La Cédéao menace les putschistes maliens d'une action armée
Le Monde.fr | 28.03.2012
par Jean-Philippe Rémy (Bamako, envoyé spécial)
Des soldats mutins gardent le quartier-général du capitaine Sanogo, le chef de la junte, au camp militaire de Kati près de Bamako, le 27 mars.
Frontières ouvertes, militaires de retour dans les casernes et population de nouveau au travail : le Mali entame, mercredi 28 mars, sa deuxième semaine sous contrôle de la junte du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État (CNRDRE), en essayant de revenir à la normale. Passé les débordements des premiers jours, d'autres menaces se profilent.
À l'aube du 22 mars, la junte semblait surtout guetter un ennemi intérieur. Les menaces potentielles étaient à chercher du côté des soldats loyalistes qui avaient abandonné le palais présidentiel dans la nuit précédente et entraîné le chef de l'État, Amadou Toumani Touré, vers une destination secrète.
Allaient-ils tenter un contre-coup d'État ? Inversement, d'autres éléments au sein des forces armées allaient-ils tenter de confisquer le pouvoir à ce groupe de jeunes capitaines qui semblaient tous se connaître et sortir des mêmes promotions de l'armée ? Puis la junte s'est attachée à remettre le Mali en marche et à tenter de détendre l'atmosphère.
Mardi soir, trois des quatorze personnes arrêtées dans les premières heures du putsch ont été libérées, parmi lesquelles Modibo Sidibé, candidat à l'élection présidentielle dont le premier tour devait avoir lieu le 29 avril. Il était en détention dans le camp militaire de Kati et avait été malmené lors de son interpellation. Avant d'être une prison improvisée, le camp, à proximité de la capitale, est surtout une cité militaire avec des magasins, des habitations, un hôpital. C'est là désormais qu'est installé le pouvoir malien.
RECOURS À LA FORCE
Comment un groupe de jeunes soldats peut-il se maintenir au pouvoir et commander le pays depuis un camp militaire d'où leurs éléments sont partis, le 21 mars, pour conquérir Bamako ? Les responsables du CNRDRE ont bénéficié à l'origine d'un crédit lié au fait qu'ils renversaient un président critiqué pour l'échec de son armée à faire revenir l'ordre dans le Nord, où sévissent des groupes rebelles, dont le plus important, le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), caresse l'idée de la sécession et de la création d'un État indépendant au milieu du Sahara. Cette sécession, pas plus que le coup d'État, n'est tolérable pour les instances régionales.
Mardi, un sommet extraordinaire des chefs d'État de la Cédéao, l'organisation des pays d'Afrique de l'Ouest, s'est clos sur des décisions qui vont mettre la junte à l'épreuve. Les chefs d'État réunis à Abidjan, en Côte d'Ivoire, ne se sont pas contentés d'exclure le Mali de leurs instances, mais tablent sur le départ de la junte dans les meilleurs délais, en agitant la menace d'un recours à la force défendu par la Côte d'Ivoire et le Niger, avec le soutien du Nigeria et du Ghana.
Dans un intervalle de quarante-huit heures, cinq présidents vont se rendre à Bamako pour tenter de convaincre les putschistes d'abandonner pacifiquement le pouvoir. Les chefs d'État de la Côte d'Ivoire et du Nigeria, les deux pays phares de la région, seront accompagnés de leurs homologues du Bénin, du Liberia et du Niger. Leur poids cumulé, à l'échelle régionale, est important.
Avant de songer à envoyer des troupes, la Cédéao devrait prendre des sanctions touchant la libre circulation des membres de la junte mais aussi l'approvisionnement du Mali. Une politique d'étouffement économique aurait très vite des conséquences sur un pays enclavé comme le Mali. Des chefs d'état-major pourraient se rendre avant leurs présidents à Bamako pour tenter de déblayer le terrain et chercher des voies de sortie aux putschistes.
ADOPTION D'UNE "LOI FONDAMENTALE"
Ont-ils des chances d'être entendus ? La réaction de la junte face à cette offensive régionale est de hâter le mouvement pour asseoir son pouvoir. Mardi soir, au moment où prenait fin la réunion de la Cédéao, des soldats en uniforme entourés de deux civils annonçaient à la télévision nationale malienne (ORTM) l'adoption d'une "loi fondamentale" destinée à remplacer la Constitution. Fort d'environ 70 articles, le texte prévoit l'organisation d'élections auxquelles ses membres ne devraient pas prendre part, sauf dans certaines circonstances mal définies.
"Organe suprême de la transition", le CNRDRE annonce qu'il est composé de "26 membres issus des Forces armées et de sécurité" et de "15 membres issus des forces vives de la nation". Un gouvernement devrait être nommé rapidement. La course contre la montre est donc engagée, d'autant que, dans le nord du pays, la situation est difficile.
Dans la guerre, loin des regards, à laquelle se livrent l'armée régulière et la rébellion du MNLA, les milices pro-gouvernementales lancées depuis Gao, leur bastion, dans la région de Ménaka, ont été défaites et leur chef, Diallo, tué. Kidal, au nord, est menacée par les groupes fondamentalistes d'Ansar Dine.
Parallèlement, la pression s'accroît sur Tombouctou, dont les rebelles se sont approchés à moins de 20 km. Avant de se définir dans les capitales d'Afrique de l'Ouest, le futur immédiat du CNRDRE se joue sur ces lignes de front.
(http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/28/la-cedeao-menace-les-putschistes-maliens-d-une-action-armee_1676716_3212.html)