Le pouvoir de Déby, au Tchad, est sérieusement menacé

N'djamena est désormais sous la menace des coups de boutoir de la colonne rebelle qui s'en prend au pouvoir du président Driss Deby.

Les principales formations rebelles sont rentrées depuis lundi au Tchad, venant du Soudan où elles s'étaient regroupées. 300 véhicules au moins, chargés chacun de dix à quinze hommes, indique une dépêche AFP, ont réussi à traverser le pays sur 700 km sans avoir rencontré de front l'armée tchadienne.

Déby, qui a tenu à diriger lui-même les opérations contre les rebelles est donc rentré bredouille, cet après-midi, à N'djamena.

Aujourd'hui, l'assaut mené contre la capitale s'identifie exactement à celui de Déby lors de sa prise de pouvoir à bord d'une colonne venue également du Soudan en 1990.

Demain, expire en principe le délai accordé à Déby pour ouvrir des négociations en vue de partager le pouvoir avec la rébellion.

Les chancelleries, ce soir, craignent désormais le pire à N'djamena, susceptible d'être mise à feu et à sang, dans des combats de rue où la population devra payer un lourd tribut.

Il reste, enfin, à savoir quelle sera la position de la France dans un face à face qui risque de tourner à son désavantage, la zone étant considérée comme sensible d'une part et susceptible, d'autre part, d'embrasement généralisé.

2000 rebelles ont investi dès ce matin la capitale Ndjamena et encerclé la présidence où l'on suppose le président Déby enfermé. Ils étaient à bord de 4x4, équipés de mitrailleuses, de lance-roquettes et de Kalachnikov.

L'armée gouvernementale a cédé sous la pression des assaillants au bout de trois heures de combat, et malgré l'appui apporté plus tard par les chars, l'étreinte ne s'est pas desserrée jusqu'ici, selon les agences d'information.

On indique par ailleurs que le chef d'état-major de l'armée gouvernementale a été tué, hier, à Massaguet.

Le sort de N'djamena reste enfin entre les mains de Sarkozy, apparemment décidé à soutenir le régime en place, en dépit des mises en garde adressées à la France par la rébellion et l'invitant à ne pas se mêler des affaires intérieures du Tchad.

Déby, soutenu en même temps par l'Union africaine qui semble condamner l'attaque menée contre son régime, ne semble pas, en tout cas, résolu jusqu'ici à céder son pouvoir à ses adversaires.

Après avoir assiégé la présidence, dans la matinée d'hier, les rebelles se sont repliés vers le nord, en fin de journée. Revenus à la charge, aujourd'hui, ils ont de nouveau mené des attaques momentanées contre le siège du chef de l'Etat, sans parvenir à avoir raison des troupes qui le protègent.

Pendant ce temps, N'djamena, livrée au sac, commence à compter ses victimes. Des centaines de civils ont été blessés, de nombreux autres tués dans les rues, le plus souvent, semble-t-il, par des tirs d'hélicoptères et de l'artillerie lourde. Le marché principal et la radio ont brûlé à la suite de tirs d'obus, avant d'être livrés au pillage, faute de protection.

Les étrangers, essentiellement français, pris en charge par les détachements militaires français, commencent à refluer vers Libreville, au Gabon, escale nécessaire avant le rapatriement en France. D'ailleurs, l'aéroport de N'djamena est resté sous contrôle de l'armée française, grâce auquel des hélicoptères tchadiens ont pu décoller librement pour venir appuyer l'armée régulière contre les rebelles.

Une menace d'attaquer sous vingt-quatre heures l'aéroport plane désormais, en faisant craindre l'immixtion de l'armée française dans le conflit. Cette dernière aura-t-elle, d'ici là, fini d'embarquer les étrangers et se pliera-t-elle à l'injonction des rebelles ? Rien n'est moins sûr, Paris fera sans doute le maximum pour extraire au plus vite ses nationaux de la mitraille, de sorte qu'il puisse donner juste après le feu vert à ses troupes pour venir en aide à Déby, fût-ce avec quelque discrétion pour ne pas irriter les peuples africains.

Sarkozy a pris sa décision, dans le droit fil de la condamnation de l'intrusion rebelle par l'ONU, les Etats-Unis, la Russie, l'Union africaine, etc. Il a déclaré : "Si la France doit faire son devoir (au Tchad), elle le fera". Il n'en faut pas plus pour comprendre que, sans y être juridiquement tenue par un contrat de défense ou d'assistance au Tchad, Paris ne manquera pas, comme il l'a déjà fait du temps de Chirac, d'intervenir militairement au besoin, afin de chasser les rebelles de N'djamena et de rétablir l'autorité de Déby.

