Le Point - 25.01.2011
par Jean Guisnel
Jack Lang insiste sur "l'extrême urgence" à lutter contre la piraterie en Somalie
Dans un rapport remis à Ban Ki-moon, l'ancien ministre propose la création d'une cour spécialisée somalienne extraterritoriale.
L'ancien ministre et député socialiste du Pas-de-Calais Jack Lang a remis lundi au secrétaire général des Nations unies le rapport [nous le publions ici en exclusivité] que celui-ci lui avait confié voici quelques mois. En tant que conseiller spécial de Ban Ki-moon pour les "questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes", Jack Lang s'est attaché à analyser la situation et à proposer des solutions pérennes. On sait déjà que la plus novatrice et spectaculaire consisterait à créer, pour juger les actes de piraterie, une cour spécialisée somalienne extraterritoriale, qui pourrait être installée à Arusha, en Tanzanie.
Au chapitre des constats, le rapport est inquiétant : si les attaques contre les navires ne réussissent pas toutes, leur taux de succès a tout de même atteint un "niveau incompressible" de 26,6 %. Il note également que les pirates ne seraient pas très nombreux, environ 1.500, mais que la violence de leurs attaques augmente, de même que leur sophistication. Les skiffs d'abordage ont recours de plus en plus souvent à des bateaux mères, les agresseurs utilisent la localisation par GPS et, de manière assez peu connue, déterminent la position des navires agressés grâce aux données de positionnement qu'ils émettent, en principe pour assurer leur sécurité.
Détournement technologique
Le site des Armateurs de France précise que l'AIS (Automatic Identification System) "est un système radioélectrique d'identification et de localisation des navires". "Il s'agit d'un système de sécurité dont l'objectif initial est la diminution des risques de collision entre les navires." Les informations qu'il transmet sont "le nom du navire, sa position, sa route, sa vitesse. Le message est émis toutes les 2 à 12 secondes en fonction de la vitesse du navire. Il peut être recueilli par des navires ou des stations à terre dans un rayon de 50 à 60 milles du navire émetteur, et utilisé dans le cadre de la surveillance maritime.
Sauf que les pirates ne sont pas plus idiots que les autres : les données AIS ne sont pas cryptées, et il suffit d'acheter des récepteurs en vente libre pour disposer des données. Bel exemple de détournement criminel d'une technologie de pointe en principe censée améliorer la sécurité ! Le rapporteur souligne même que les pirates utilisent des détecteurs de faux billets, quand il s'agit de compter la rançon...
Processus de professionnalisation
Le rapport souligne, en outre, une "dépendance accrue de la population somalienne à la piraterie". Des gardiens de chèvres qui n'avaient jamais vu la mer descendent sur la côte profiter de la poule aux oeufs d'or, et de petits métiers naissent : "intermédiaires, négociateurs, interprètes" se greffent sur ce nouveau business, sans toujours en connaître les risques. Qualifié d'épicentre de la piraterie, le Puntland affiche néanmoins la volonté d'éradiquer la piraterie, tout comme le Somaliland - autre pseudo-État anarchique - qui se montrerait "déterminé à lutter courageusement contre la piraterie".
Jack Lang insiste sur le "sentiment d'extrême urgence" qu'il décline en quatre points. D'abord, déployer des mécanismes efficaces de lutte contre la piraterie, avant que le processus de professionnalisation, d'amplification et d'intensification de la piraterie n'atteigne un point de non-retour. Ensuite, établir une continuité entre le volet opérationnel de la lutte contre la piraterie et son volet judiciaire et pénitentiaire, avant que les marines ne se découragent. Puis s'attaquer aux facteurs déstabilisateurs de la piraterie avant que les répercussions sur l'ensemble de la région ne deviennent irrémédiables. Enfin, adopter une vision nouvelle qui s'attache non seulement à lutter contre le symptôme, mais aussi à s'attaquer avec énergie aux causes profondes de la piraterie et à favoriser avec détermination le développement économique du Somaliland et du Puntland.
Juridictions spécialisées
Au chapitre des solutions, le député réclame un volet économique centré sur le Puntland et le Somaliland, citant les activités portuaires et de pêche, l'exportation du bétail, le développement régulé des télécommunications, le tout en aidant les autorités somaliennes à reconquérir leur souveraineté. Comment ? C'est un peu là le problème. Car s'il est éventuellement envisageable de "rétablir des unités de police dans les zones de non-droit", il reste à en définir les moyens. Et ne s'agit-il pas d'un voeu pieux quand Jack Lang propose de "frapper les réseaux de piraterie à leurs têtes, en s'attaquant aux commanditaires, parfaitement identifiés, mais qui s'abritent dans des territoires où ils sont protégés" ?
L'ancien professeur de droit international est sans doute plus réaliste quand il privilégie "la mise en place, dans un délai de huit mois, d'un dispositif juridictionnel comprenant deux juridictions spécialisées au Puntland et au Somaliland et une cour spécialisée somalienne extraterritoriale qui pourrait être localisée à Arusha". "La juridiction spécialisée au Puntland et la cour somalienne extraterritoriale sont prioritaires compte tenu de la possibilité de prévoir leur compétence juridictionnelle universelle." Il propose également la création de deux prisons de 500 places chacune, au Puntland et au Somaliland, "sous un statut protecteur permettant un contrôle international", dont la forme reste à préciser. L'ensemble du programme est sans problème à la portée financière de la communauté internationale puisqu'il est évalué à 25 millions de dollars sur trois ans.
À noter que Jack Lang ne manque pas de souligner les apports de trois diplomates à son rapport, dont Rachel Gasser et Vincent Astoux. Il "remercie chaleureusement" Mme Camille Petit, conseillère aux Affaires étrangères, dont il loue "le travail remarquable sans lequel" il n'aurait pas pu "accomplir ces consultations, analyses, propositions et cette rédaction".