C'est une intéressante question qui est posée là, sous réserve, bien sûr, d'établir la preuve que les combattants du djebel ou de la 7è wilaya (la France) pratiquaient effectivement la torture contre leurs coreligionnaires ou les Français, militaires ou civils, capturés.
Il y a quatre jours seulement, dans une émission de la chaîne Histoire, consacrée à l'Algérie, ce thème a fait l'objet d'un débat unanimement soutenu par les invités, de choix pour certains, comme le général Delmas, le colonel Allaire, Benjamin Stora et surtout l'ancien Premier ministre Michel Roccard qui avait joué, à 25 ans, un rôle de premier plan dans l'élaboration du Plan de Constantine ou la mise en place des camps de regroupement des populations pour les extraire à la propagande FLN. Tous ont alors prétendu que la torture existait dans les maquis, sous forme plus accentuée encore que dans les casernes.
Pour avoir personnellement vécu quasiment de bout en bout cette guerre, sans chercher à m'abriter derrière un quelconque esprit chauvin, je puis affirmer que les fellaghas d'alors ne torturaient pas mais tuaient carrément toute personne, homme ou femme, qui leur était désignée sur un maigre soupçon de leurs indicateurs ou simplement pour assouvir une soif de vengeance. Je connais, sur le sujet, des tas d'exemples que ma conscience m'interdit d'oublier et que je me ferai peut-être un jour le devoir de relater dans un ouvrage à l'intention des générations futures. En juillet 1962, faisant d'ailleurs, avec des camarades, le décompte global des victimes de la guerre dans notre commune, nous avions sans surprise recensé des chiffres plus lourdement imputables aux combattants de l'ALN qu'à l'armée coloniale.
Plus tard, j'ai eu l'occasion d'accéder à un brin d'archives du Gouvernement général où des photos de monstruosités attribuées aux fellaghas donnaient effectivement une image plutôt exécrable de leurs auteurs. Mais, là encore, il s'agissait d'exécutions capitales qui insultaient à la dignité humaine, surtout quand, par sauvagerie, on émasculait après exécution la victime pour lui enfouir son propre sexe dans la bouche.
Tous ces actes aussi répugnants que condamnables ne pouvaient et ne peuvent être chantés à la gloire de leurs auteurs, fussent-ils des moudjahidin fortement convaincus de la noblesse de leur combat. Ils ont autant sali ce dernier qu'ils perdureront dans les esprits comme des taches indélébiles de l'histoire de la révolution algérienne.
Cela dit, il faut bien préciser que la torture, par elle-même, ne pouvait être pratiquée, de ce côté-là, avec les mêmes moyens que ceux par lesquels l'armée française avait brillé alors. Pour la simple raison que l'électricité était partout coupée, hors des casernes, la gégène entre autres était exclue comme moyen de torture le plus couramment décrié.
S'agissant, enfin, du lien évident pouvant expliquer l'extension de ces procédés abominables à l'Algérie indépendante, je crois, pour ma part, qu'il découle tout simplement d'un besoin naturel et humain, quoique bestial, de reproduction de la force ou de la puissance de l'adversaire d'hier sur son ennemi d'aujourd'hui. C'est ainsi que les Français, après l'avoir eux-mêmes vigoureusement combattue et dénoncée, ont généralisé, tant en Indochine qu'en Algérie, la pratique de la torture qu'ils avaient endurée sous l'occupation. Par le même esprit grégaire, les services de sécurité algériens l'ont adoptée à leur tour, allant jusqu'à faire dire un jour à Boumediene, toute honte bue, qu'il ne disposait que de ce moyen-là pour faire parler ses ennemis. Le plus embarrassant est qu'aujourd'hui ces actes barbares sont codifiés, enseignés et étendus à l'échelle du monde au point de devenir un moyen dit stratégique retenu officiellement par la première puissance mondiale pour faire avancer sa lutte contre le terrorisme islamiste. Or, il faut les avoir subis ou simplement observés sur d'autres pour se faire une idée plus précise des souffrances et de l'effroyable dégradation humaine qu'ils impliquent.
Voilà comment l'homme invente ses propres moyens de destruction de son espèce qui ne font honneur ni à ses facultés morales ni à son intelligence ou à son esprit inventif pour se délester des impulsions animales qui résident au tréfonds de lui-même, les questions de culture ou de civilisation ne comptant bien souvent que pour du pipi de chat.