Le Quotidien d'Oran - 11.03.2012
Éditorial
par K. Selim
Les islamistes dans plusieurs pays arabes ont trouvé, avec les « révolutions » en cours, une autoroute pour accéder aux affaires. Le « veto » occidental, qui permettait aux régimes en place de se prévaloir d'une sorte de défense de « l'ordre » ou de la « civilisation », n'est plus de mise. La victoire électorale indubitable du Hamas [palestinien] , qui s'était traduite par un encerclement des Palestiniens, aura été l'expression la plus indigne de ce veto. Désormais, le temps est aux arrangements mutuellement profitables.
Même le Hamas a délaissé ses intérêts objectifs et s'est rallié à la tendance générale des Frères musulmans sous le patronage wahhabite concernant la situation en Syrie. Les islamistes, salafistes inclus, ont tiré des conclusions de l'expérience des dernières décennies, où les dictatures en place ont mis en exergue leur potentiel déstabilisateur pour obtenir le soutien occidental. La plus importante consiste à donner des gages que l'alignement sur l'Occident restera inchangé et que ni la Russie ni la Chine ne viendront empiéter sur le pré carré moyen-oriental. Les autres signaux consistent dans la réaffirmation que la fonction de « contrôle » de la population et des limes continuera d'être assurée. Et, suggèrent-ils, avec davantage d'efficacité.
Il faut préciser cependant qu'il ne s'agit nullement des modalités d'un « complot ourdi » selon lequel Washington manipule et met en place des régimes islamistes dits modérés. Ce serait une représentation erronée. Une double évolution est en cours : les Occidentaux cessent de soutenir des élections factices et acceptent l'éventualité d'une victoire islamiste. En contrepartie à cette évolution, les islamistes donnent, préalablement, des gages de « modération », ce qui signifie fondamentalement la préservation du statu quo stratégique. Ce qui se passe en Égypte en est l'illustration la plus éloquente. Il y a une double prise en compte du principe de réalité qui met désormais les régimes autoritaires dans l'embarras et les contraint à « faire vœu » de réformes. Celui, sans remise en question géostratégique pour les Américains, d'une prise en compte de la réalité sociologique et électorale de la donne islamiste.
Le gage le plus clair que cette évolution ne porte pas à conséquence est le fait que cette acceptation de la donne islamiste se fait, d'une manière ou d'une autre, sous le management des émirs du Golfe, grands vassaux, fort peu démocratiques, devant l'éternel Empire. En dépit de l'expression de divergences secondaires (comme actuellement la polémique entre les Frères musulmans et les Émirats arabes unis qui menacent d'arrêter Al-Qaradhaoui après que celui-ci eut critiqué l'expulsion de contestataires syriens de ce pays), les islamistes ne peuvent vraiment s'écarter des lignes fixées par des monarchies réputées, officiellement du moins, islamistes. Ces monarchies, outre le fait d'agir sous le parapluie américain, disposent d'arguments financiers très convaincants.
Le principe de réalité avec lequel les islamistes composent est autrement plus contraignant. Et c'est celui-ci qui fait désormais de Washington la seconde Mecque des islamistes. Les dirigeants du mouvement, qui ont fait leurs classes dans l'anticommunisme du temps de l'URSS, pensent qu'il faut éviter de faire des États-Unis des ennemis, et au contraire essayer de reconstruire l'alliance concrète qui existait aux temps révolus du monde bipolaire. Ils estiment que leur accession au pouvoir par les urnes dépend de la levée du soutien occidental aux régimes autoritaires qui organisent des élections factices.
Le second principe de réalité que les islamistes ont intégré est que s'ils peuvent accéder aux affaires par les urnes, ils ne peuvent y rester longtemps sans l'aval des Occidentaux. Quand Djaballah affirme que les prochaines élections sont celles du « changement », il se situe dans cette perspective générale d'un accord tacite qui se tisse entre les islamistes, les régimes du Golfe et le grand parrain américain. Et, encore une fois, il ne s'agit pas de complot. Il s'agit de jeux politiques où les parties externes sont toujours influentes en raison d'un sidéral déficit démocratique intégrateur au sein des pays arabes. C'est cela qui fait, à nouveau, de Washington la Mecque générale, celle des islamistes comme celle des régimes présumés « sécularistes ».