L’amendement à la loi électorale

Le dernier amendement à la loi électorale qui vient d’être approuvé en conseil des ministres risque, s’il est adopté, de faire grincer les dents, partout dans les partis politiques se situant hors de l’Alliance dite présidentielle.

Parfaitement élaboré dans l’esprit des seules préoccupations de cette dernière, il s’inscrit, en effet, dans un retour systématique au parti unique qui avait prévalu jusqu’en 1988. Il suffit d’ailleurs de remplacer le terme alliance par FLN pour se retrouver quasiment dans l’esprit et la lettre de ce qui fut le monopole de ce dernier durant toute la période 1962-1988.

Comment ne pas lui donner cette signification, qui n’a d’autre objectif, apparemment, que celui de réduire le paysage politique aux seules formations de cette alliance, les plus dominantes et les mieux représentées ? Surtout, si l’on sait que le dispositif projeté écarte automatiquement de la scène tout parti politique ne réunissant pas, à l’échelle nationale, 4 % des suffrages exprimés lors de l’une des trois dernières législatives, sous réserve encore que ce taux se répartisse sur un minimum de 25 wilayas inscrivant chacune un minimum de 2000 suffrages exprimés. Dans un autre cas, ce même parti serait tenu de compter un minimum de 600 élus (toute nature confondue) répartis sur 25 wilayas encore, dénombrant chacune un seuil de 20 élus.

Autant dire que toutes ces restrictions, sur lesquelles se greffent, par ailleurs, de nouvelles autres énoncées dans le même esprit, sont destinées à ranger définitivement au rancart l’ensemble des formations politiques activant en dehors de l’Alliance.

Notamment, dans deux ou trois cas où elles réussissent tant bien que mal à atteindre le taux plancher de 4 %, elles restent quand même incapables d’apporter la preuve qu’elles rayonnent à travers ce minimum de 25 wilayas d’un côté, et qu’elles recensent 2000 votants dans chacune d’elles de l’autre.

En particulier pour les partis dits ghettoïsés, il y a là la preuve manifeste qu’on recherche tout simplement leur disparition complète. Ils doivent être considérés tellement dérangeants et si peu productifs qu’ils n’ont plus place désormais sur l’échiquier politique.

Aussi, l’été s’annonce-t-il bien chaud, avec les débats que cette nouvelle mouture ne manquera pas de susciter au sein des divers groupuscules ayant étrenné leur admission à l’Assemblée nationale.

Si une espèce de consensus semble revêtir le report à la mi-novembre des élections locales, suite à la conjonction d’un certain nombre de facteurs qui y militent fortuitement : rentrée scolaire, ramadhan, Aïd seghir, en revanche, l’amendement de la loi électorale suscite d’ores et déjà des protestations indignées d’un certain nombre de petits partis politiques sur le sort desquels il est appelé à peser lourdement.

Après le RCD, c’est l’ANR et le MDS qui viennent de déclarer aujourd’hui leur totale opposition à son adoption. En vérité, ni l’une ni l’autre de ces trois formations, peu ou mal représentée à l’Assemblée comme à l’échelle du pays, n’est en mesure de contrer valablement cet amendement, quand bien même fût-il inique et excessif.

N’ayant guère trouvé d’explication convaincante pour justifier la désaffection flagrante, et pour la première fois rendue publique, d’un électorat qui range dans le même panier pouvoir et partis politiques en place, Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, a cru bon de soutenir son projet de révision électorale destiné à parer, selon lui, "contre l’émiettement de la classe politique et l’apparition d’un business politique" qu’il impute aux soi-disant insuffisances de la loi électorale. "Les petits partis n’ayant pas atteint le seuil de 4 % de voix récoltées, aux dernières élections législatives, dans vingt-cinq wilayas au moins, ne seront pas dissous", assure-t-il, "mais ils ne prendront pas part aux élections prochaines", ajoute-t-il.

C’est bien là le contenu de la réforme électorale qu’il compte faire voter très prochainement par le parlement croupion qui est celui des Algériens.

Ce qu’oublie néanmoins de relever le ministre de l’intérieur, c’est que, pour parvenir à se surclasser par rapport à la masse des autres partis concurrents, les partis dits de l’alliance présidentielle, ont, eux, profité des grandes largesses du pouvoir pour s’accaparer gratuitement des locaux, s’acheter des moyens matériels suffisants et importants grâce à des subventions du contribuable largement dispensées en leur faveur, jouir de complicités ouvertes de l’administration mise carrément à leur service, profiter de portefeuilles ministériels qui facilitent grandement le recrutement de militants, etc.

