JDD.fr - 23.01.2012
Des Turcs manifestent à Paris, devant l'Assemblée nationale
Le Sénat examine lundi la proposition de loi visant à pénaliser la négation du génocide arménien. Ankara pourrait riposter symboliquement et économiquement.Débaptiser l’avenue Charles-de-Gaulle qui traverse le centre-ville d’Ankara, ériger près de l’ambassade de France un monument à la mémoire des "
victimes du génocide algérien", comme l’a annoncé le maire de la capitale, Melih Gökçek, telles pourraient être les premières mesures symboliques de rétorsion décidées par la Turquie contre la France. Le texte adopté à l’Assemblée nationale le 22 décembre et dont la Turquie exige le retrait prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende en cas de négation "
outrancière" des massacres.
Les deux pays se trouvent à deux doigts d’une profonde crise, avertissent les milieux franco-turcs, qui dénoncent une "
initiative électoraliste". Plusieurs milliers de Turcs d’Europe ont d’ailleurs manifesté samedi, à Paris, à l’appel des organisations communautaires. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a indiqué que le vote "
serait une tâche noire dans l’histoire intellectuelle de la France. […] Ceux qui exploitent l’Histoire seront les victimes de cette exploitation".
Des appels au boycott des produits français
Après une première série de sanctions politiques en décembre, d’autres pourraient suivre dès lundi, en cas d’adoption définitive de la loi, a prévenu le Premier ministre Erdogan. Les mesures devraient, cette fois, concerner en premier lieu les liens commerciaux. Les échanges entre les deux pays, en pleine progression, ont atteint, en 2011, 12 milliards d’euros, dont plus de la moitié d’exportations françaises. Concrètement, la France risque l’exclusion des grands marchés publics :
Areva, intéressé par les projets de centrales nucléaires turques, n’a plus guère de chances de conquérir le marché et
Turkish Airlines pourrait repousser Airbus au profit de
Boeing dans l’attribution d’un contrat de plusieurs dizaines d’appareils.
Paris est le deuxième investisseur en Turquie, où sont implantées près de 400 entreprises françaises, parmi lesquelles les poids lourds
Renault,
Carrefour ou
L’Oréal. Les milieux d’affaires sont donc mobilisés pour tenter d’empêcher le vote du texte. "
Le temps de l’Histoire n’est pas le temps électoral, et l’instrumentalisation d’un sujet aussi grave à des fins politiques est dommageable pour toutes les parties", a déclaré vendredi Ümit Boyner, la présidente de la
Tüsiad, la puissante organisation patronale turque. Des appels au boycott des produits français ont été lancés comme en 2001, lorsque la France avait voté la reconnaissance du génocide arménien, mais leur impact pourrait n’être que symbolique. À Istanbul, le restaurant "Les Pêcheurs", situé sur la rive européenne du Bosphore, a été débaptisé et a retiré les vins français de sa carte.
Les visites bilatérales ont été geléesLa colère turque pourrait aussi rejaillir sur la coopération culturelle. L’université francophone
Galatasaray d’Istanbul et son conseil des étudiants ont écrit à l’Élysée pour manifester leur mécontentement. Des pressions ont été exercées sur l’université Paris-I pour qu’elle intervienne. Les directeurs des établissements français en Turquie ont pris la plume pour défendre les positions officielles turques, par crainte de sanctions. Dans une lettre adressée vendredi au chef du gouvernement Recep Tayyip Erdogan, le président français Nicolas Sarkozy a exhorté Ankara à "
faire prévaloir la raison et à maintenir le dialogue" dans ses relations avec la France, "
comme il sied à deux pays alliés et amis". Raison et alliance finiront sans doute par reprendre le dessus, mais le dialogue et l’amitié ont déjà été fortement secoués.
Depuis la fin du mois de décembre, la coopération militaire (les deux pays sont également membres de l’Otan) et diplomatique est toujours suspendue. L’ambassadeur de Turquie à Paris a été rappelé à Ankara, avant de revenir pour être auditionné par les sénateurs français. Les visites bilatérales ont été gelées, de même que la coopération sur les programmes européens. La France devait, par exemple, participer à la formation des gendarmes pour la sécurité des frontières turques. En 2011, les visites successives de Nicolas Sarkozy, de Claude Guéant puis d’Alain Juppé, avaient pourtant réchauffé des liens mis à mal depuis 2007 par l’opposition répétée de la France à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, ressentie par les Turcs comme une humiliation. On ne voudrait surtout pas à Paris que la détermination des diplomates français et turcs pour collaborer sur le très explosif dossier syrien ne pâtisse de cette nouvelle guerre des nerfs.
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