Les émeutes en Algérie perdurent

Il ne se passe plus de jour, en Algérie, sans que ne retentisse ici ou là quelque explosion sociale avec sa cohorte de déprédations plus ou moins graves causées aux édifices publics, aux commerces, aux véhicules, etc.

Cette fois, cependant, c'est dans une ville d'un million d'habitants réputée calme, Ech-Chlef, située à quelques 250 km de la capitale, que des échauffourées assez violentes se produisent depuis dimanche, entre les manifestants et les forces de l'ordre chargées de les contenir.

A l'origine, la Coordination des sinistrés d'octobre 1980 est désignée du doigt pour avoir ourdi les premières manifestations de ras-le-bol des populations sinistrées de la localité. Elles attendent, en effet, depuis bientôt trois décennies, d'être relogées dans des logements en dur, les baraques provisoires qui leur servent d'abris ayant atteint aujourd'hui un état de vétusté ne leur permettant plus de jouer leur fonction.

Au lieu de rechercher avec le président et les délégués de cette association les voies et moyens susceptibles de régler sans bruit le problème posé, le wali aurait promptement recouru à l'usage de la force, faisant même traduire le président en question sous de fallacieux prétextes devant un tribunal. C'était là non seulement faire fi du droit élémentaire des administrés à exprimer leurs doléances mais surtout manquer de tact à un moment particulièrement difficile où les populations, à l'échelle de la planète entière, souffrent du renchérissement brutal des produits alimentaires. Plus singulièrement encore, dans une wilaya durement éprouvée par l'un des taux de chômage les plus forts du pays, le premier responsable de la wilaya aura fait preuve d'une réelle incapacité à assumer sa charge, et ce d'autant qu'en six années de présence à la tête de la wilaya il n'a guère réussi à améliorer le sort des populations.

Pour l'immédiat, il reste seul, avec sa police, à guerroyer contre les émeutiers, le pouvoir central continuant, lui, de dormir sur ses lauriers, tellement ballotté aussi par mille autres problèmes posés partout ailleurs.

De crainte, sans doute, que les émeutes fassent tache d'huile et le bousculent au-dehors sur la scène internationale, le gouvernement a finalement dépêché, sur les lieux de l'agitation, le ministre des collectivités locales, Dahou Ould Kablia, pour transmettre ses consignes.

Pour tenter de désamorcer la crise, des réunions ont été dès lors organisées au niveau, d'une part, des principaux responsables de la wilaya ; d'autre part, des élus locaux auxquels se sont associés des représentants d'associations directement concernées par l'objet des revendications.

Daho Ould Kablia s'en est particulièrement pris, dans ses allocutions, à d'autres associations extra locales et surtout aux formations politiques adverses pour les fustiger, leur attribuant même, abusivement, le rôle de commanditaires mus par l'objectif de nuire aux institutions de l'Etat.

En vérité, sans le nommer, c'est bien le RCD, une formation politique d'opposition, qui était spécialement visé dans le propos de l'ex wali d'Oran et tristement célèbre ancien ambassadeur d'Algérie à Rome. Agitant, au nom de la cohésion régionale de l'ouest, de laquelle il relève au même titre que le président de la République et ses 12 ministres ainsi que les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, le spectre de la contagion kabyle qui fait horreur à tous, Kablia ne pouvait avoir d'autre rôle, en vérité, que celui de pourfendre l'opposition politique de ce parti pour ne pas avoir à justifier les dérives criantes, l'absence ou les égarements coupables du pouvoir dont il se réclame.

Du reste, que pouvait-on attendre d'autre d'un personnage qui, un jour, devant les caméras de télévision, avait osé, publiquement, mettre en garde ses compatriotes sur le danger de la consommation de la tomate en conserve ? N'est-ce pas qu'il ne dépare en rien le décorum auquel il appartient ?

De nouvelles émeutes ont, cette fois, mis aux prises, vendredi, les jeunes de Ksar-el-Boukhari (à 40 km de Médéa) avec les agents des services de police, à la sortie du stade où venait de se dérouler un match de l'équipe locale contre celle de Boufarik, indique le correspondant du journal Le Soir d'Algérie.

A l'origine de cette explosion inhabituelle, un premier incident, ayant opposé, dans la rue, il y a deux semaines, un policier prenant la défense d'une jeune fille et deux jeunes de la localité et s'étant terminé par l'arrestation et la condamnation de ces derniers à deux ans de prison ferme, avait déjà chauffé à blanc la masse des nombreux chômeurs déambulant dans la ville. La fermeture par les services municipaux, intervenue peu après, ensuite, d'un marché informel du centre ville, avait donné le signal d'un sourd mouvement de protestation qui s'est exprimé alors publiquement ce vendredi en lançant la foule des supporters sur le sac des bâtiments publics. Ainsi, le siège de la Casnos, une école, des cabines téléphoniques et des magasins sont vite devenus la cible des émeutiers.

L'intervention immédiate des services de police a mis un terme à cette agitation qui s'est soldée par l'arrestation de tente-cinq manifestants.

Comme toujours, le chômage et la malvie semblent être, une fois encore, les soubassements de ces déplorables débordements qui causent non seulement des dégâts aux biens de la société en général mais sapent le fruit du travail de tous. Car, enfin, détruire une agence de sécurité sociale ou, pire encore, une école, c'est finalement commettre un crime tout aussi inacceptable qu'impardonnable. Des dizaines de millions de gens manifestent régulièrement à travers le monde sans pour autant céder à la moindre tentation de détruire les biens publics.

