Kadhafi invité de la France dès demain pour 5 jours

Dans une atmosphère plutôt houleuse, la France se prépare à recevoir demain Mammar Kadhafi, le leader de la révolution libyenne, pour une visite de cinq jours.

Il aura deux entretiens à l'Elysée, le lundi et le mercredi, avec Nicolas Sarkozy. On parlera beaucoup finances, sans doute, les Français se préparant à signer avec lui un certain nombre de contrats importants. La vente d'une dizaine d'avions de combat Rafale, au prix unitaire de 50 millions d'euros, est particulièrement souhaitée, Dassault, le constructeur, éprouvant jusqu'ici les plus grandes peines à écouler son dernier joujou. Céder aussi d'autres armes à la Libye intéresse tout aussi fortement l'industrie militaire française. Des commandes également d'avions Airbus seraient aussi les bienvenues. En revanche, la fourniture d'un réacteur nucléaire, tant souhaitée par Tripoli, ne semble guère être appréciée tant du côté des partenaires européens, notamment allemands de Paris que du côté israélien. Bien que Sarkozy se soit prononcé déjà, à Tripoli, Rabat ou Alger, pour un possible transfert de technologie en la matière, les craintes sont vives sur la rive nord de la Méditerranée que le combustible traité demain par ces trois et même quatre capitables, l'Egypte étant également intéressée, de la rive sud ne puisse être détourné à des fins militaires.

En attendant, Sarkozy, qui se dit heureux - quoique du bout des lèvres - de recevoir dès demain Kadhafi, doit vaincre les résistances qui se forment d'ores et déjà contre la venue de son hôte. Le PS, en particulier, que les propos prononcés à Lisbonne par ce dernier, au sujet des terroristes et du colonialisme, ont totalement désarçonné, entend refuser d'accueillir le visiteur à l'assemblée nationale.

Kadhafi, qui, pour son séjour, a déjà fait installer sa tente bédouine dans le parc de la résidence officielle de l'hôtel Marigny, se propose, en tout cas, de recevoir des "intellectuels", des Africains résidant en France, de nombreuses femmes. Il compte, par ailleurs, visiter le château de Versailles et participer à une partie de chasse.

Dans un cortège d'une centaine de véhicules qui l'ont accompagné depuis l'aéroport, où Michèle Aliot-Marie avait été chargée de l'accueillir, le dirigeant libyen est donc rentré à Paris, cet après-midi.

Il faut croire que l'isolement, dans lequel il s'était trouvé jusqu'ici, avait tellement pesé sur lui qu'il s'est résolu, sans grand état d'âme, à venir rencontrer son hôte, le président français. Car, à observer le tollé, non moins prévisible, soulevé par sa visite en France, notamment à gauche, ses conseillers les plus sûrs auraient dû le dissuader carrément de faire le voyage.

Les médias à eux seuls regorgent d'articles rouvrant de vieux dossiers poussiéreux, comme ceux du Lockerbie, du Ténéré, etc., pour rappeler au besoin que l'invité de l'Elysée n'est autre qu'un "terroriste odieux" qui n'a pas à être admis en France. Les Hollande, Ayrault, Moscovici, Royal et autres responsables les plus en vue du Parti socialiste se sont unis avec des Bayrou, Lellouch et autres Bernard Henri-Lévy dans le même geste de considérer Kadhafi persona non grata dans leur pays.

Même au sein de l'UMP, où l'on éprouve pourtant quelque gêne à contrarier Nicolas Sarkozy qui avait lancé lui-même l'invitation, il s'est trouvé sous divers prétextes des voix prêtes à rejeter les contrats commerciaux pourtant mirifiques projetés avec Tripoli. Ramada Yade, secrétait d'Etat aux Droits de l'homme, s'est même essayée ce matin, auprès de Sarkozy, en évoquant notamment la foison d'atteintes aux droits de l'homme commises en Libye, d'influer sur sa décision de recevoir son visiteur.

Dans un tel contexte aussi pesant qu'insoutenable, n'eût-il pas été plus sage pour ce dernier de remettre en cause son séjour en France ?

Au terme de sa première journée à Paris, Kadhafi a donc signé, à la satisfaction de ses hôtes, des contrats pour 10 milliards d'euros. 21 avions Airbus de différents types prennent à eux seuls le tiers de ce montant. "La fourniture d'un ou plusieurs réacteurs nucléaires pour le dessalement de l'eau de mer" ayant été discutée, en juillet dernier, trouve désormais sa confirmation. Quatorze avions de combat Rafale sont également inclus dans les contrats négociés, ainsi que 35 hélicoptères, 6 navires, plusieurs véhicules blindés, des radars et enfin la remise à niveau des Mirage F-1 acquis de longue date déjà par Tripoli. Parallèlement, d'autres contrats non évalués et d'objets non précisés ont été aussi paraphés avec Vinci (BTP), Arevé (Electricité) et Veolia (Eau).

Au plan politique, Kadhafi a eu ce matin un entretien avec Acoyer, le président de l'Assemblée nationale, entouré d'une cinquantaine de députés UMP, les socialistes ayant boycotté la réunion.

