Le Parisien.fr - 11.01.2012
Près de dix-huit ans après les faits, c'est un rapport qui change considérablement la donne. Car l'expertise française sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président du Rwanda de l'époque, le hutu Juvenal Habyarimana, éclaire d'un jour nouveau les conclusions sur l'origine des tirs de missile. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide rwandais, qui en cent jours a coûté la vie à 800 000 personnes selon l'ONU.
Le gouvernement rwandais soutient depuis 2009 que les tirs sont partis du camp militaire de Kanombe, importante base des Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes), jouxtant l'aéroport et la résidence présidentielle au sud-est. L'enquête française, conduite initialement par le juge Jean-Louis Bruguière, avait elle abouti à l'inverse, au lancement en 2006 de mandats d'arrêts contre des proches de Paul Kagame. L'actuel président rwandais dirigeait à l'époque la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR), et le juge estimait alors qu'un commando du FPR s'était infiltré depuis le parlement à travers le dispositif des FAR sur la colline de Massaka, qui surplombe l'aéroport à l'est de la piste.
Kigali attend un « non-lieu » pour les proches de Kagame
Mardi, les avocats ayant assisté à la présentation du rapport, commandé en avril 2010 par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, ont admis que l'hypothèse de Massaka n'était plus de mise, les experts ayant bien abouti à un « point de cohérence » sur un départ de missiles depuis Kanombe, selon une personne présente à cette réunion. Mais si le rapport oriente l'enquête vers le camp de Kanombe, elle ne désigne pas les auteurs possibles de l'attaque. « Ce que dit l'expertise, c'est qu'en l'état des constatations, les tirs ne peuvent venir de Massaka, ce qui ne désigne pas pour autant le camp d'en face », à savoir celui d'extrémistes hutus, a ainsi déclaré Me Jean-Yves Dupeux, avocat de deux enfants du président Habyarimana. Même prudence du côté de l'avocat de sa veuve, Me Philippe Meilhac : « Il y a une forme de nouveauté par rapport au lieu de tir présumé des missiles qui ont abattu l'avion mais il y a aussi un grand nombre de confirmations », a-t-il affirmé.
Mercredi, la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo a déclaré que son pays attendait un « non-lieu » pour les proches du chef de l'État rwandais Paul Kagame encore inculpés. « Ce n'est pas un simple rapport. C'est un document. C'est un élément extrêmement important. C'est au juge maintenant de voir ce qui pourra être fait au vu de ces éléments, dans le cadre de la procédure engagée il y a des années. De notre côté, on pense qu'un non-lieu est (dans l') ordre (des choses) », a déclaré la ministre à la télévision France 24. Mardi, elle avait estimé qu'il était « clair pour tous désormais que l'attentat contre l'avion était un coup d'État mené par des extrémistes hutus ».
« Le contentieux entre la France et le Rwanda tient beaucoup à tout ce processus de la vérité historique. Je pense que ce n'est pas une mauvaise chose que ce rapport sorte aujourd'hui, au moment où nos deux pays sont engagés dans un processus de normalisation des relations qui vise surtout l'avenir », a t-elle également souligné. Kigali avait rompu les relations diplomatiques avec Paris après l'émission de mandats d'arrêts français contre neuf proches de Paul Kagame en 2006. La détente avait été amorcée en 2008 avec l'inculpation d'une des proches du président, ce qui avait permis de lever le mandat contre elle, puis de six autres en 2010. Une visite à Kigali du président français Nicolas Sarkozy en février 2010 avait initié un processus de réconciliation, entériné par la venue de Paul Kagame à Paris en septembre 2011.
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