De nouvelles émeutes ont eu, cette fois, pour cadre la ville d'Oran, ces deux derniers jours. L'ensemble des quartiers de la capitale de l'ouest ont vécu, rapportent les journalistes, des scènes peu communes de saccage, d'incendies et d'atteintes aux biens publics et privés, où les forces de l'ordre, submergées, se trouvaient totalement impuissantes à les réduire et moins encore à les prévenir, tant les casseurs semblaient résolus à mettre toute la ville en ruines. Ces derniers occupaient durant tout ce temps la rue sans interruption, brisant vitrines, voitures, infrastructures publiques, et empêchant même les enfants de retrouver les bans de l'école, à un moment particulièrement marqué par les examens de sixième.

Curieusement, malgré l'importance des dégâts causés, les forces de l'ordre n'ont à aucun moment usé, comme à Tizi Ouzou, de leurs armes pour réfréner à tout le moins l'ardeur de ces voyous. L'explication, bien sûr, est simple : Oran est à l'ouest. Bouteflika, douze de ses ministres y compris le ministre de l'Intérieur, le chef du gouvernement, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat sont tous natifs de la région.

L'on éprouverait sans nul doute quelque compassion à voir des centaines, voire des milliers de jeunes gens déferler dans la rue, là ou ailleurs, crier leur ras-le-bol à cause du chômage, des incertitudes de leur avenir et d'autres problèmes sociaux nés principalement de la gabegie qui caractérise la gestion des affaires publiques de ces dernières années, sous réserve encore qu'ils n'attentent pas aux biens communs ou particuliers. Mais que ces violences trouvent leur cause dans la relégation en deuxième division d'une équipe locale de football ont de quoi susciter la réprobation et la colère de tout le peuple qui paie, lui, par sa sueur et ses privations interminables, chacune des pierres posées pour l'édification de chaque pan de mur de ce satané pays. Car, enfin, que les gens manifestent pacifiquement dans la rue, comme cela est la règle partout dans le monde civilisé, participe d'un devoir de citoyenneté visant à exiger le droit au travail, le droit à la liberté d'expression, le droit de préserver les biens et acquis sociaux, le droit de préparer le devenir des générations futures, etc.

Le plus déroutant aussi est qu'au moment où des jeunes vraiment décidés, au péril de leur vie, avaient fait montre de ce devoir, en occupant la rue, en 2001 à Tizi Ouzou, il ne s'était alors trouvé presque personne pour soutenir leur lutte. D'est en ouest et du nord au sud, les Algériens avaient alors raillé leurs concitoyens kabyles qu'ils accusaient même de jouer aux sécessionnistes.

Le calme semble toujours précaire à Oran, où les rues, chargées d'immondices, continuent d'être vidées à la fois par les piétons et les automobiles. Pis encore, le travail lui-même s'est arrêté faute de moyens de transport et surtout de sécurité dans les déplacements.

L'on redoute plutôt les pénuries de produits alimentaires qui ne manqueront pas de se manifester si la situation venait à perdurer.

Les dégâts, au terme de ces deux ou trois jours de violences, sont considérables. On parle d'une centaine au moins de blessés, appartenant en majorité aux forces de l'ordre. Les destructions diverses de vitrines, de voitures, de biens publics, les pillages et autres vols qui dénotent un manque total de civisme ne manqueront sans doute pas de surprendre les autorités, une fois évalués.

En fait, tant que le pétrole continue de couler, Bouteflika et ses amis peuvent considérer tout cela comme négligeable, d'autant que rien d'autre, aujourd'hui, ne les intéresse autant que le 3è mandat.

En Algérie, le ridicule ne tue toujours pas. Les autorités n'ont rien trouvé d'autre comme solution de fuite en avant pour calmer les émeutiers oranais qu'en cédant à leurs revendications, quand bien même sont-elles dénuées de sens et portent-elles atteinte à l'organisation sportive nationale elle-même. Le MCO, le fameux club local relégué en seconde division resterait en première, puisque la Fédération nationale de football vient de déclarer, dans un communiqué diffusé hier, son intention de relever à 20 le nombre des équipes composant cette première division, quitte à chambouler toute la discipline régissant la planification du jeu de l'ensemble des équipes concernées.

A certains de se demander si une telle idée rétrograde aurait-elle germé dans l'esprit étriqué et totalement chauvin des dirigeants politiques, dans le cas où une autre équipe que le MCO était ainsi désignée à la relégation. Car l'on ne perd pas de vue que ces dirigeants politiques appartiennent pour l'essentiel d'entre eux à la région ouest, de laquelle relève le MCO.

A n'en pas douter, le moment était bien mal choisi pour les casseurs oranais d'exprimer leur colère de façon aussi extrêmement violente. Car chacun sait qu'au-delà du football les causes profondes de leurs manifestations se trouvent plutôt dans le chômage, la cherté de la vie, l'étouffement des libertés, etc.

Signalons, enfin, que deux cents jeunes gens arrêtés au cours de cette agitation sauvage ont été déférés, hier, par-devers le juge d'instruction d'Essadikia qui les a entendus, sans que l'on sache néanmoins les suites données à ses audiences.