Le Soir d'Algérie a publié aujourd'hui un document de Ouali Aït-Ahmed, ancien sous-lieutenant de la wilaya III, qui évoque la date du 5 juillet. Le voici, in extenso :
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Beaucoup d’encre a coulé à propos de la date de la proclamation de l’indépendance de l’Algérie et ce, depuis, déjà, des décennies. Récemment vu qu’un séminaire a été organisé par le CNRPAH, à Alger, à l’occasion du Cinquantenaire. Il a fait l’objet d’un article de Sofiane Aït Iflis, dans le quotidien Le Soir d’Algérie (édition du lundi 2 juillet 2012).
Dans cet article, il est rapporté toute la science mise pour concocter condiments et épices afin de servir à chaud, aux assistants, aux séminaires et aux lecteurs, le mets sans cesse réchauffé, du 5 Juillet. Pour cela, Fouad Soufi de l’Université d’Alger n’a pas hésité à s’appuyer sur deux faits qu’il pense irréfutables, à savoir l’écrit du journal El Moudjahid, en 1960 qui dit que « le 5 Juillet est une date qu’il faut effacer de l’histoire d’Algérie ». Plus loin, il souligne que « cette position ne restera pas immuable » puisqu’à la suite de la grève générale, le 5 juillet 1961, décrétée par le GPRA contre la partition de l’Algérie, le 5 Juillet n’était plus désormais considéré comme « une journée de deuil ».
Dans le paragraphe suivant, le même conférencier fait du 5 Juillet un référent du fait des « liesses populaires suscitées par un discours de De Gaulle » où il prit acte du référendum d’autodétermination du 1 juillet 1962 « que le président Ben Bella décrète, en 1963, 5 Juillet comme fête légale » !...
En conclusion, M. Fouad Soufi récuse « la thèse de ceux qui estiment que la date véritable de l’indépendance nationale est le 3 juillet » tels sont le montage et la démonstration d’un intellectuel, spécialisé en histoire…, pour consolider une thèse échafaudée par un des deux clans qui se disputaient le pouvoir, à visage découvert, lors du congrès de Tripoli en juin 1962.
Dans ses joutes oratoires, le conférencier a totalement oublié son rôle de scientifique et de chercheur en histoire pour entrer de plain pied et investir le champ politique. De par sa spécialité, il ne doit nullement ignorer tout le danger qu’il y a à faire la confusion entre le champ historique et le champ politique au risque de superposer l’un sur l’autre. Le faire, c’est s’exposer à des critiques acerbes pouvant aller à d’éventuels dérapages soupçonnant l’auteur de cligner de l’œil pour un strapontin hypothétique.
Nous savons tous que l’histoire se fait par le combat des hommes et des femmes qu’ils soient politiques ou militaires du fait que les deux domaines font un tout indivisible, dans un mouvement d’ensemble cohérent et homogène. Mais son écriture reste du domaine des spécialistes en histoire, dans une approche neutre et objective. Les archives, les témoignages écrits ou oraux, les documents privés ou publics doivent servir d’agrégats pour un recoupement intelligent et efficient, la logique devant servir d’instrument de mesure.
Parler d’effacement d’une date de la mémoire collective, durant les années de braise ou en temps de paix, c’est purement et simplement falsifier le cours de l’histoire.
Si le mensuel El Moudjahid, du FLN-ALN, l’a écrit en 1960, c’était pour galvaniser les énergies des combattants et galvauder les efforts de tout un chacun, afin d’arracher une victoire à même de faire oublier le 5 juillet 1830, date de l’abdication du dey Hussein, et non du débarquement des troupes d’invasion qui a eu lieu le 14 juin 1830.
Donc, s’il y a une date à abhorrer le plus c’est le 14 juin 1830 où Sidi-Fredj a été foulé aux pieds d’une armada, sous le commandement du maréchal De Bourmont.
