Au lendemain de la confirmation par la Cour suprême du verdict condamnant à mort Mohamed Gharbi, l'ancien membre des GLD (groupes d'auto-défenses contre le terrorisme), accusé d'avoir tué à Guelma un terroriste repenti qui le narguait, il s'est trouvé vraiment peu de monde pour protester contre la sévérité du jugement.
Il est vrai qu'en vertu de la loi dite de réconciliation nationale initiée par Bouteflika les terroristes repentis ou se trouvant en prison, à la date de sa promulgation, ont bénéficié par milliers des mesures d'amnistie prévues, d'indemnités financières considérables et de logements. En parallèle, autre concession exécrable offerte aux assassins affranchis, cette même loi condamne inversement avec la plus grande sévérité quiconque viendrait à se venger d'un acte commis par ces mêmes terroristes libérés.
Mohamed Gharbi, l'unique exemple connu jusqu'ici, a osé justement contrevenir à une telle disposition en mettant fin à la vie d'un chef terroriste de son patelin qui le provoquait et le menaçait même de mort avec une arme à feu.
Au nombre des principaux responsables politiques qui avaient souscrit en son temps au vote de cette loi scélérate, Redha Malek, ancien Premier ministre, et Saïd Sadi, président du RCD, s'étaient particulièrement distingués par leur fervent et bruyant soutien exploité d'ailleurs à bon escient par Bouteflika et son entourage.
L'un comme l'autre avaient alors argué de différents subterfuges pour faire valoir leur position, très mal reçue au demeurant au niveau des familles de victimes du terrorisme, d'un côté, et du bas-peuple, de l'autre. Aveuglément, ils avaient alors chanté un peu trop vite la gloire du terrorisme vaincu, en contrepartie de quelques "miettes" de pouvoir qui leur étaient intelligemment distribuées par le régime en place.
Mais, aujourd'hui que Redha Malek, dans un ouvrage consacré à ses mémoires récemment publié, tente de justifier ses différentes prises de position au fil du temps, un certain Abbas G., dans une contribution insérée aujourd'hui dans le site lematindz.net de Benchicou, l'interpelle avec vivacité, tout en s'adressant en même temps à Saïd Sadi, pour les placer tous deux devant leurs propres responsabilités devant l'histoire.
Son papier, fort bien documenté, est instructif et mérite d'être publié ici. Le voici.
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CONTRIBUTION :
Rappelez-vous, M. Redha Malek, comment vous et Saïd Sadi aviez livré Mohamed Gharbi
le 09 Octobre, 2010
J’ai lu votre diagnostic sur l’échec de Bouteflika en tant que transition du militaire vers le civil et je constate que vous avez décidément le don, superbement partagé avec Saïd Sadi, de vous dédouaner de vos responsabilités dans cette catastrophe.
N’avez-vous pas une part énorme dans le fait que cette illusion, cette pseudo- transition, s’est installée ? N’avez-vous pas joué un rôle majeur, vous et Saïd Sadi, dans la consolidation du régime de Bouteflika ? Le soutien que vous avez apporté, de 1999 à 2001, à la Concorde civile de Bouteflika, puis à sa politique, a déterminé toute la suite. Rappelez-vous que ce fut avec la caution des « démocrates » qui ont accepté de siéger avec les quatre partis constitutifs de la majorité gouvernementale, le FLN, le RND, le MSP et Ennahda, que Bouteflika a formé, le 24 décembre 1999, un gouvernement au sein duquel ses proches vont détenir pour dix ans les postes-clés, (Abdelatif Benachenhou aux Finances, Chakib Khellil à l'Energie, Hamid Temmar à la Participation et aux réformes, Yazid Zerhouni, ancien chef du contre-espionnage sous Boumedienne, à l’Intérieur pendant que l'ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia devient ministre de la Justice).
Plus concrètement, M. Redha Malek, ne croyez-vous pas que vous et Saïd Sadi, avez livré Mohamed Gharbi ?