Le voyage de l'indésirable Kadhafi en France n'a pas créé seulement des dissensions au sein du gouvernement et de la majorité UMP, les uns le trouvant bénéfique, en vertu des contrats mirifiques qu'il laisse espérer, les autres refusant tout simplement d'assujettir le lourd contentieux de la Libye à des questions d'argent. Il a fini néanmoins par agacer beaucoup de monde, y compris dans le camp adverse du Parti socialiste.

Par ses excentricités trop apparentes, par ses mensonges ou la légèreté de son propos, par le mépris surtout qu'il accuse pour les questions principalement des droits de l'homme, Kadhafi s'est montré, en tout cas, déplaisant et surtout peu fréquentable.

Du coup, certains esprits s'interrogent même sur la véracité de ces contrats qui, à première vue, semblent par trop surévalués. Jugeons-en :

* Au plan militaire, toutes les dépêches s'accordent à ne rien savoir de précis, quant à la désignation du matériel négocié et à sa valeur. Cela laisse entendre que ces données restent à déterminer dans des négociations ultérieures. Autrement dit, des quatre ou cinq milliards d'euros prévus sur ce chapitre, rien n'est officialisé jusqu'ici.

* Du point de vue des travaux à entreprendre là-bas en Libye, apparemment les entreprises directement concernées, comme Areva, Vinci et Véoli, sont plutôt invitées à soumissionner aux côtés de leurs consoeurs aux appels d'offres internationaux que les Libyens vont sans doute entreprendre dans les semaines ou les mois à venir. Mais, de tangible, rien non plus, là-dessus, n'aurait été jusqu'ici matérialisé par contrat.

* Les centrales nucléaires, prévues pour le dessalement de l'eau de mer, relèveraient, elles aussi, d'un projet de longue haleine qu'il faut encore étudier de près, dans un contexte politique non exempt de pressions s'exerçant d'ores et déjà au sein même de l'Europe, la question de non prolifération nucléaire se posant désormais avec une grande acuité.

* Le contrat enfin des 21 Airbus, à hauteur de 2 à 3 milliards d'euros est le seul ayant en vérité quelque consistance. Or, la commande de ces appareils ayant été exprimée dans les mêmes formes lors du salon du Bourget, il y a plusieurs mois, les observateurs en viennent à se demander, en fin de compte, si les contrats libyens ne sont en réalité que de la mystification.

"Vivement que ce cauchemar se termine !" C'est bien le mot devenu courant dans la bouche des Parisiens, particulièrement agacés par les désagréments liés aux déplacements de leur hôte par trop envahissant. Sorti en péniche sur la Seine, pour visiter la capitale française, Kadhafi a imposé le long de son parcours la fermeture quasiment de tous les ponts sous lesquels son passage était annoncé.

Pour Arnaud Montebourg, apostrophant Bernard Kouchner à l'Assemblée nationale : c'est "une farce tragicomique". Jean-Marc Ayrault, fustigeant la présence même de kadhafi en France, estime, lui que : "si cela continue, cette visite va se terminer en mascarade". Ségolène Royal est allé plus loin, en rejetant sur Sarkozy la faute de son invitation : "Cette présence n'était pas recevable ni acceptable".

Toutes ces critiques n'ont en rien refroidi le visiteur libyen qui a poursuivi normalement ses entretiens, d'abord avec les femmes d'Afrique du nord, ensuite avec près d'une centaine de patrons, avant de rencontrer pour la seconde fois Sarkozy à l'Elysée. Là, on a encore reparlé de l'Union méditerranéenne qui, apparemment, semble bien intéresser Kadhafi. Il aura été jusqu'ici le seul de la rive sud qui s'en soit déclaré.

Les Français, enfin, n'ont plus qu'un peu plus d'une journée à souffrir encore sa présence : il devra regagner Tripoli samedi.

Pendant que Kadhafi vaque mollement à ses occupations touristiques à travers Paris, en attendant de partir demain pour une autre visite à Madrid, les autorités françaises commencent à s'aboucher avec leurs homologues de Washington pour leur demander les autorisations indispensables pour céder à la Libye, d'ici l'été prochain, des avions de combat Rafale dont certains composants viennent directement des Etats-Unis.

Connaissant le peu de sympathie que Bush et son équipe témoignent à l'égard de Tripoli, il est fort à craindre qu'il faille attendre l'arrivée du prochain président américain, sous réserve encore que ce dernier n'y fasse pas quelque objection, pour avancer dans les négociations portant sur la toute première vente de cet avion.

Rafale étant de plus un concurrent potentiel direct du F-16 américain, il est encore possible que la défense d'intérêts commerciaux chauvins prenne le pas sur des considérations politiques justifiant pour Washington son éventuel véto à la conclusion de cette transaction commerciale.

Moralité : au sein du bloc occidental, il n'est pas sûr, en mettant en concurrence tel pays vendeur d'armes de guerre à tel autre, que l'on se sorte d'un labyrinthe où les intérêts trop souvent entrecroisés répondent à d'autres soucis plus politiques qu'économiques.