Il est vrai que, d'un autre côté, les Etats de l'U.A. s'étaient déjà mis de longue date d'accord pour ne jamais soutenir un quelconque coup d'Etat militaire fomenté par les forces d'un pays, et ce, quels qu'en soient les motifs ou les justifications. En l'occurrence, les rebelles tchadiens, par l'armement qu'ils exhibent, les uniformes, les camions et autres véhicules militaires utilisés, donnent l'image très nette qu'ils ont appartenu ou appartiennent encore aujourd'hui aux forces régulières du pays. Cela donne à leur mouvement les formes d'un pronunciamiento condamnable au sens de l'U.A. et même de l'ONU.

D'ailleurs, si ces rebelles ont fini par lever le siège de N'djamena, sur le conseil sans doute de Kadhafi, chargé par l'UA de la médiation entre le pouvoir central et eux, ce n'est sans nul doute pas faute d'avoir pu résister aux forces loyales qu'ils avaient dès le départ submergées.

Le problème est donc cette fois de savoir quel peut être l'avenir de cette rébellion que l'arrivée prochaine des forces de l'Eufor, ayant pour mission de protéger le Darfour des exactions de l'armée soudanaise, devra acculer bien loin des frontières soudano-tchadiennes. Et le Soudan, auquel on attribue la formation voire le contrôle de cette rébellion, aura lui-même, dès lors, assez de grain à moudre pour ne pas être tenté d'expulser de son territoire les agitateurs tchadiens en rupture de ban avec leur propre gouvernement.

C'est fait ! La France a donné le coup de pouce attendu pour sortir Déby de la position critique qui était la sienne.

Le journal français La Croix est catégorique, là-dessus, même si le pouvoir central de Paris tente de démentir l'information.

Pour le quotidien, les informations recueillies auprès des diplomates comme des militaires français stationnés au Tchad confirment toutes que l'armée française est bel et bien intervenue indirectement contre les rebelles, et ce, dès le 2 février, au lendemain donc du retrait de Déby de la zone des combats à l'est du pays et de la perte de son chef d'état-major tué sous le feu.

Dans un premier temps, les Français, sous prétexte de protéger leurs compatriotes civils regroupés à l'aéroport en vue de leur transfert en France, ont assuré la sécurité des mouvements d'hélicoptères tchadiens se trouvant en stationnement sur le tarmac et qui se révèleraient d'une grande efficacité dans la lutte ayant permis de desserrer l'étau mis en place autour du palais présidentiel.

Grâce, ensuite, à leurs équipements satellitaires et à leur aviation tournoyant sans interruption dans le ciel, les militaires français pouvaient communiquer aux troupes loyalistes les positions ainsi que les points faibles des rebelles. Mieux, ils ont pu ramener de Libye des munitions manquantes aux chars T-55 ayant servi Déby pour repousser ses assaillants.

Ce faisant, Sarkozy avait beau jeu de bénéficier encore de l'appui de la communauté africaine et même internationale qui a condamné unanimement l'invasion rebelle.

Le journal Libération écrit aujourd'hui : "Les forces de la résistance nationale confirment l'implication des forces françaises dans les derniers combats de N'Djamena, contrairement aux déclarations du ministère de la Défense français", vient de déclarer le porte-parole de la rébellion, Abderrahman Koulamallah, avant d'ajouter : "Cette implication ne s'est pas simplement limitée à la fourniture de munitions, mais à une participation active des soldats français."

Selon le même journal, la rébellion tchadienne estime que "Le marchandage honteux fait par les autorités françaises d'une implication de leurs forces armées dans le conflit tchadien en échange d'une grâce d'Idriss Déby pour les condamnés de l'Arche de Zoé" était "indigne de la République française". "Par cet acte, la France met inutilement en danger la vie de ses propres ressortissants pour sauver un régime à bout de souffle et décadent".

Il est non moins vrai que Déby a laissé entendre, dès hier, qu'il était prêt à gracier les 6 zozos français condamnés à 8 ans de travaux forcés dans le cadre de l'affaire dite de l'Arche de Zoé, dès lors que la demande lui en sera présentée.