Il faut peut-être rappeler, en effet, que ce « repenti » sur lequel a tiré Gharbi, Ali Merad, ex-militant du parti dissous, devenu chef régional de l’AIS puis commandant des phalanges de la mort, venait de bénéficier de l’amnistie de la Concorde civile en 2000, la Concorde qu’avait engagée Bouteflika en 1999 avec l’aide des militaires et…des démocrates du RCD et de l’ANR.
Pensez, M. Redha Malek, qu’avant de tirer, le 11 février 2001, sur le repenti islamiste qui déclarait vouloir l'assassiner, Mohamed Gharbi, moudjahid et patriote, aujourd’hui condamné à mort, était depuis longtemps un homme seul.
Vous l’aviez lâché.
Nous l’avions déjà abandonné. Abandonné à ses perplexités, puis à ses angoisses et enfin, à sa colère. Mohamed Gharbi ne reconnaissait plus l’Algérie pour laquelle il avait pris les armes en 1956 puis en 1994, quand il constitua le premier Groupe de légitime défense (GLD) de la région.
Rappelez-vous, M. Malek, que c’est à cette époque que s’est installée la politique capitularde. Vous aviez choisi de « soutenir les généraux » que vous fustigez aujourd’hui. Un soutien obscur. Il n’est un secret pour personne aujourd’hui que la politique dite de « concorde civile » prônée par Bouteflika, n’a servi que de couverture politique à des accords conclus auparavant entre une branche de l’armée algérienne et l’AIS (Armée Islamique du Salut). Les décideurs algériens, allergiques à toute solution politique à la crise qui secoue le pays depuis 1991 - car conscients du rapport logique entre une véritable solution et le départ du régime -, ont conclu des accords avec le groupe terroriste de Madani Mezrag en juillet 1997, et cela dans des conditions très obscures.
Si l’histoire n’oubliera pas votre action durant la guerre de libération, elle n’oubliera pas non plus votre défaillance, pour ne pas dire trahison, durant les deux premières années du règne Bouteflika, trahison (comme celle du RCD et de Saïd Sadi) qui a fortement contribué à l’enracinement du clan Bouteflika à la tête de l’État algérien. En un mot, à duper l’opinion sur la réalité de la « transition du militaire vers le civil »
Venant de Saïd Sadi, la « collaboration » de l’année 2000-2001 avec Bouteflika, relève d’une exécrable ambition des petits clercs. Mais venant de vous, d’un homme historique, elle a légitimé le travestissement de la mémoire, elle a aidé Boutefilka, comme le dit l’historien, à réorganiser « la mémoire collective après 40 ans de confusion idéologique et de perte d’une histoire réelle… pour occuper pratiquement seul un espace symbolique et imaginaire, celui de la nation et du nationalisme ».
L’heure était aux euphories, aux discours creux de Bouteflika, à la Concorde civile et aux retournements de veste.
Gharbi n’en croyait pas ses oreilles ! Huit ans après avoir repris les armes (en 1993) pour défendre l’Algérie, prise d’assaut par les groupes terroristes qui semaient mort et désolation dans sa ville, Souk Ahras, huit ans après avoir créé un groupe d’auto-défense (qui atteindra le nombre de 300 membres) pour traquer les phalanges islamistes, voilà que les chefs et membres de ces phalanges de la mort allaient bénéficier de la grâce amnistiante, avec la bénédiction du président et de partis anti-intégristes !
Mohamed Gharbi était déjà un homme seul quand il entendit, à Béjaïa, le président Bouteflika déclarer qu’« un terroriste est algérien comme tous les autres » et, ce vendredi 03 septembre 1999, M. Said Sadi, dans une conférence de presse au siège de son parti à Alger, annoncer et expliquer le soutien de son parti par un « OUI » actif à la politique de « concorde civile » de Bouteflika et déclarer que « dès le départ, le RCD a noté que cette loi sur la concorde civile était du point de vue juridique acceptable ».