En outre, nous devons effacer de nos mémoires le nom du signataire de sa défaite qui n’a pensé qu’à protéger les membres de sa famille et à préserver son trésor en empruntant, le lendemain, 6 juillet, le navire Jeanne d’Arc, affrété pour son vainqueur, à destination de Naples (Italie). Et dire que tout un quartier de la capitale porte son nom, depuis la colonisation.
D’autre part, le président de la République française le général de Gaulle — tiens, tiens ! Un président civil précédé d’un grade de l’armée ! — n’a pas attendu le 5 Juillet 1962 pour prendre acte de l’indépendance de notre cher et beau pays.
Il l’a fait le 3 juillet 1962, au moment même où le président du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), Benyoucef Ben Khedda en faisait la proclamation, à partir de Tunis, siège de l’institution exécutive de la Révolution.
Et cette proclamation de l’indépendance n’a pas été faite d’une façon fortuite ou malencontreuse. Elle l’a été à la suite des résultats du référendum du 1er juillet 1962 et annoncés le lendemain, 2 juillet 1962.
Ces liesses populaires n’ont pas attendu le 5 juillet pour envahir les rues et les artères des villages et des villes du pays qui venait de recouvrer sa souveraineté. C’était un raz-de-marrée de joie et de klaxons, durant plusieurs jours, faisant suite à celui du 19 mars 1962, date de la victoire.
La date du 5 Juillet a été retenue en 1963, par esprit de contradiction, dans le cadre de la lutte des clans, commencée déjà en sourdine, avec l’assassinat de l’architecte de la Révolution Abane Ramdane, le 27 décembre 1957, pour se terminer en catastrophe, en juin 1962, lors du congrès de Tripoli où Ahmed Ben Bella vociférait et gesticulait, d’une façon grossière et indigne.
Tous les efforts sont tendus pour effacer de la mémoire collective les héros de la guerre de Libération, y compris leur œuvre monumentale, à savoir la proclamation du 1er Novembre 1954 dans son texte original, la plate-forme de la Soummam, les dates du 19 mars 1962 la joie n’a été vécue que par les combattants de l’intérieur, les détenus libérés et les populations emprisonnées dans des centres de regroupement. Il fallait proscrire les noms de Abane Ramdane, de Krim Belkacem, signataire des accords d’Evian, de Benyoucef Ben Khedda, dernier président du GPRA à qui revenait l’honneur de la proclamation de l’indépendance, le 3 juillet 1962.
Couvrir une date — le 5 juillet 1830 — par une autre fictive — le 5 juillet 1962 — procède de la pire falsification de l’histoire. Seule la vérité est révolutionnaire.
Nous devons, au contraire, instruire nos enfants sur les causes et les faiblesses qui ont amené nos ancêtres à capituler devant les différents envahisseurs. Et l’une des causes importantes, sinon la principale, c’était la dispersion des rangs, le sauve-qui-peut et le manque flagrant de l’unité nationale.
Si je suis aussi affirmatif dans cet écrit, c’est que j’ai vécu la période transitoire, qui s’étalait du cessez-le-feu (19 mars à midi et non à minuit, comme le disent certains qui le confondent avec minuit du 1er Novembre 1954) en plein dedans, en langage populaire. Cela m’amène à en parler puisque peu d’écrits existent sur la composition et le rôle des commissions mixtes de cessez-le-feu.
Après notre sortie, le 22 mars 1962, du PC de Wilaya, installé à Bounamane (commune de Zekri) face au poste militaire de Azouza (Aït-Chafaâ), nous nous dirigeâmes, sous la conduite du colonel Si Mohand Oulhadj, dit Amghar, vers deux destinations différentes, après avoir eu un mort – Si Mohand Amiziane — et un blessé — Si Beramdane — de par la faute d’un capitaine de zone et de son escorte, qui n’ont pas obéi aux instructions du respect du cessez-le-feu, en nous tirant dessus, croyant avoir affaire à des soldats français.
