Le problème des immigrés de confession islamique en Europe se pose à peu près dans les mêmes termes en Espagne comme en Italie, en Allemagne comme en France et ailleurs. Leur insertion extrêmement difficile voire simplement hypothétique dans la société occidentale rappelle à s'y méprendre le traitement particulier réservé aux autochtones du temps de la colonisation. Il y avait le bon et petit Arabe qui obéissait aveuglément au doigt et à l'œil à ses maîtres européens, fussent-ils venus de pays plus miséreux que les colonies elles-mêmes. Celui-là avait droit à quelque égard qui faisait à peine la différence entre l'homme et le chien, donc le traître à sa patrie comme tel fut le cas des harkis. Il y avait aussi le mauvais et dangereux Arabe, qui entretenait de mauvaises fréquentations au sein des organisations nationalistes ou syndicales, qu'il fallait ramener à la domesticité, dût-on utiliser la force ou la violence dans les commissariats de police et les postes de gendarmerie pour lui montrer que l'on écrasait comme des punaises des gens de son espèce, pussent-ils être plus lettrés encore que leurs tortionnaires baragouinant bien souvent un français ou un espagnol proche d'un dialecte.
Aujourd'hui, c'est grosso modo le même schéma qui semble se reproduire ici ou là en Europe pour bien montrer aux immigrés musulmans provenant tout particulièrement d'Afrique du nord, du Moyen-Orient ou même de Turquie qu'ils n'ont aucune chance de se hisser au niveau des Européens qu'ils côtoient tous les jours au travail ou ailleurs, et qu'ils restent, tels des pestiférés, des gens plutôt indésirables qui occupent la place d'Allemands, de Français, d'Espagnols, etc., qui appartiennent tous à la même famille chrétienne, toute différente de la leur.
Un article publié par Le Monde d'aujourd'hui relate précisément les conditions dans lesquelles sont "intégrés" - le terme est en réalité faux - des centaines de milliers d'immigrés d'origine turque naturalisés allemands. Et pourtant, pour qui connaît un peu l'histoire allemande, c'était bien la Turquie, le seul allié important de l'Allemagne qui avait pris le risque démesuré de se ranger de son côté lors de la Première Guerre mondiale. Oubliant à tout le moins le devoir de reconnaissance revenant de droit à tel allié, Berlin en est même venu tout récemment à se plaindre à grand cri de l'échec de la réinsertion des Turcs chez lui. C'est ainsi que ces derniers, qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour gagner loyalement leur place au sein de la société allemande, restent toujours, quoiqu'ils fassent, des étrangers à consonance turque que l'on verrait mieux sur le chemin du retour vers leur pays d'origine, comme le laissent entendre publiquement des responsables politiques.
Un tel langage, il est temps, en vérité, que les immigrés, qu'il faut plutôt appeler des renégats, le comprennent une fois pour toutes et en tirent par eux-mêmes les conséquences. Il faut peut-être leur rappeler que si leurs pays d'origine ont payé le prix fort pour les former sur le dos des contribuables nationaux, il est pour le moins indécent qu'ils ne pensent pas à s'acquitter de leur dette vis-à-vis de la société, la leur, en commençant par exercer leur métier en son sein avant de penser à aller louer leurs services au monde occidental auquel leurs pays respectifs doivent le retard effarant dans lequel ils pataugent le plus souvent sans espoir d'en sortir.
Voici l'article du journal, copié in extenso.
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Têtes de Turcs
LEMONDE | 08.11.10
Directeur d'un important centre de formation dans un quartier populaire de Berlin, il est un Allemand modèle. Les responsables politiques de tous bords, y compris Angela Merkel, lui rendent visite. Les médias l'interviewent. Même Barack Obama l'a invité à la Maison Blanche. Malgré tout, ce quinquagénaire se sent incompris. La raison ? "Tout le monde me considère comme un Turc bien intégré, alors que je me vois comme un Allemand aux racines turques", explique-t-il dans son bureau rempli de distinctions officielles.
Nihat Sorgec a beau avoir la nationalité allemande depuis vingt ans, il reste pour ses interlocuteurs le fils d'un Gastarbeiter (littéralement un travailleur invité) turc, ouvrier dans l'industrie textile venu vivre en Allemagne dans les années 1970. Le moins que l'on puisse dire est que ce "bon Turc" est déçu par la tournure prise cet automne par le débat sur l'immigration. Dans le meilleur des cas, les Turcs sont des paresseux qui vivent au crochet de l'État, dans le pire, des imbéciles manipulés par des imams fanatiques. Que le parti politique le plus dynamique, les Verts, soit coprésidé par Cem Özdemir, fils d'immigrés turcs, ou que la CDU ait nommé une juriste d'origine turque, Aygül Özkan, ministre des affaires sociales de Basse-Saxe, ne change rien à l'affaire.
