Ria Novosti publie une intéressante analyse sur la Turquie, un pays certes ballotté par des problèmes internes mais qui chemine dans le sens de son véritable développement, en dépit du penchant islamiste de ses dirigeants actuels.
La voici telle qu'insérée dans cette publication.*********************************************************************************
La Turquie va devenir une superpuissance régionale
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Que la grande Europe le veuille ou non, elle devra prochainement trancher la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne. Cette question sera soulevée dès le 16 septembre, lors du sommet stratégique de politique étrangère de l'UE à Bruxelles, où les ministres des Affaires étrangères devront décider de la suite à donner aux partenariats stratégiques avec les voisins proches et lointains (y compris avec la Russie). Il sera nécessaire de prendre enfin une décision.
Cela ne concerne pas seulement Bruxelles. En Turquie, doucement mais sûrement, on se prépare à des changements internes importants qui renforceront son poids régional et géopolitique, ainsi qu'économique, qui, même à l'heure actuelle, n'est pas des moindres.
À en juger par le dernier référendum constitutionnel du 12 septembre, les Turcs ont donné le feu vert au Premier ministre, Tayyip Erdogan, pour la réforme des principes fondamentaux de l’État turc. Pourtant les Turcs l’ont fait, dans leur majorité, sans vraiment comprendre en quoi cette réforme allait consister. Selon tous les sondages d'opinion publique, plus de 50% des interrogés n'ont pu citer aucun des 26 amendements à la constitution de 1982 proposés par Erdogan et par son Parti pro-islamique socio-conservateur de justice et de développement (AKP). 58% de la population se sont prononcés en faveur des changements (le taux de participation constitue 77%, ce qui est relativement élevé).
En d'autres termes, la population a tout simplement exprimé sa confiance à Erdogan. Cela lui assure presque automatiquement la victoire aux élections présidentielles du printemps 2011 et un troisième mandat. Les rangs de l'opposition battue se sont divisés et ses avertissements, sur le fait qu'il n'est pas question d'un simple référendum mais de la première étape du démantèlement de la gestion laïque du pays, autrement dit le renoncement aux bases patrimoniales de la Turquie laïque, c'est-à-dire les bases posées par “
le père de tous les Turcs “ Mustafa Kemal Atatürk, n'ont pas eu l'effet escompté sur les électeurs.
Il faut dire que les kémalistes, représentant le Parti républicain d'opposition (CHP), exagèrent la menace sur “
la laïcité gouvernementale “. Ce qui n'est pas surprenant au moment des campagnes électorales. On observe un certain recul mais on est loin d'un extrémisme constitutionnel islamique prononcé sur le modèle, disons, iranien. Les Turcs, y compris Erdogan, souhaitent adhérer à l'UE, et il est peu probable qu'ils changent la constitution civile pour adopter un code islamique et instaurer des tribunaux de la charia.
26 amendements à la constitution de 1982, adoptée deux ans après le coup d'État militaire de 1980, ont été proposés au référendum. Ils concernent les droits supplémentaires des femmes, des enfants, des personnes handicapées ; le droit de grève pour les fonctionnaires ; l'expansion des droits des syndicats ; la protection des citoyens par "
l'ombudsman" ; l'intégrité des informations. Bref, une sélection tout à fait européenne.
C’est la réforme du système judiciaire proposée par d'Erdogan qui a fait l'objet de la critique la plus véhémente de la part de l'opposition. À partir de maintenant, la plus haute instance juridique de la Turquie, la Cour constitutionnelle, sera composée de 17 juges, au lieu de 11, qui pourront être nommés par le gouvernement et le parlement (ils sont intégralement contrôlés par l’AKP). Les mêmes changements concerneront le Conseil suprême des juges et des procureurs (dont le nombre passera de 7 à 21), chargé jusqu'à présent de la nomination des juges et des procureurs du pays : les membres avaient le droit de veto pour chaque candidature. Les tribunaux militaires ne pourront plus juger les civils, et les tribunaux civils auront, au contraire, le droit de juger les militaires, impliqués dans les organisations des coups d'État militaires.
Dans un autre pays, une telle “
démilitarisation juridique “ aurait été accueillie à bras ouverts. Mais pas en Turquie.
Depuis l'époque d'Atatürk, les militaires sont considérés comme les garants de la laïcité turque, et constituent, de ce fait, le fameux système de “
poids et contrepoids “ empêchant la manifestation de l'héritage ottoman islamique agressif. La levée de l'immunité juridique des participants au dernier coup d'État de 1980, selon la nouvelle constitution, est pourtant juste une astuce d'Erdogan : le référendum a eu lieu à la date précise du trentième anniversaire de ce fameux coup d'État ce qui signifie l’expiration du délai de prescription pour ce genre de crimes. Or, depuis ces 50 dernières années, “
les protecteurs de la laïcité turque “ ont organisé quatre coups d'État et aucun d’eux n’a eu l’air particulièrement démocratique.
Les mauvaises langues affirment que, grâce aux changements, l'AKP a définitivement séparé l'armée du pouvoir et a pris le contrôle sur la dernière et seule institution indépendante laïque, la cour turque.
Il faut reconnaître qu'Erdogan avait de bonnes raisons de “ ne pas aimer “ la jurisprudence laïque. En 1998, lorsqu'il était encore un fervent partisan de l'islam, et non pas modéré comme aujourd’hui, il avait purgé une peine d'emprisonnement pour l'infraction des principes laïcs de la Turquie. En 2008, la Cour constitutionnelle a bien failli interdire l'AKP, pour les mêmes raisons. L'opposition affirme qu'à partir de maintenant l'AKP est libre de faire tout ce qu'il souhaite avec la constitution et le gouvernement turc.
La transformation de la modération en extrémisme n'est pas un procédé rare. Or, la radicalisation d'un pays au carrefour de l'Europe et de l'Asie, avec une population de 72 millions de personnes, frontalier avec l'Arménie, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, l'Iran, l'Irak, la Syrie, la Grèce et la Bulgarie, baigné par les mers Noire, Méditerranée et Égée, “
assis “ sur les détroits de la mer Noire, ne serait pas un problème, ce serait une catastrophe.
Ainsi, l'Europe devrait se dépêcher de décider de l'adhésion de la Turquie (les négociations perdurent depuis 2005). La grande “
école “ de l'Union Européenne est encline à accepter Ankara pour que “
les vents européens “ aient une action “
rafraîchissante “ sur le pays, et afin de restreindre les aspirations internes à l'extrémisme dans le cadre européen. Aujourd'hui, la Turquie est membre du G-20, son économie s'accroît de 5% (selon les informations de l'année en cours). Selon les prévisions de l’OCDE, en 2050, la Turquie deviendra la deuxième puissance économique de l'Europe (après l'Allemagne). À l'heure actuelle, les entreprises turques contrôlent déjà en Europe des sociétés et des entreprises avec un chiffre d'affaire à hauteur de 51 milliards de dollars et qui emploient 500 000 personnes.
La position du “
parti turc “ européen est en principe très simple : l’Europe doit accepter la Turquie pour son propre bien. Car on ignore la position qu'elle pourrait adopter en cas de refus. Il est significatif que la lire et la bourse turques ont connu une hausse après le référendum. Le milieu des affaires de l’Union Européenne a tiré ses conclusions.