Le colonel, chef de la Wilaya III, qui venait de perdre son épouse, se dirigeant avec un détachement, vers son village natal Bouzeguen. Le deuxième détachement, dont je faisais partie, prit le chemin de Tigoutine (Ath Fliq).
Une semaine après, les deux détachements se ressoudaient au village Ait Bouadda (Azazga). Nous ne tarderons pas à transplanter le PC de Wilaya, au hameau de Tinqicht, village de Cheurfa N’bahloul (Azazga).
Le 2 avril 1962, notre colonel nous invita à accueillir le commandant Mohammed Allahoum qui devait arriver par hélicoptère à Aït-Bouhini (Yakouren). Là, se tint une réunion pour définir le rôle et les attributions des commissions mixtes de cessez-le- feu, instituées à trois niveaux (national, wilaya historique et départementale).
Ces commissions mixtes étaient composées, à nombre égal, d’officiers de l’armée française et d’officiers de l’ALN. Si le commandant Ahcène Mahiouz et le capitaine Hamel étaient installés le jour même, au niveau de la Wilaya III historique, nous le serons à notre tour – Izri Mohand Oubelkacem, Aït-Ahmed Ouali et Siagh Saïd — au niveau du département de la Grande- Kabylie (wilayas actuelles de Tizi-Ouzou, Bouïra et une grande partie de Boumerdès)). Il en sera de même pour ceux du département de Sétif, Béjaïa et Bordj-Bou-Arréridj (Hadi Ali Boubekeur, Ferhani Abdennour, Adjaoud Rachid, Atoumi Djoudi qui seront rejoints, par la suite, par Mouloud Ben Moufok).
Du fait des réunions à tenir avec nos vis-à-vis français, le colonel nous a acheté des costumes, chemises, cravates et chaussures. Si nous avons installé notre PC chez Timsiline Mohamed au village Ath-Ziri (Aïn-El-Hammam) avec une section de protection, celle de l’est de la Wilaya III historique l’a été au niveau d’Igrane, chez Arezki Hmimi.
En accord avec les trois officiers français, dont un capitaine, nous avons convenu de nous réunir, une fois par semaine, à l’école d’Aït-Hichem, récemment libérée par la SAS. En outre, les délégations seront renforcées une fois tous les quinze jours par deux officiers supérieurs du côté français (un commandant et un colonel : le colonel Derienic) et deux officiers (le commandant Ahcène Mahiouz et le capitaine Lamara Hamel), de notre côté.
Nos réunions portaient sur les solutions à mettre en application pour résoudre d’éventuels incidents entre nos combattants et les soldats français. Bien entendu, pour en éviter, des instructions étaient données de part et d’autre pour réduire les contacts entre les adversaires d’hier : en aucun cas les soldats ne devaient sortir de leurs postes, si ce n’était en convoi pour se ravitailler. De notre côté, aucun maquisard en tenue militaire ne devait rentrer dans un village doté d’un camp militaire.
Il est à préciser qu’entre deux réunions successives, nous parcourions le territoire de la Grande-Kabylie, M’Barek N’Ath Atelli (Larbaa-Nath-Irathen) mettait à notre disposition sa Peugeot 404.
Et dans nos déplacements, toujours armés de PA, la vigilance était de rigueur, car l’OAS (Organisation de l’armée secrète), créée en 1961 à Madrid, ne cessait d’activer, en mitraillant ou en posant des bombes.
Ce climat de tension baissa d’un cran, lors de la signature le 17 juin de l’accord entre cette organisation terroriste et le président Abderrahmane Fares de l’exécutif provisoire chargé de la gestion de la période transitoire. En outre, dans nos tournées, nous contactions les responsables municipaux pour suivre l’évolution dans l’établissement de listes électorales.