Pourtant, l'élite turque existe bel et bien. Et pas seulement sur les terrains de foot. La chambre de commerce et d'industrie germano-turque (dont Nihat Sorgec est vice-président) estime qu'il y a en Allemagne environ 70 000 entrepreneurs turcs. Ils emploient plus de 350 000 personnes et réalisent un chiffre d'affaires global de 35 milliards d'euros. Certes, sur 2,7 millions de "Turcs" - en fait, parmi eux, 900 000 ont pris la nationalité allemande mais continuent d'être considérés comme turcs -, ces chiffres restent modestes. Ils sont pourtant d'autant moins négligeables que, jusque dans les années 1980, les Gastarbeiter avaient interdiction formelle d'exercer une profession libérale. Beaucoup sont aujourd'hui commerçants, mais 7 000 emploient plus de dix salariés.
Il y a parmi eux de véritables success-stories. Ahmet Lokurlu, par exemple. Arrivé en Allemagne à la fin des années 1980, cet ingénieur de 47 ans a créé en 1999 la société Solitem, qui emploie une quarantaine de personnes à Aix-la-Chapelle, mais aussi en Turquie et aux États-Unis. Son invention : transformer l'énergie solaire en air froid ! Sachant que la climatisation absorbe 40 % de l'électricité consommée dans les pays méditerranéens, ce système qui utilise la chaleur plutôt que l'électricité comme source d'énergie semble promis à un bel avenir. Le magazine Time a d'ailleurs distingué Ahmet Lokurlu "héros de l'environnement" en 2007.
Les frères Yerli aussi semblent bien partis. Arrivé au milieu des années 1970 avec ses parents, Avni (40 ans aujourd'hui) a fondé en 1999, avec ses frères Faruk et Cevat, une société de jeux vidéo baptisée Crytek qui emploie 300 personnes venues de 40 pays. Le siège est à Francfort, mais Crytek a aussi des studios à Kiev, Budapest, Sofia, Séoul et Nottingham. Pour les frères Yerli, la connaissance de l'allemand n'est pas un critère : chez Crytek, tout le monde parle anglais.
Parfois, le lien avec la Turquie est la clé de la réussite. Né en 1942 à Ankara, Vural Öger débarque à Hambourg en 1960. Son diplôme d'ingénieur en poche, il a l'idée, en 1982, de créer les premiers charters entre les deux pays pour permettre aux immigrés de rentrer chez eux en vacances. Petit à petit, la compagnie aérienne se transforme en tour-opérateur. Aujourd'hui, sa société est le numéro cinq du secteur en Allemagne.
Parallèlement à ses activités d'entrepreneur, Vural Öger, Allemand depuis 1990, s'est lancé en politique. Il fut de 2004 à 2009 élu au Parlement européen sur la liste du SPD. Sur son blog, il s'en prend vigoureusement à Angela Merkel et à Horst Seehofer, le président de la CSU (l'équivalent de la CDU en Bavière), qui estime que l'Allemagne n'a pas besoin d'émigrés musulmans. "Je vous prie de me déchoir de ma nationalité. (...) Jusqu'ici je n'avais pas de problèmes avec moi-même. J'appréciais la Constitution allemande et prenais à cœur de la respecter, mais cela ne va pas. En réalité, je suis dans ce pays un paria intellectuel et moral", écrit-il.
Nihat Sorgec et lui sont loin d'être les seuls à éprouver un tel ressentiment. A la veille du quatrième sommet pour l'intégration, organisé mercredi 3 novembre à la chancellerie, 700 Allemands d'origine turque ont adressé une lettre ouverte à Angela Merkel et à d'autres responsables politiques pour tirer la sonnette d'alarme. "Nous avons besoin de l'Allemagne, mais l'Allemagne a aussi besoin de nous", notent-ils. Parmi les signataires, des médecins, des avocats, des enseignants et aussi des artistes.
La culture est d'ailleurs l'un des domaines où les Turcs jouent un rôle majeur. Né à Hambourg en 1973 de parents immigrés, le réalisateur Fatih Akin s'est imposé comme l'un des principaux cinéastes allemands. On lui doit notamment De l'autre côté (2007) et Soul Kitchen (2010). Une de ses assistantes, Shermin Langhoff, née en 1979 en Turquie, est désormais directrice artistique d'un théâtre berlinois, le Ballhaus Naunynstrasse. Consécration : sa troupe est invitée ce mois-ci à New York pour présenter ses pièces. Leur thème ? L'immigration turque en Allemagne, bien sûr.
Frédéric Lemaître
Courriel : lemaitre@lemonde.fr.