Le Monde.fr | 25.06.2014
Il y a quelques jours ou de nombreuses années, ils ont triché lors d'une épreuve du baccalauréat. Nous avons reçu un grand nombre de témoignages de fraudes minutieusement préparées ou, coups de chance saisis au vol, pleinement assumées ou regrettées, et rarement déterminantes dans l'obtention du fameux diplôme. Florilège.
« À l'insu de mon plein gré », par Pierre A., 24 ans, ingénieur
« Lors de l'épreuve de mathématiques en S, en juin 2007, il faisait chaud. Les méninges carburaient, le soleil rayonnait de sa splendeur, les fenêtres étaient de facto ouvertes. Mon cerveau n'échappait pas à l'ébullition ambiante, je m'arrachais les cheveux sur un exercice que je pensais à ma portée mais que je n'arrivais pas à résoudre.
Soudain, Éole se réveilla et, avec une précision diabolique, déplaça le brouillon de mon voisin juste à côté de ma table. Celui-ci, très concentré, ne s'en rendit pas compte et penchait déjà sur un autre exercice. Les examinateurs, trop concentrés sur les futurs bacheliers, n'avaient pas vu arriver le danger.
Il me suffit alors de recopier, sans même la crainte d'être réprimandé, ce qui gisait là sous mes yeux. Ces quelques points glanés auront été déterminants pour l'obtention de ma mention AB. »
« Au premier tour du 3 x 500 mètres, je me cache derrière un buisson », par Anne-Sophie F., 21 ans, étudiante
« L'une des trois épreuves de sport au bac était le “3 x 500”, épreuve qui semble avoir été inventée par un suppôt de Satan. Le principe ? Courir cinq cents mètres, s'arrêter, courir cinq cents mètres, s'arrêter, courir cinq cents mètres, s'arrêter. Une torture. Pour courir lesdits 500 mètres, il fallait faire trois tours de piste : au premier tour, épuisée et soufflant comme un bœuf asthmatique, je me cache derrière un buisson, et je rejoins mes camarades à l'issue du troisième tour de piste.
La supercherie passe inaperçue, j'ai une excellente note – et obtiens le bac avec mention. Ironie du sort : le concours d'entrée à l'IEP où je suis actuellement portait sur le sujet suivant : “Sport et bien-être” . J'ai eu 16. »
« Avec ma calculatrice... une fraude légale, une erreur morale », par Gabriel J., bientôt diplômé (ou pas) du baccalauréat
« C'était il y a même pas une semaine. J'ai triché. Du point de vue législatif, je n'ai enfreint aucune loi. Du point de vue de mon dictionnaire, c'était une erreur morale. Erreur morale néanmoins reléguée au second rang par une justification sociale.
Pour ma part, l'action de triche fut d'entrer successivement dans ma calculatrice une fraction de mes cours de physique puis de mathématiques, afin de faciliter le passage de ces épreuves, qui sont pour le moins importantes en série scientifique.
La Circulaire 99-108 du 1-2-1999 autorise l'utilisation de toute calculatrice de poche. Les plus répandues sont les plus abordables (pas plus de 70 euros), et ne permettent pas d'aller bien loin. Mais dans ma classe d'une trentaine d'élèves d'un lycée réputé du Bas-Rhin, un tiers au moins dispose d'une TI NSpire de dernière génération. Pour 170 euros, vous n'avez plus besoin d'assister aux cours.
Écran couleur, mémoire largement suffisante pour y stocker le programme entier des trois années de lycée, et pour toutes les matières. Calcul formel aussi : la machine affiche les résolutions d'équations par étapes, mais aussi les dérivées, les intégrales… Elle est autorisée le jour du baccalauréat. Et ceux qui peuvent apporter cette sorte de livre de mathématiques numérisé, ce sont forcément ceux qui ont les moyens. »
« Des coups de chaud lorsque l'examinateur prit mon livre », par David B., photographe au Mans
« C'était en 1995. Il fallait amener les livres contenant les textes étudiés, sur lesquels nous pouvions être interrogés. J'avais fait un système où, 18 pages avant ou après le texte, j'avais mis toute une somme d'informations (plans, idées, punchlines...), le tout écrit très fin, entre les lignes, au crayon à papier.
