Elections au Maroc - Un revers pour le monde politique

Contrairement aux attentes, et pour ne pas déroger à une règle apparemment bien établie au Maroc, les électeurs ne se sont pas rendus nombreux aux urnes pour le scrutin des législatives d’hier. La participation n’aura été finalement que de 41 %, un score par ailleurs légèrement au-dessus de celui déclaré par les Algériens pour des élections semblables en mai dernier.

Mais la surprise ne vient pas seulement de ce côté-là : le P.J.D., le parti islamiste, qui convoitait au minimum quelques 70 sièges et aspirait même à devenir la première formation politique du pays, estime, ce matin, qu’il ne pourra compter que sur quarante à cinquante élus au maximum, un chiffre pesant assurément peu dans une assemblée qui en comptera 295.

La désaffection pourtant progressive des électeurs qui, elle, est réelle tant au Maroc qu’en Algérie, ne semble pas pour autant affecter les partis en lice, pas plus que les pouvoirs en place, les uns et les autres se refusant d’y décrypter le rejet cinglant, par la société, de leur cécité politique. A l’heure du satellite, du portable et de l’ordinateur qui placent, au plan de la communication, le Marocain ou l’Algérien quasiment au même plan que n’importe quel citoyen de l’univers, les gouvernants, sous l'oeil complice des partis politiques, continuent de dormir sur leurs lauriers et gèrent les affaires publiques avec l’approche du 18e ou du 19e siècles. Le résultat est pourtant là, criant, qui les interpelle sans cesse, en les mettant en garde qu’à force de bouillir la marmite finira par exploser.

Les réponses, c’est sûr, ne sont guère à rechercher dans autre chose qu’une gouvernance plus saine et un respect plus concret des valeurs et libertés humaines. Tout particulièrement, l’inégalité trop criante des revenus au Maroc et l’accaparement des richesses du peuple par des coteries proches du pouvoir en Algérie ne sont certainement pas de nature à renforcer les peuples dans leur conviction de vivre en osmose dans une société en constante évolution, sans compter que la menace que fait peser la mondialisation inéluctable fait craindre, d'ores et déjà, les pires effets sur tous.

Voici la liste provisoire, rendue publique ce soir par le ministre de l'Intérieur marocain, Chakib Benmoussa, des principaux résultats des législatives d'hier (partis obtenant plus de 20 sièges, seulement) :

- Parti de l'Istiqlal : 52, soit 16 pour cent des suffrages.
- P.J.D. (islamiste) : 47, soit 14 pour cent des suffrages.
- M.P. : 43, soit 13 pour cent des suffrages.
- R.N.I. : 38, soit 12 pour cent des suffrages.
- U.S.F.P. : 36, soit 10 pour cent des suffrages.
- U.C. : 27, soit 8 pour cent des suffrages.

(source : M.A.P.)

Comme on le voit, le P.J.D. se classe au second rang, derrière le Parti de l'Istiqlal. Il n'atteint pas, loin s'en faut, les 70 ou 80 sièges qu'il espérait.

Aussi, peut-on s'interroger, sans risque de trop se tromper, s'il n'y a pas un lien entre l'attentat de jeudi à Batna et la désaffection des électeurs pour le P.J.D. qu'un crime aussi odieux peut justifier par ricochet ? Sans nul doute les Marocains gardent-ils à l'esprit que le F.I.S., de triste mémoire, est presque parvenu au pouvoir par un chemin quasiment identique.

Nous sommes désormais fixés sur le taux définitif de participation à ces élections. Il est de 37 % seulement, et très proche de celui obtenu, en mai dernier, en Algérie.

La leçon à méditer est que, tant en Algérie qu'au Maroc, les peuples montrent ainsi clairement leur ras-le-bol d'un monde politique ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, à l'heure où d'autres nations, qu'on considérait hier seulement très en retard, pour ne pas dire arriérées, relèvent la tête et avancent résolument avec la conviction forte que la victoire est au bout de leurs souffrances d'hier et de leurs efforts d'aujourd'hui. La Chine, l'Inde, le Brésil et la République sud-africaine sont de parfaits exemples de pays ayant décidé définitivement d'en finir avec le sous-développement.

Quand on observe, d'autre part, les immenses progrès réalisés en Russie, depuis la dislocation du bloc soviétique, et plus particulièrement, dans un contexte d'impréparation totale qui avait présidé son entrée dans le marché libre, on reste abasourdi par toutes ces lenteurs, ces obstacles, cette mauvaise volonté qui viennent hypothéquer jour après jour chaque pas mis en avant à Rabat ou à Alger.

C'est pourquoi le célèbre mot de Clinton, prononcé à la fin de son mandat, résonne-t-il toujours dans mes oreilles avec un timbre bien sonore qu'il ne me paraît pas déplacé de rappeler ici : "Les Arabes, qui étaient quasiment au même niveau de développement que la Chine et l'Inde, en 1956, en sont restés à savoir tout juste faire cuire des pommes frites, tandis que ces deux pays disputent au monde avancé des places de premier rang dans les domaines nucléaire, électronique, etc."

En définitive, la majorité parlementaire est restée inchangée. Les partis qui composaient l'ancienne coalition reprennent le flambeau dans la nouvelle assemblée, malgré le recul de l'USFP. Ce parti, qui comptait 50 sièges n'en a plus, en effet, que 36 désormais, et, du coup, il est relégué au 5è rang.

Au total, la coalition regroupe 186 députés, soit une majorité satisfaisante.

Le PJD, dont le nombre d'élus s'est accru de cinq sièges, ne pourra compter que sur 47 députés et restera toujours exclu de la coalition.

Certains membres du gouvernement ont été élus ; d'autres, par contre, pas. Le même résultat a été enregistré au niveau des leaders de partis politiques, puisque nombreux des plus en vue ont subi un échec.

Enfin, 9 partis n'ayant obtenu aucun siège sont désormais éliminés de la course, en vertu de la loi électorale.