Le Soir d'Algérie - 26.01.2012
Reportage réalisé par Mehdi Mehenni
Le jeu malsain des GGF marocains
Maghnia. 24 janvier 2012. Il est 00h30. À quelques centaines de mètres du poste avancé El Akid Abbas, un simple tracé d’herbes sauvages sépare la terre d’Algérie du sol marocain. La patrouille des gardes frontières algériens repère trois véhicules suspects à une centaine de mètres, du côté du royaume chérifien. Non loin, des lumières surgissent d’une modeste bâtisse. Une sur la terrasse, deux sortent derrière un mur. El-Mkhaznia braquent leurs torches sur le cortège des GGF algériens, plutôt que sur les contrebandiers stationnés à une cinquantaine de mètres de leur point d’observation !
Les trois voitures, dont la coupe se rapproche de la Renault 21, éteignent leurs phares et attendent paisiblement que la patrouille nocturne algérienne disparaisse pour traverser la frontière. « Ils transportent certainement de la drogue », dira un gendarme. De leurs torches, El-Mkhaznia inspectent le nombre de véhicules des gardes frontières algériens de passage. Il y a quelque chose qui bouge chez le voisin algérien. Il est impératif de cerner l’objet de la visite.
Les contrebandiers en retraite ne semblent point préoccuper El-Mkhaznia, qui [paraissent] plus intéressés à surveiller les mouvements des GGF algériens qu’à mettre la main sur les trafiquants. Le business en jeu ! Y a-t-il eu prise de marchandises ou arrestation de contrebandiers chez les Algériens ? Telle est la question qui semble tourmenter El-Mkhaznia ! Un gendarme algérien renvoie l’ascenseur et balaie de sa torche El-Mkhaznia figés sous leur bâtisse. Histoire de dire : « Je vous ai compris ! ».
Pour quelques dirhams de plus !
Pendant ce temps, les trois véhicules des contrebandiers demeurent toujours stationnés. Comme s’ils font, eux et El-Mkhaznia, partie d’un seul corps.
Scène déroutante ! Flagrante ! La patrouille algérienne poursuit son chemin sans animosité aucune. Les GGF ne nourrissent guère d’illusions sur la « bonne » volonté d’El-Mkhaznia. À chacun ses priorités, à chacun son combat. L’un défend une cause, l’autre braque sa torche ailleurs pour quelques dirhams de plus ! Plus loin, dans la région d’El-Khandak, alors qu’il fait plus froid et plus humide, deux gardes frontières algériens sortent des buissons pour saluer la patrouille de passage. Ces hommes qui gèlent sous un climat glacial et dont la vie est constamment en danger ont besoin d’un geste. Un « que Dieu soit avec vous », de la part du commandant du 1er groupement des gardes frontières de Maghnia, présent à la tête du cortège. Un simple geste d’encouragement, de reconnaissance qui saura donner davantage de force à ces hommes faisant face à la contrebande et ses périls, à la dureté de la nature et ses séquelles. Ils sont âgés à peine de trente ans. D’autres jeunes de leur génération ont choisi de brader le carburant de leur pays et faire rentrer de la drogue pour empoisonner leurs concitoyens. Eux, ils ont préféré faire face, dresser un obstacle, défendre enfin une cause, dont le prix ne peut être ressenti que par ceux qui se trouvent à cet endroit et à cette heure-ci. Il est 1h30.
Postes d’observation ou de recensement ?
La patrouille parcourt les postes avancés et leurs points d’observation. Face à chaque poste des GGF algériens, le Maroc a érigé un point d’observation à lui. Les torches d’El-Mkhaznia sont constamment brandies pour cerner la mouvance de l’autre côté. Postes de vigilance contre les contrebandiers ou postes de recensement des patrouilles des GGF ? Une fois la nuit tombée, les points d’observation algériens se transforment en zones d’embuscade. Certains agriculteurs de la région de Maghnia ont opté pour la clôture de leurs exploitations avec du barbelé pour empêcher le passage des contrebandiers sur leurs terres. Ce qui facilite la tâche aux GGF qui ont, en plus, creusé des ravins et dressé de grosses pierres sur les petits sentiers pour bloquer le passage des véhicules des contrebandiers. Des mesures qui ne semblent pas décourager les trafiquants, car là où le terrain est accidenté, ils optent pour des ânes afin de transporter la drogue ou le carburant. Depuis le début de l’année en cours, les éléments GGF de Maghnia ont mis la main sur 16 770 litres de mazout et 420 litres d’essence, le gros transporté à dos d’âne.
D’ailleurs, plus de 18 bourriques ont été interceptées jusque-là. Les saisies ont pour la plupart été réalisées en embuscade. Mais le fait le plus inquiétant est, depuis quelque temps, ce phénomène de port d’armes à feu par les contrebandiers. Lorsqu’ils transportent de la drogue ou des marchandises de grande valeur, ils n’hésitent pas à ouvrir le feu à vue sur les gardes frontières algériens. Depuis le début de l’année, les GGF de Maghnia ont également procédé à la saisie de 49,50 kg de kif traité.
Des ânes super intelligents !
Il est 2h du matin. Toujours dans la région d’El-Khandek. La patrouille se précipite vers un terrain vague. Un groupe de GGF en embuscade entoure trois bourricots chargés de seize jerricanes contenant trente litres de carburant chacun. Un lot de 480 litres. Ce n’est pas une blague, mais les trafiquants font souvent porter aux ânes, utilisés pour la contrebande, des walkmans. « Hu-da-da », tourne en boucle sur la cassette audio pour faire avancer les bourricots. Du coup, les trafiquants n’ont plus besoin de prendre le risque d’accompagner la marchandise. Mais il y a, contrairement à ce que la plupart pense, des ânes super intelligents. Ils connaissent parfaitement leur itinéraire. Ceux-là n’ont pas besoin d’un walkman. Ils maîtrisent le boulot ! Certains prennent même la fuite à la vue des tuniques vertes. Les trois baudets de cette nuit ont les… oreilles découvertes. Ce sont des ânes super intelligents !
M. M.