lefigaro.fr - 10.04.2012
par Pierre Prier
Un tribunal a dissous la commission, dominée par les Frères musulmans, chargée de rédiger la Constitution.
La suspension de la commission chargée de rédiger la nouvelle Constitution égyptienne redistribue les cartes de l'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu les 23 et 24 mai prochain. La décision de déclarer « nulle et non avenue » la Commission constituante porte un coup dur aux Frères musulmans et aux salafistes. Les députés représentant l'islam politique avaient voulu refléter leur victoire aux législatives, où ils avaient emporté 70% des sièges du Parlement. Sur 100 membres de la commission (50 députés, 25 hauts fonctionnaires et 25 personnalités de la société civile), une soixantaine étaient des islamistes. Pour protester, les laïques et les libéraux avaient retiré leurs 18 représentants, suivis par celui de la Cour constitutionnelle et celui de l'université religieuse al-Azhar. Des partis et des juristes libéraux avaient déposé un recours devant le tribunal administratif, accusant le Parlement d'avoir abusé de ses pouvoirs en formant cette commission. « Les modalités de mise en place de la Constituante étaient floues, explique Sophie Pommier, consultante spécialiste de l'Égypte, dans la mesure où celle-ci devait être formée après l'élection du Parlement, il était logique d'établir une corrélation entre les deux et que les mêmes équilibres s'y retrouvent plus ou moins, sinon pourquoi avoir perdu un an? »
Légitimité religieuse
Les libéraux étaient en désaccord avec cette interprétation. Ils soupçonnaient en outre les islamistes de vouloir préparer une Constitution imprégnée de religion. Les partis séculiers entendent bien faire disparaître l'article 1 du texte actuel, qui stipule que « la charia est la source principale du droit ».
Les généraux du Conseil suprême des forces armées (CSFA) actuellement à la tête de l'État ont soutenu ce combat. Jusqu'à la révolution, les militaires ne trouvaient pourtant rien à redire à cet article instauré par Anouar el-Sadate pour donner une légitimité religieuse au pouvoir de l'armée. Si le CSFA a appuyé la campagne des libéraux, ce n'est pas pour l'amour de la laïcité, suggère Sophie Pommier: « Les généraux instrumentalisaient les libéraux contre les islamistes. Il s'agit probablement d'une forme de pression liée à des négociations en coulisses. En échange de l'abandon d'un pouvoir qu'ils exercent depuis Nasser, les militaires veulent conserver leurs privilèges économiques, garder la haute main sur le budget de l'armée et, sans doute, garantir leur impunité contre d'éventuelles poursuites judiciaires. » La décision du tribunal administratif fera plaisir aux généraux. Elle leur donne un atout dans leur bras de fer avec les islamistes. Elle survient trois jours après la candidature de dernière minute du général Omar Souleiman, l'ancien chef des renseignements militaires, véritable numéro deux du régime Moubarak. Le général s'est aussitôt défendu d'être « le candidat des militaires ».
Son irruption dans l'élection pourrait signifier que les négociations sont au point mort. Elle paraît répondre à celle du numéro deux des Frères musulmans, Khairat al-Shater, déposée le 31 mars. L'Égypte risque de retrouver ainsi le vieux face-à-face entre islamistes et militaires, laissant sur le côté les enfants de la révolution. Et les Égyptiens risquent aussi d'élire un président aux pouvoirs mal définis, source de nouveaux conflits.
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