnétosphère. Ils vont donc permettre d’étudier l’ensemble des phénomènes terrestres qui produisent un champ magnétique, pas seulement le champ magnétique principal. On compte ainsi compléter la carte mondiale de la distribution de l’aimantation à la surface de la Terre. Ce projet est précieux pour la géologie, pour l’étude des roches à la surface de la Terre.
On va également pouvoir voir la façon dont l’énergie, provenant de la magnétosphère et de son interaction avec les vents solaires, est injectée dans l’atmosphère terrestre. Cela pourrait éventuellement permettre de savoir si le champ magnétique exerce une quelconque influence sur le climat et la météo.
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