Mathieu Bruckmüller, Cadremploi.fr
jeudi 9 décembre 2010
Vous êtes convoqué à un entretien d’embauche. Ne vous réjouissez pas trop vite. C’est peut-être un faux. Si des entreprises se livrent à cette pratique pour récupérer de l’information sur leurs concurrents, certaines organisent des entretiens bidons pour tester la loyauté de leurs collaborateurs. Emmanuel Lehmann, expert en intelligence économique et Arnaud Franquinet, directeur des Ressources Humaines du cabinet de conseil Grant Thornton et membre du cercle RH&IE, nous éclairent sur le phénomène.
La pratique des faux entretiens d’embauche est-elle courante ?
E.L. : Le phénomène existe. Cependant, il n’y a pas de chiffres précis. Il est rare que les candidats se rendent compte qu’ils ont en été victimes. Mais il faut bien être conscient que la crise pousse à une concurrence exacerbée entre les entreprises où parfois tous les coups sont pratiqués.
Plusieurs types de faux entretiens sont possibles. Une société peut les faire passer elle-même. Elle peut aussi recourir à un cabinet spécialisé. Certaines se font aussi passer pour un cabinet de chasse et louent, pour passer les entretiens, un bureau dans un quartier d’affaires.
Face à une belle proposition, les candidats parlent naïvement relativement bien.
A.F. : Les faux entretiens sont une réalité et la crise multiplie les risques. Il ne faut pas avoir une vision trop angélique du monde actuel.
Personne n’imagine qu’il peut être victime d’un faux entretien. Or, aujourd’hui, il y a des méthodes de collections et de centralisation de l’information qui sont redoutables.
Est-il facile pour une entreprise d’obtenir des informations stratégiques lors de ces faux entretiens ?
A.F. : C’est un jeu d’enfants. N’importe quel candidat, dès que vous le mettez en confiance, va vous dire tout ce qu’il sait sur son entreprise. A chaque fois, je suis estomaqué du nombre d’informations que l’on peut recueillir en faisant passer un entretien même sans avoir de mauvaises intentions.
E.L. : C’est tout le paradoxe de l’entretien. Comment se vendre sans en dire trop. On est toujours tenté de parler beaucoup pour séduire le recruteur voire de s’attribuer le travail des autres. On est naïf en France sur la valeur de l’information.
Quels sont les candidats les plus susceptibles d’être victimes d’un faux entretien ?
A.F. : Pas besoin d’être un cadre dirigeant ou de travailler dans un secteur stratégique, comme l’armement. Prenez un commercial, peu importe son domaine d’activité. Il connaît tous les coûts des produits, les marges, les ristournes possibles...Pour un concurrent, être en possession de ces données, c’est une véritable mine d’or. Aujourd’hui, les cadres intermédiaires sont les proies les plus faciles. Avec la crise, ils ont soif de reconnaissance et ils se sentent délaissés par leur hiérarchie. Ils n’ont pas toujours le même sentiment d’appartenance que les dirigeants. Pour moi, ils sont le maillon faible de l’organisation. Si vous leur faites miroiter un beau poste, ils vont lâcher un paquet d’informations sensibles.
E.L. : Les cadres qui travaillent dans l’innovation, la recherche et développement sont particulièrement vulnérables.
Quels conseils donneriez-vous pour détecter un faux entretien ?
E.L. : Si le recruteur pose une question jugée dérangeante par le candidat (projets en cours, données techniques, organisation interne de la société, projets de développement, informations sensibles, ...), ce dernier ne doit pas hésiter à dire que pour des raisons confidentielles, il ne souhaite pas y répondre. Il n’y a aucune honte à avoir. Au contraire, cela valorise son profil. C’est une vraie qualité de mettre en avant sa loyauté. De façon générale, rien n’empêche d’évoquer en entretien des projets anciens qui ne sont plus sensibles. Quand aux projets en cours, il est préférable d’en dire le moins possible.
A.F. : Il faut cerner la cohérence du projet qui vous est soumis et la vraisemblance du poste proposé. Les gens ne sont pas assez curieux. Ils se livrent avant de poser des questions. Le candidat doit rétablir donc le rapport de force avec le recruteur et se dévoiler progressivement.
Les entreprises vont-elles parfois jusqu’à organiser de faux entretiens pour tester la loyauté de leurs collaborateurs ?
A.F. : Bien sûr. Certaines mandatent un intermédiaire pour voir jusqu’à quel point leurs salariés sont fidèles. Ce sont des méthodes particulièrement répugnantes.
E.L. : Disons que certaines entreprises se soucient plus que d’autres de l’application des politiques de sécurité. Dans ces conditions, des audits et tous types de tests peuvent être pratiqués ainsi que des actions de sensibilisation pour montrer aux collaborateurs les risques et les limites.
Les approches des collaborateurs par la voie des faux recrutements sont bien sûr abordées, mais il existe d’autres vulnérabilités qu’un attaquant pourra exploiter : être trop bavard lors de déjeuners entre collaborateurs à l’extérieur de l’entreprise, les comportements en déplacement et dans les lieux publics (où public est pour beaucoup synonyme, à tord, d’anonymat), ...
Et au delà, une piste particulièrement intéressante à suivre concerne les réseaux sociaux professionnels (ou non d’ailleurs) et autres sites du même type : trop détailler (en abordant trop précisément les projets en cours par exemple), et surtout le statut du profil peut induire un potentiel risque. Un collaborateur à la recherche de nouvelles opportunités est de fait plus facilement enclin à se livrer.
Bien que des mesures légales existent (clause de confidentialité et surtout de non-concurrence lorsqu’elles sont bien formulées et surtout payées) le maillon faible de tout dispositif de sécurité reste souvent l’homme : par malveillance, négligence ou naïveté. Dans certains cas, le licenciement, voire la poursuite pénale du collaborateur, par l’entreprise peut être envisagé.
URL de la source : http://www.cadremploi.fr/edito/actu-et-conseils/boite-a-outils/ent (...)