Et si l’Etat entend verrouiller désormais l’accès aux élections locales ou législatives, comme semble l’indiquer le projet en gestation, faudrait-il attendre une hypothétique révolution pour permettre à ces petits partis, dont nombre d’entre eux véhiculent des idées pourtant aussi prétentieuses et valables que celles des partis les plus en vue, de sortir de l’ombre et de se projeter sur un horizon d’un ou deux siècles pour parvenir au peloton de tête ?

Non ! Zerhouni, là encore, mâchonne des idées bien rétrogrades qu’il ne doit plaire à aucun des députés de défendre, tant le retour de manivelle peut également s’exercer contre ces mêmes partis de l’alliance tout aussi décriés, en réalité, que le régime lui-même par le peuple. Et pour preuve, le résultat des dernières élections est là pour le rappeler au besoin.

Egal à lui-même, Zerhouni ne peut mieux faire. La loi électorale se révélant à ses yeux la cause d'une désaffection aussi considérable de l'électorat des dernières législatives, il va droit au but : il la change tout simplement. N'est-ce pas lui qui a bien déclaré que les lois ça se change comme on veut ?

Il ne fallait certes pas attendre de lui qu'il se prononce dans le sens d'un mea culpa désavouant les dérives d'un gouvernement dont il constitue l'épine dorsale ni encore qu'il désigne à la vindicte son administration rendue responsable pour la énième fois des trucages électoraux.

Le bouc émissaire est là, tout prêt : les petits partis politiques, à cause desquels il y a eu tant d'éparpillements des maigres suffrages exprimés aux dernières élections. C'est eux, et rien qu'eux qu'il faut sanctionner au lieu et à la place de leurs grands concurrents qui ont tout raflé : locaux, argent, postes de responsabilités, etc.

Il ne faut donc même pas s'étonner du vote prochain plus que probable de cette réforme électorale initiée par Zerhouni. On en a vu d'autres et on en verra encore venant de lui, tout aussi insipides qu'irréfléchies et irresponsables.

Selon El-Watan d’aujourd’hui, le ministre de l’intérieur, en marge des travaux du Conseil de la nation, aurait donc confirmé le dépôt entre les mains de l’assemblée nationale de son projet portant réforme de la loi électorale.

De son côté, l’APN annonce, dans un communiqué rendu public, que les débats sur cette question seront entamés dès demain.

Sachant déjà les réactions à tout le moins controversées auxquelles ledit projet a déjà donné lieu, depuis quelques semaines, il va sans dire que les partis minoritaires, qui en sont directement visés, tenteront de faire entendre leur voix dans l’hémicycle. Mais, comme la majorité parlementaire est d’ores et déjà acquise à cette réforme, autant donc dire que les contestataires parleront simplement dans le vide…

Devant la Commission juridique de l’A.P.N., Zerhouni, ministre de l’Intérieur, a indiqué, dans l’exposé des motifs de son projet de réforme électorale : "L’analyse des résultats du dernier scrutin, tant en ce qui concerne la participation des électeurs que le nombre considérable de bulletins nuls et enfin les résultats en sièges, montre clairement que le choix du peuple a subi un effritement certain et que les suffrages exprimés se sont éparpillés entre des formations politiques et des listes indépendantes qui n’ont pu participer au scrutin que grâce à la permissivité de certaines dispositions de la loi électorale en vigueur".

Pour le ministre, certains politiques : "sans assise populaire ne se rappellent de l’opinion publique et de l’électeur qu’à l’occasion des rendez-vous électoraux".

C’est sans doute vrai, mais cette remarque s’applique à l’ensemble des partis politiques, jusques et y compris le FLN que défend le ministre, en filigrane.

Tout le reste, enfin, du laïus de Zerhouni s’articule toujours autour des soi-disant 35 % de votants (parce qu’en réalité, le taux est nettement moindre). Et il oublie l’essentiel, autrement dit les deux tiers de l’électorat inscrit qui ont totalement déserté les urnes, non pas à cause de ces « petits partis plus ou moins croupions », mais à cause des grands qui tiennent le pouvoir et dirigent le pays vers la catastrophe. Il est vrai que là encore Zerhouni est capable d’en rejeter les causes sur ce qu’il appelle l’éparpillement électoral… Cela me rappelle cette boutade d’un ancien collègue : "Le patron chasse les mouches, pendant que les dromadaires lui écrasent les pieds…"