LEMONDE | 02.05.11
Reportage
Pékin Correspondant - Depuis six ans, le Club des producteurs européens, une association basée à Paris qui regroupe une cinquantaine de producteurs européens indépendants, organise à Pékin ou à Shanghaï un forum de coproduction avec la Chine, dans l'espoir qu'en apprenant à se connaître les ressortissants des deux continents coproduisent un plus grand nombre de films. L'enthousiasme est souvent là, mais les partenariats sont rares, dans un marché chinois dominé par les grosses productions sino-hongkongaises.
La croissance exponentielle du box-office chinois et les efforts de la Chine pour s'affirmer à l'international dans le domaine des industries culturelles - l'organisation dans la capitale, du 23 au 28 avril, à grand renfort de subventions, du premier Festival international du film de Pékin, en est l'exemple le plus récent - sont-ils en train de changer la donne ?
"Pour la première fois, j'ai ressenti un signal fort de la part de nos interlocuteurs officiels, pour nous faire comprendre combien ils comptaient désormais sur les coproductions", indique Alexandra Lebret, directrice générale du Club des producteurs européens. Même le géant China Film Group a redemandé d'examiner un certain nombre de projets de films européens.
Les Chinois savent qu'ils ne pourront éviter d'ouvrir davantage leur marché aux films étrangers - des quotas en restreignent l'accès - et les coproductions sont pour eux le moyen idéal d'y parvenir. Ils désirent être présents sur les autres marchés. Enfin, les introductions en Bourse des principaux acteurs de l'industrie du cinéma chinois, en Chine et à l'étranger, les poussent à vouloir internationaliser leur catalogue.
Réserve de spectateurs
Pour Yu Dong, président du groupe Bona International, qui coproduit des films de genre à gros budget, le triplement attendu du marché chinois dans les cinq à huit ans à venir et l'envolée des budgets vont "pousser les producteurs chinois à coproduire des films en anglais", aussi bien pour le marché chinois que pour le marché international, a-t-il expliqué à ses collègues lors du forum consacré aux coproductions avec l'Europe, le 25 avril.
Pour les Européens, coproduire un film avec les Chinois permet d'échapper aux quotas, le film ainsi financé étant alors classifié comme local. Seuls vingt films étrangers par an sont distribués en Chine, selon la formule dite du "partage de recettes" (qui rémunère le producteur au prorata du succès) : une quantité restée inchangée malgré un box-office qui a augmenté de 40 % en 2009 et de 65 % en 2010, faisant du pays le quatrième marché au monde derrière les États-Unis, l'Union européenne et le Japon.
Cette réserve de spectateurs ne laisse pas indifférent les Européens : "La classe moyenne chinoise se développe, les gens voyagent, c'est le moment de faire des films plus sophistiqués, qui se passent en Italie mais avec des protagonistes chinois en proie aux tourments d'aujourd'hui", explique le producteur italien Cristiano Bortone. Celui-ci prépare "une sorte de Vacances romaines", scénarisé par un Chinois épaulé par un consultant italien. Et avec une star chinoise en premier rôle féminin.
Les Français ont longtemps été les premiers partenaires de coproduction pour les films chinois indépendants : Lou Ye, Wang Xiaoshuai ou Jia Zhangke ont, parmi d'autres, vu nombre de leurs films réalisés grâce à des aides françaises. La signature d'un accord de coproduction avec la Chine en avril 2010, et la possible refonte des mécanismes de financement du Fonds Sud font évoluer le cadre des partenariats.
Des films plus audacieux se profilent : Pathé est en train de signer avec le groupe chinois Stellar un partenariat pour la production du dessin animé Pourquoi j'ai (pas) mangé mon père ?, que réalisera Jamel Debbouze. A Shanghaï, la productrice Natacha Devillers prépare une comédie réalisée par Gérard Krawczyk.
Il peut être utile de mettre au diapason des cultures de cinéma différentes : "En Chine, la mise en production se fait avec des délais très courts", signale Eric Garandeau, le président du CNC, qui a participé au forum de coproduction du Festival de Pékin. "On a besoin de faire comprendre nos méthodes et l'importance de la préparation", dit-il.
Le Totem du loup, le prochain film de Jean-Jacques Annaud, adapté du best-seller de Jiang Rong et proposé au réalisateur français par une société chinoise, est une bonne occasion. Le scénario est en cours d'écriture tandis que de jeunes loups sont en dressage en Mandchourie. Le tournage commencera mi-2012, pour un an. Un seul film a pour l'instant été estampillé binational dans le cadre de l'accord franco-chinois de coproduction de 2010 : il s'agit de Onze fleurs, du réalisateur chinois Wang Xiaoshuai, actuellement en posproduction à Paris.
Brice Pedroletti
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Deux distributeurs autorisés de films étrangers
La part de marché des films chinois est passée de 50 % en 2009 à 56 % en 2010. Un quota de vingt films étrangers est distribué chaque année en Chine en "partage de recette", et une quarantaine d'autres sont achetés au forfait. L'Organisation mondiale du commerce (OMC), saisie par les Américains, avait donné à la Chine la date butoir du 19 mars pour libéraliser la distribution des films étrangers : non pas en supprimant les quotas, mais en assouplissant le monopole accordé aux deux distributeurs autorisés de films étrangers en partage de recette, le groupe China Film et sa filiale Huaxia. Un monopole qui explique le nombre relativement faible de films distribués chaque année en Chine, et pénalise économiquement les films d'art et essai, chinois ou étrangers, qui peinent à être diffusés. La Chine n'a pas répondu dans les délais, mais, assurent les Américains, travaillerait à "remplir ses engagements" dans le cadre de l'OMC.
(Article paru dans l'édition du 03.05.11)