Finalement, cela ne m'a pas énormément servi car je connaissais très bien le texte sur lequel je suis tombé (L'Huître, de Francis Ponge), sinon à me rassurer et à me donner quelques coups de chaud lorsque l'examinateur prit mon livre ».
« Je saute de table en table comme un ahuri afin d'intervertir le maximum de brouillons », par Olivier B., informaticien à Orléans
« Marseille, 1996. Il me reste à passer l'épreuve de SVT. Mon niveau est faible, je décide donc de m'octroyer un petit coup de pouce en recopiant très légèrement avec un critérium tout le schéma du système immunitaire ainsi que celui de la création de l'atmosphère sur les différentes couleurs de brouillon récupérées lors des épreuves précédentes.
Mon plan est d'arriver en avance afin de pouvoir poser sur ma table l'antisèche de la bonne couleur. Bien évidemment, une fois dans la salle, je constate qu'aucune de mes antisèches n'a la couleur du tas qui m'est destiné. Aucun surveillant n'étant encore arrivé, je ne me démonte pas et j'intervertis rapidement mon tas avec celui de la table à ma droite. Je découvre alors que les bouillons sont placés de manière à ce qu'aucune table voisine ne puisse avoir les mêmes couleurs de feuilles… Or ma substitution fait clairement apparaître deux piles bleues côte à côte.
Toujours pas de surveillant : je saute de table en table comme un ahuri afin d'intervertir le maximum de paquets. Tout cela sous le regard perplexe des élèves qui entrent au fur et à mesure. L'objectif est d'éloigner de moi les deux piles identiques. Bilan, je ne me fais pas attraper, mais rate tout de même mon bac, non sans avoir pu réciter la formation de l'atmosphère dans ma copie. Pas grâce à l'antisèche que j'avais sur la table... mais parce qu'après l'avoir recopié 4 ou 5 fois la veille, j'avais appris cette leçon parfaitement...»
« Tous mes brouillons finissaient sous les yeux d'un ami », par P.
« Mon bac, c'était il y a presque quinze ans. La très grande majorité de la salle étant observée mais nos deux dernières rangées sans surveillance. Derrière moi, l'un de mes “meilleurs amis” de l'époque subissait un stress énorme, incapable de réfléchir convenablement…
Tous mes brouillons finissaient sous ses yeux. Nous avons tous les deux eu notre bac. Il a su me remercier bien plus tard en me permettant d'intégrer le grand groupe chimique dans lequel il travaillait. Aujourd'hui, nous ne nous côtoyons plus, mais il m'arrive parfois de penser à lui, peut-être fait-il de même en souriant, et ça me f.ait sourire aussi... »
« Je n'avais absolument pas besoin de tricher. Je l'ai fait pour le plaisir », par Alexandre, créateur d'entreprise.
« J'ai passé mon baccalauréat en 2012, la dernière épreuve était celle de SVT. J'avais présélectionné quatre sujets, qui étaient à mon sens les plus probables, et extrait d'un petit livre de révision très bien fait la fiche correspondante aux sujets en questions. Une dans chaque poche arrière du pantalon, les deux autres chacune dans une chaussette.
Une heure après le début de l'épreuve, je demande à aller aux toilettes. Le professeur qui m'accompagne me connaît bien (ou mal) et a toute confiance : il s'arrête à l'entrée des WC pour discuter, pendant que moi j'enregistre dans ma mémoire immédiate autant d'informations que possible pendant une minute. Je fais retentir la chasse d'eau, et je file à ma table coucher sur brouillon les précieuses informations que je fais tourner en boucle dans mon esprit.