Du point de vue juridique ? Mais toutes les compromissions historiques sont emballées dans un empaquetage « acceptable du point de vue juridique » ! Pressés de soutenir Bouteflika et de participer au prochain gouvernement, le RCD et l’ANR apportaient la caution des résistants, c’est-à-dire de gens comme Gharbi, à une entreprise de trahison nationale.
Vous et Saïd Sadi aviez fait un usage frauduleux et dévalorisant du discours « éradicateur » ; vous avez brouillé la réalité ; vous avez aidé à duper l’opinion…
Ce fut votre première grande forfaiture : vous et le RCD aviez lancé l’illusion que les combattants anti-terroristes, les familles de victimes et les catégories sociales les plus opposées à l’islamisme, (et dont vous étiez supposés être les porte-voix) avaient fini par faire corps avec la politique de Bouteflika ! Vous aviez unilatéralement considéré l’approbation du peuple algérien à « la concorde civile » comme « une leçon sévère » à « ceux qui se revendiquent de Sant Egidio » Dans un contexte de contrôle absolu des médias lourds, il suffisait pour le pouvoir de mettre Redha Malek et Saïd Sadi sur haut-parleur et d’étouffer les voix récalcitrantes, pour créer cette illusion. Ainsi, nous n’entendrons pas les associations de familles victimes du terrorisme récuser la démarche présidentielle, nous ne saurons rien du communiqué de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme (ONVITAD) affirmant n’avoir donné aucune "procuration ni au Président de la République, ni au Parlement, ni au reste du peuple pour pardonner aux assassins", nous ignorerons tout de la déclaration de "Djazaïrouna" dénonçant "l'impunité" qu'accorderait aux "terroristes" les projets d'Abdelaziz Bouteflika. Nous écouterons, en revanche, et à profusion, le docteur Sadi clamer à la télévision que « la loi sur la Concorde civile va rendre leur dignité aux Algériens », « qu’elle est l’exact contraire de la plate forme de Rome qui mettait l’État en situation d’abdication », que « la remise des armes se fera sans conditions », que « La justice passera à chaque fois que les auteurs des crimes de sang seront identifiés. » et que « jamais il n’y aura de reconstitution légale » de l’ex-FIS » (dans une interview qu’il a accordée au quotidien le Matin du 10/11-09-1999)
Oui, vous aviez joué un rôle majeur dans l’enracinement du régime de Bouteflika. C’était le temps où l’’ENTV et toutes les salles d’Alger s’ouvraient brusquement au RCD et à l’ANR ! Le chef de l’Etat lui-même exhortait les Algériens à aller écouter le chef du RCD : « Je salue le civisme des députés RND, FLN et MSP qui ont assisté au meeting de Said Sadi à la salle Ibn Khaldoun », clamera Bouteflika le 13 septembre à partir d’Oran.
Brouillage de la réalité
Ce qui était frappant dans cette surenchère que vous aviez développée avec le RCD est que toutes vos affirmations ne reposaient sur rien et qu’elles étaient en parfaite contradiction avec les propos du président de la République. Ainsi, pendant que le RCD criait haut et fort que « la démarche de Bouteflika sonne le glas de l'islamisme politique » (...) et que du côté de l'ANR on vous entendait affirmer que « le référendum du 16 septembre 1999 signifiait le balayage de tous les miasmes de Sant'Egidio », Bouteflika affirmait tout aussi haut et fort que la Concorde n'est pas contradictoire de celle de Sant'Egidio
Vous aviez déformé la réalité.
