
La rencontre organisée, aujourd’hui, devant l’Arc de triomphe, à Paris, par les pieds-noirs, pour commémorer massivement les tueries du 26 mars 1962 à Alger, me donne l’occasion d’évoquer le souvenir de cet événement aussi douloureux que fâcheux qui a sinon décidé le président de Gaulle, du moins pesé sur sa volonté d’en finir avec l’« Algérie de papa ».
Peu de gens se souviennent, en effet, de cette dernière révolte sanglante des pieds-noirs, sur la Place de la Grand’poste, au centre d'Alger.
Ce jour-là, par centaines, puis par milliers, des grappes humaines s’étaient rapidement formées à l’entrée, côté poste, de la rue d’Isly (aujourd’hui Benmehidi), dès le début de l’après-midi.
Gagnés par la colère, née quelques jours plus tôt de l’annonce impromptue du cessez-le-feu intervenu, le 19 mars, au terme de multiples et difficiles négociations entre le GPRA et les autorités françaises, les pieds-noirs, d’Alger principalement, s’étaient mis en tête de faire publiquement la démonstration de leur résolution à remettre en cause ce même cessez-le-feu qui venait vraiment de les prendre de court et de fausser leurs calculs diaboliques.
Pour contenir cette marée humaine, débordant sur les rues avoisinantes, qui se proposait d’en découdre au besoin par les armes avec le gouvernement français, les autorités de maintien de l’ordre leur avaient opposé des centaines de troufions, relevant essentiellement de la future Force locale qu’on commençait alors à organiser en prévision de l’indépendance du pays. Or, cette force locale se composait en majeure partie d’Algériens autochtones qui avaient été sélectionnés parmi les dernières recrues du contingent et qui brûlaient, eux-mêmes, d'envie de fermer le caquet à ces agités.
Un incident provocateur finit par mettre rapidement le feu aux poudres, au sein des jeunes écervelés se réclamant de plus de l’OAS, cette maudite organisation criminelle qui avait déjà commencé à mettre Alger à feu et à sang, tuant sans discrimination hommes, femmes et enfants autochtones ayant le malheur de traverser simplement leur immense territoire s’étendant depuis la Casbah jusqu’aux approches de Belcourt. Des balles crépitent subitement des fenêtres surplombant la place des Glyères pour donner le signal d’un échange nourri de tirs d’armes automatiques. Les fusillades, enfin, ne purent s’arrêter qu’au terme des criaillements d’un homme dont l’on ne sait toujours pas ni le nom ni la raison de sa présence sur les lieux. « Cessez le feu ! Cessez le feu !» suppliait-il les protagonistes, à gorge déployée.
C’est seulement le lendemain que l’on apprendra par la presse le nombre de victimes civiles : 46 morts et des centaines de blessés ont été officiellement dénombrés, en sus des soldats tombés sous les balles des révoltés et dont on taira toujours le nombre exact. Les pieds-noirs parlent toujours, eux, de quelques cinq cents morts dans leurs rangs, sans apporter toutefois la preuve de leurs allégations.
Du coup, au lieu de se porter à Bab-el-Oued pour y drainer et soulever davantage de monde, comme il avait été convenu auparavant, afin de faire pression sur de Gaulle pour l’amener à annuler l’engagement pris vis-à-vis du GPRA, les extrémistes pieds-noirs cédèrent au besoin de s’occuper de leurs victimes, en les conduisant vers les hôpitaux, remettant ainsi à plus tard le tour de force d’aller braver les forces de l’ordre dans ce même Bab-el-Oued, où les attendraient de nombreux autres groupuscules de l’OAS, n’ayant aucun scrupule à jouer à leur tour de la gâchette contre les services d’ordre. Mais là, ce sera une autre histoire...