Elles me permettront d'illustrer la partie restitution de connaissance de vocabulaire précis, et de revenir avec 15 sur 20 dans une matière où j'avais dû assister à 25 % des cours, sans prendre de notes ni réviser avant le grand jour. Je l'ai fait pour le plaisir, sûrement aussi par manque de confiance, et par panache. J'ai toujours aimé prendre des risques et jouer avec les règles. Je n'avais absolument pas besoin de tricher, je suis d'ailleurs reparti avec une confortable mention bien. »
« Ma crainte que les surveillants ne me laissent pas entrer dans les toilettes des filles s'avéra infondée », par Philémon, étudiant.
« C'était il y a deux ans, toutes les épreuves de notre bac ES étaient derrière nous mis à part celle de mathématiques, celle que je redoutais le plus au vu de mes résultats effroyables tout au long de l'année et du peu de temps passé à la réviser.
Avec une amie dans la même situation que moi et une complice, nous avons donc mis au point une technique visant à obtenir quelques points faciles lors de l'épreuve. Nous savions que l'un des exercices serait un QCM noté sur 5 et que notre salle d'examen était située juste en face des toilettes des filles. Notre complice, d'un excellent niveau en maths, demanderait à se rendre aux toilettes, un stylo glissé dans la poche, et inscrirait les réponses au QCM au dos d'une affiche de sensibilisation à la contraception se trouvant dans une des cabines.
Nous n'aurions plus, moi et mon amie tricheuse, qu'à attendre un peu puis à demander à tour de rôle à nous rendre aux toilettes pour profiter des solutions. Ce fut un succès sur toute la ligne, ma crainte que les surveillants ne me laissent pas entrer dans les toilettes des filles et m'obligent à faire un détour vers celles des garçons s'avéra infondée, et ces 5 points gagnés sans aucune débauche de temps nous assurèrent une note très honorable. »
« Je me suis entraînée toute l'année à tricher », par Solène, étudiante en école de commerce
« J'ai eu mon bac ES mention bien en 2008. Mais pour cela, j'ai dû ruser quelque peu. Ne voulant pas décevoir mes parents ni mes profs, j'ai usé de mes compétences en tricherie, je me suis entraînée toute l'année donc ce ne fut pas très dur. D'autant plus que les surveillants ne se doutaient pas que je pouvais tricher, étant connue pour mon sérieux et mes bons bulletins.
J'ai collé une feuille en papier derrière ma règle en métal : j'y ai noté quelques formules de maths, un autre jour des dates historiques, un autre quelques règles de grammaire pour l'anglais, ou encore les plans de mes leçons d'économie. Cela m'a bien aidée et c'est totalement discret. (...) Par contre, il ne faut pas compter que sur ses antisèches, il faut aussi bien réviser ; il n'est pas possible de réussir son bac sans avoir révisé un minimum et en ne comptant que sur ses pompes ! »
« J'ai eu très peur et ne recommencerai pas », par Bastien G., étudiant à Poitiers
« En 2009, pour l'épreuve de SVT, j'avais préparé une antisèche grâce à des feuilles de brouillon des précédentes épreuves. Et je l'avais cachée sous ma copie. L'ennui, c'est que la feuille de mon antisèche n'était pas de la même couleur que les feuilles de brouillon qui nous avaient été distribuées pour l'épreuve.
Un des surveillants l'avait remarqué en me disant : “Mais vous avez une feuille de brouillon d'une couleur différente des autres, montrez-la moi″. Et curieusement, il n'avait pas insisté et m'avait souri. Je dois avouer que si ça avait été quelqu'un d'autre, j'aurais bien été interdit d'examens pendant cinq ans, ma triche ayant été préméditée, ce qui est une circonstance aggravante. Le pire, c'est que je ne m'en suis pas servi de toute l'épreuve. J'ai pu donc composer sans éveiller le moindre soupçon. J'ai eu très peur et ne recommencerai plus jamais une chose pareille. Mon avenir aurait pu être bien compromis à cause de cela. »
(http://campus.lemonde.fr/campus/article/2014/06/25/la-fraude-au-bac-racontee-par-ceux-qui-l-ont-pratiquee_4444367_4401467.html#xtor=AL-32280515)