Le Point.fr - 10/05/2014
De notre correspondant à Genève, Ian Hamel
En puisant dans l'argent détourné de l'État pakistanais, l'ancienne Premier ministre s'était acheté une parure d'une valeur de 117 000 livres sterling.
Le Pakistan s'apprête à demander à la Suisse les millions de dollars que Benazir Bhutto, ancienne Premier ministre, assassinée en décembre 2007, et son mari, Asif Ali Zardari, ancien président, auraient détournés et dissimulés dans des banques suisses il y a deux décennies. Il ne s'agit que de la énième saison du feuilleton qui oppose les justices pakistanaise et suisse depuis des années.
À l'automne 1997, le Pakistan adresse une requête à la Suisse visant à bloquer les comptes du clan Bhutto. Benazir Bhutto, Premier ministre de 1988 à 1990, puis de 1993 à 1996, et toute sa famille sont accusées de s'être enrichies en octroyant des marchés publics contre de copieux pots-de-vin. Asif Ali Zardari, un temps ministre des Investissements extérieurs, était surnommé "Mister 10 %". Le canton de Genève bloque 60 millions de dollars, dont 12 auraient été versés par deux sociétés suisses, la Société générale de surveillance (SGS) et la Cotecna, heureuses bénéficiaires de juteux contrats au Pakistan en 1994.
Elle n'était pas la femme voilée
Le visage angélique et les sourires enjôleurs de Benazir Bhutto ne trompent guère les enquêteurs suisses qui mettent rapidement au jour une multitude de sociétés off shore, immatriculées aux îles Vierges et au Panama, et gérées par un avocat genevois. Ils découvrent que l'ancienne Premier ministre du Pakistan a puisé dans l'un des comptes pour s'offrir une parure de 117 000 livres sterling à Londres ! Benazir Bhutto, qui vit alors dans la capitale britannique, jure qu'elle n'est au courant de rien et que la vendeuse s'est trompée : ce n'était pas elle, la femme voilée, qui a acheté cette parure dans la bijouterie londonienne.
Benazir Bhutto et son mari Asif Ali Zardari (alors emprisonné au Pakistan et soupçonné d'avoir fait assassiner Mir Murtaza Bhutto, frère et rival de Benazir) ne sont pas les seuls à apprécier la discrétion des banquiers suisses. Un arrêt de la Cour de droit public de Genève du 15 octobre 2001 révèle que Nusrat Bhutto, la mère de Benazir, possède également un compte fort bien approvisionné à la Barclays Bank de Genève.
Dossier classé à Islamabad et à Genève
Benazir Bhutto et son époux sont condamnés en 2003 à six mois de prison avec sursis en Suisse pour "blanchiment". Seulement, voilà, en 2007, les États-Unis font pression sur Islamabad pour que Benazir Bhutto, toujours mise en examen au Pakistan pour "corruption" et "blanchiment d'argent", puisse revenir dans son pays. Pris au nom de la réconciliation nationale, un décret l'amnistie, de même que son mari Asif Ali Zardari.
Le 27 décembre 2007, Benazir Bhutto meurt dans un attentat. Son mari devient Premier ministre en mars 2008, puis président du Pakistan en septembre 2008. Le dossier est enterré à Islamabad comme à Genève. Daniel Zappelli, le procureur de Genève, classe la procédure, considérant qu'Asif Ali Zardari n'avait rien à se reprocher... Comme ce dernier a toujours nié détenir l'argent caché en Suisse, il n'a jamais pu le réclamer. Une petite partie des fonds saisis (3,1 millions d'euros) a alors été versée dans les caisses de l'État de Genève ! En revanche, on ignore le sort réservé au reste des sommes bloquées depuis 1997.
Que va-t-il se passer maintenant ? Après avoir vigoureusement accusé le couple Bhutto de détournements de fonds de 1997 à 2007, la justice pakistanaise l'a blanchi de 2007 à 2014. Elle décrète de nouveau qu'il est coupable. Une belle bagarre d'avocats en perspective.
(http://www.lepoint.fr/monde/les-millions-caches-de-benazir-bhutto-en-suisse-10-05-2014-1821120_24.php)
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