Rue89.com - 16.03.2012
par Gilles Rubin
(De Jérusalem) Depuis presque dix ans, Philippe Karsenty accuse Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem, d'avoir sciemment truqué un reportage sur la mort d'un enfant palestinien de 12 ans, Mohamed al-Dura, devenue un symbole de la « martyrologie » palestinienne.
Aujourd'hui adjoint (divers droite) au maire de Neuilly, Philippe Karsenty a acquis une notoriété internationale en multipliant les conférences et les déclarations destinées à faire reconnaître sa vérité sur l'affaire al-Dura.
Il souhaite aussi faire son entrée à l'Assemblée nationale. Pour la première fois, en 2012, des députés seront élus, en juin, pour représenter le million des Français de l'étranger.
Candidat aux législatives pour la 8e circonscription des Français de l'étranger (Israël, Italie, Grèce). Philippe Karsenty tenait mercredi soir une réunion à Jérusalem. Organisée par son comité de soutien, cette rencontre avec les Français de Jérusalem a regroupé une cinquantaine de personnes, pour la plupart déjà convaincues de la justesse du combat menée par Karsenty contre « les mensonges et la propagande des élites médiatiques et politiques qui diabolisent Israël ».
L'ambiance dans la salle était conviviale, la majorité des auditeurs – plutôt âgés – se connaissaient, et Philippe Karsenty tutoyait presque tout le monde. Visiblement étonné par ma présence, il est même venu me voir au début de sa conférence pour faire connaissance.
En campagne depuis un an et crédité de 75% des intentions de vote (selon les sources qui lui sont favorables) en Israël, qui regroupe 57% des inscrits de la 8e circonscription, le candidat se présente comme le champion de la vérité et de la transparence, façon David contre Goliath, combattant obstinément « toutes les dérives anti-israéliennes, antisionistes et antisémites ».
Anti-sarkozyste et électeur de Nicolas Sarkozy
Séducteur et bateleur, Philippe Karsenty s'avère être un excellent communicant, adepte des phrases chocs et des accusations ad personam qui ravissent son auditoire.
Jacques Chirac, qui « adore les juifs morts » (les déportés), est ainsi qualifié « d'ami des dictateurs arabes, à qui il a vendu des armes pour détruire Israël ».
Alain Juppé en prend aussi pour son grade mais Nicolas Sarkozy est l'une des cibles favorites de M. Karsenty : il se déclare « furieux » contre le président de la République, un « incompétent, superficiel et inculte [qui] ne comprend rien au Proche-Orient ».
La politique étrangère de Sarkozy est pour lui une « catastrophe absolue », son conseiller diplomatique Jean-David Levitte « se fait passer pour un juif alors qu'il est foncièrement hostile à Israël », et le Quai d'Orsay mènerait une politique antisémite depuis 200 ans…
Le paradoxe, que même certains de ses supporters ne comprennent pas, c'est qu'à la prochaine présidentielle, M. Karsenty votera pour Nicolas Sarkozy car, par élimination, il serait le moins mauvais des candidats.
Face à Hollande qui s'allie au « nazillon » Mélenchon et à Eva Joly la « vert-de-gris » (surnom donné pendant la Seconde Guerre mondiale aux soldats allemands), Sarkozy serait le moindre mal, la « grippe » plutôt que la « peste ou le choléra ».
Pourtant, Nicolas Sarkozy est « détestable », il a validé depuis cinq ans la « politique médiatique anti-Israël », soutenu « la reconnaissance de Stéphane Hessel », fait décorer Charles Enderlin de la Légion d'honneur en 2009, l'UMP et « les réseaux élyséens » seraient même intervenus auprès de la Cour de cassation pour que sa relaxe dans l'affaire al-Dura soit annulée – la preuve serait que Valérie Hoffenberg (candidate UMP contre Karsenty) se féliciterait de cet arrêt de la Cour et serait un soutien inconditionnel de Charles Enderlin.
Tel Jacob, Philippe Karsenty symbolise la vérité
Revendiquant sa victoire dans la bataille juridique qui l'oppose à France 2 et Charles Enderlin (il ne reste que « des points de détail » à régler), Philippe Karsenty insiste sur le fait qu'un député est élu pour représenter des valeurs, défendre des idéaux, et dénoncer les mensonges du microcosme politico-médiatique, mais pas pour défendre une communauté particulière.