Mohamed Gharbi voyait, lui, dans sa ville, dans les villages avoisinants, dans les campagnes, ce que ni Redha Malek ni Saïd Sadi ne voyaient dans leur bunker algérois : le renversement brutal du rapport de forces en faveur des islamistes. Ces derniers étaient fondés à croire qu’ils avaient gagné la partie. Ainsi, pendant que vous clamiez que « la démarche de Bouteflika sonne le glas de l'islamisme politique » et que « jamais il n’y aura pas de reconstitution légale de l’ex-FIS », les chefs politiques de l’islamisme, parlant en vainqueurs, exigeaient la capitulation. Sur France 2, Ali Benhadjar, l’émir de la Ligue pour la Daâwa et le Djihad (LIDD), chef du groupe qui a semé la mort durant des années à Médéa, déclarait sur un ton de menace : « Si nos exigences ne sont pas satisfaites, je crains que d’autres éléments reprennent le maquis. »(Le Matin du 20/12/2000, p.4). Nos exigences ? Il s’agit, bien sûr, du retour de l’ex-FIS. Ahmed Benaicha, l’ex émir de la région Ouest de l’AIS, est très explicite dans une interview accordée au quotidien national La Tribune le 06 novembre 2000: « Pour le reste, l’ouverture du champ politique, nous espérons qu’il se concrétisera prochainement comme prévu. »
C’était la première grande erreur des démocrates et de ceux qui, parmi les généraux, pensaient juste « ramener la paix » sans contrepartie. Ils avaient épousé la plus belle illusion (ou sournoiserie) de Bouteflika qui déclarait le 23 août 1999 à Rimini (Italie) que « les bénéficiaires de la loi doivent faire la preuve qu’ils ont définitivement renoncé à la violence. » et que « la loi ne comporte ni compromis ni compromission de l’Etat. » Est-ce là une façon de dire au président qui a déclaré - toujours à Rimini - que « la loi les prive du droit de créer un parti ou d’être élus pendant un certain temps. », que ce « temps » est déjà expiré ?
Pendant ce temps, le RCD de Saïd Sadi, tout en relevant des erreurs et des maladresses (la "marche arrière" de Bouteflika à l'égard d'Israël, le report de l'invitation faite à Enrico Macias, le refus de l'officialisation de tamazight) et en admettant la lenteur des changements politiques et sociaux, continuait d’exprimer également son soutien au président de la République, et évoquait le récupération de 4500 armes et l'évacuation de régions entières par les "terroristes". Fadaises ! Il suffit pour cela de lire les réponses faites à Bouteflika par les islamistes pour savoir, en fait, que la remise des armes se fera avec conditions. Il ressort clairement de la lecture de ces textes que les accords n’ont pas été conclus entre une armée nationale forte et une armée de terroristes islamistes « à genoux » mais bien avec une horde terroriste qui ne se voit pas du tout vaincue et qui pose ses conditions elle aussi, sous réserve de reprendre la lutte. C’est l’État qui a dû faire le plus de concessions, puisqu’il n’a même pas obtenu de ceux-ci le moindre geste de repentir… Ne les a-t-on pas d’ailleurs vu rejeter même le qualificatif de « repenti » eux qui se considèrent toujours être dans la bonne voie ?
Ce fut cette réalité que vous aviez brouillée, en complicité avec le RCD, M. Malek.
Dans son village, Mohamed Gharbi la vivait, cette réalité. C’est parce que le rapport de forces avait basculé en faveur des islamistes ; c’est parce qu’ils parlaient déjà en vainqueurs ; c’est parce que Ali Merad et la horde de tueurs intégristes rentraient chez eux, « avec tous les honneurs », que cet ancien émir de l’AIS s’est cru fondé à provoquer Gharbi à chaque fois qu’il passait devant sa maison, en le menaçant de mort: « Espèce de taghout, ton jour est venu. »
Oh, il a bien essayé d’alerter les services de sécurité, une fois, puis une seconde et une troisième. Mais à quoi bon ? Le pouvoir confortait Ali Merad dans son arrogance.
Le 2 février 2001, vers 22 h, Gharbi est devant le complexe sportif, le chef terroriste, en compagnie d’un autre repenti, passe devant lui et lui lance en exhibant un pistolet automatique : « Ton heure est proche. » Le lendemain, Mohamed Gharbi informe le commandant du secteur militaire de Souk Ahras et les différents services de sécurité, en les avertissant que dans une semaine si des mesures ne sont pas prises pour assurer sa sécurité, il passera à l’action. Ne voyant rien venir, le patriote prend la décision de se faire justice.
Alors, oui, il fallait rappeler tout ça pour ne plus jamais nous tromper de combat… Ni de héros.
Abbas G.