Lors des réunions hebdomadaires avec les officiers français, nous nous retenions pour éviter de nous serrer les mains. Ce n’était qu’à la dernière réunion, tenue le 30 juin 1962, que des amabilités ont été échangées de part et d’autre, et ce, après la prise de parole par le colonel Derienic et du commandant Si Ahcène Mahiouz, dont je rapporte fidèlement la teneur ci-après :
- Le colonel Derienic : « Mon commandant, j’ai appris à vous apprécier durant les deux mois et demi que nous avons passés ensemble. Je me permets de vous faire part de notre appréhension de vous voir à la tête de la Wilaya III, durant les années de plomb. Inéluctablement, l’Algérie aura son indépendance, après le référendum d’autodétermination prévu pour demain, 1er juillet. Mais, permettez-moi de vous dire que vous vous entredéchiriez. »
- Le commandant Si Ahcène Mahiouz : « Merci pour l’éloge. Laissez-nous nous entredéchirer, pourvu que vous partiez pour ne plus revenir !... »
Le lendemain, se déroula le référendum. Le surlendemain, le 2 juillet 1962, les résultats sont publiés. Le 3 juillet, la proclamation de l’indépendance est faite par la voie des ondes, à partir de Tunis par Benyoucef Ben Khedda. De Gaulle en prit acte au même moment, à partir de Paris.
Je conclus, sans commentaire, par le titre de cette mise au point « Maâza wa law târet » et 5 juillet wa law de 1830, puisqu’il est de notre nature d’Algérien de mépriser tout ce qui vient de nous, pour porter aux nues tout ce qui vient de l’étranger, à tel point que nos terres restent incultes comme l’est d’ailleurs notre pensée.
Il est vrai, qu’avec le temps qui s’écoule inexorablement, des faisceaux de lumière sont projetés pour éclairer des zones d’ombre. Le 5 juillet 1963 n’est que la suite logique d’évènements troubles ayant commencé en 1950, avec l’affaire de la poste d’Oran où Ahmed Ben Bella a fait une déclaration écrite qui allait au-delà de ce que pouvait attendre la police coloniale.
Son «évasion» de la prison, en 1953, suscite des interrogations, son opposition au contenu de la plate-forme de la Soummam, notamment ce qui concerne la primauté de l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire, n’a fait que pousser le bouchon. Son arrestation, avec ses quatre compagnons, le 22 octobre 1956, alors qu’il était le seul armé d’une mitraillette, et sa médiatisation par Le Caire et Paris portant aux nues son nom, alors que Mohamed Boudiaf était le chef de la délégation, en disent long.
Ses propos grossiers et tonitruants lors du congrès de juin à Tripoli et l’aide reçue en armes de la part de Gamal Abdenacer, en avril 1962, et la France coloniale, en sourdine nous donnent froid dans le dos et nous appellent à une méditation profonde sur le pourquoi du glissement du 3 au 5 juillet de la fête de l’indépendance.
Mais l’histoire est têtue comme une mule : qu’on l’enterre ou qu’on l’immerge dans les eaux profondes de l’océan, elle finit toujours par redresser la tête pour nous narguer ! N’est-ce pas un cadeau à l’ancien occupant que célébrer la prise d’Alger.
La reconduction du sigle FLN n’était-elle pas faite pour la traîner dans la boue et le salir, lui qui n’était pas préparé pour la gestion des affaires de la cité, malgré son héroïsme et sa gloire durant le combat libérateur ? En somme, c’est une façon de lui faire plier les genoux, lui qui a triomphé de la France coloniale ! Il est vrai qu’à médaille de mérite militaire donnée, la soumission du bénéficiaire est assurée sans qu’il n’y ait eu aucun intérêt pour les maquis de l’ALN du fait que l’intéressé séjournait au Caire jusqu’en octobre 1956 et en prison d’Aulnoy (France) jusqu’au cessez-le-feu qui verra une lutte sans merci s’engager pour la prise du pouvoir.
O. A.-A.