L'affaire al-Dura constitue pour lui un exemple de ses actions futures en tant que député, démontre son obstination à faire avancer des causes justes, et souligne sa capacité à mener des combats politiques pour le triomphe de la vérité, même si pour cela, il doit s'opposer à des institutions puissantes.
Dans le cas de l'affaire al-Dura, ne comptant ni son temps ni son argent, il affirme s'être battu seul contre tous pour le triomphe de la vérité :
* contre le Crif de Théo Klein (aujourd'hui « sénile président du déshonneur » du Crif qui s'oppose au « remarquable » Richard Prasquier) ;
* contre l'ambassade d'Israël et l'ancien ambassadeur à Paris Daniel Shek (« un franc-maçon d'extrême gauche ») ;
* contre « le puissant et influent » Jacques Attali (lui aussi classé à l'extrême gauche…) ;
* enfin, contre les gouvernements français et israélien.
À ceux qui lui rétorquent qu'un député non-inscrit n'a aucun poids à l'Assemblée nationale, Karsenty répond que dans ce « panier de crabes, [il a] les plus grosses pinces » et qu'il saura le cas échéant former des coalitions transpartisanes pour réussir sa mission.
Les médias, menace stratégique pour Israël
Face à un auditoire ravi, il explique également que le principal champ de bataille est médiatique, que pour faire évoluer la politique étrangère française, il faut d'abord faire évoluer les mentalités.
Or, les médias ayant une influence considérable, il faut avant tout lutter avec les mêmes armes afin d'avoir de la visibilité et de pouvoir faire échouer « le lavage de cerveau anti-israélien ».
Dès lors, pour lutter contre la « désinformation », il faut arriver à modifier les termes du débat. Par exemple :
* les colons sont des « pionniers qui font fleurir le désert » ;
* la Cisjordanie est la Judée-Samarie, sont bien des territoires occupés… mais illégalement par les « squatters » arabes ;
* la Jordanie fait partie de la Palestine historique ;
* comme l'affirmait Newt Gingrich en décembre 2011 le peuple palestinien n'existe pas ;
* les accords d'Oslo « ont mis Israël à genoux » face à ses ennemis ;
* la seconde intifada était « la guerre terroriste des Arabes contre Israël » ;
etc.
À la fin de la réunion, plusieurs spectateurs interviennent. Je découvre ainsi Jacques Kupfer (membre de l'Exécutif sioniste mondial, coprésident du Likoud mondial et président du Bloc national des juifs francophones) qui enflamme la salle en appelant « à libérer le Gush Katif, à réclamer la Transjordanie comme territoire israélien, à faire régner la loi de la Torah en Judée-Samarie, et à voter très à droite lors des prochaines législatives israéliennes afin de faire triompher [leurs] idées ». [Il était autrefois leader du Likoud de France, sur un positionnement nationaliste et d'extrême droite, ndlr.]
Pour terminer, Philippe Karsenty offre à tout le monde un exemplaire de « L'Affaire al-Dura ou du bon usage de l'indignation », un court pamphlet de Samuel Nili critiquant « les vertueux censeurs d'Israël » (tiré de son livre « Retourne en Palestine »).
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L'affaire al-Dura : une obsession
Dans l'affaire al-Dura, Philippe Karsenty et ses partisans traquent, sur les images du reportage de Charles Enderlin, les moindres preuves (farfelues), celles qui peuvent aller dans leur sens. C'est devenue une obsession. Ils voient, par exemple, un chiffon rouge quand il y a du sang. Pour eux, l'enfant n'est pas mort. L'écrivain Guillaume Weill-Raynal parle d'une « maladie psychiatrique ». NLB
Karsenty a divisé l'UMP en Italie
En Israël, Karsenty a des chances de faire un bon score. Plus étonnant : en Italie (35% des électeurs inscrits de la 8e circonscription), il a réussi à diviser... Dominique Sicouri, la vice-présidente de l'UMP, a décidé de le soutenir au lieu de Hoffenberg. Elle a essayé de convaincre le président de l'UMP, Alexandre Bezardin, de la suivre. Il a résisté : « Je ne laisserai pas [Hoffenberg] tomber en cours de route », dit-il à Rue89. Il assure que le soutien de Sicouri à Karsenty n'aura que peu d'influence : « C'est moi qui ai les réseaux. » Le président UMP en Italie, certain de faire gagner sa candidate, rappelle qu'il y a plus d'électeurs inscrits en Israël, mais qu'ils se mobilisent moins lors des élections (41% au second tour en 2007, contre 19% en Israël). NLB