LEMONDE | 12.03.12 |
par Jean-Michel Bezat
La
success story de l'or noir américain s'est enrichie d'un nouveau visage, celui d'Harold Hamm. C'est un peu grâce à ce solide gaillard de 66 ans, fondateur de
Continental Resources, la 14e compagnie pétrolière du pays, que les États-Unis sont redevenus en 2011 exportateurs nets de produits pétroliers pour la première fois depuis 1949.
Chaque jour, indique le Département de l'énergie (DoE), les raffineurs ont exporté près de 2,9 millions de barils de carburants divers (essence, fioul domestique, gazole) pour 2,4 millions de barils importés. En 2010, les importations quotidiennes nettes étaient encore de 269 000 barils.
Cette performance n'est pas seulement due au pétrole de schiste (prisonnier dans la roche comme les gaz de schiste). La consommation intérieure s'est aussi contractée sous l'effet de la crise et de l'amélioration des automobiles : entre 2005 et 2012, la consommation quotidienne outre-Atlantique a chuté de 2 millions de barils (à 18,8 millions), et la tendance sur les produits raffinés se poursuivra en 2012 et 2013, a indiqué le DoE. Mais les États-Unis répondent aussi à une demande croissante de l'étranger, surtout d'Amérique latine.
SAUT TECHNOLOGIQUEUne révolution énergétique est donc en marche aux États-Unis avec le développement des pétroles de schiste, malgré ses conséquences sur le réchauffement climatique. Ces pétroles (comme les gaz de schiste) étaient connus depuis les années 1950 mais inexploitables, financièrement et techniquement. Il a fallu que deux conditions soient réunies.
Le prix de vente du baril, d'abord. Il devait être largement au-dessus de 60 dollars – ce qu'il est depuis 2005 – pour que l'exploitation soit rentable. Car le coût de production de près de 50 dollars par baril est comparable à celui de l'offshore très profond du Golfe du Mexique ou des sables bitumineux du Canada. Le saut technologique, ensuite. La fracturation hydraulique, et surtout la possibilité de forer des puits horizontaux, explique aussi le fort développement des
shale oils.
"
La production d'huile du gisement de Bakken [Dakota du Nord] est passée de 10 000 barils/jour en 2003 à plus de 360 000 b/j en 2011, indique une récente étude de l'Institut français du pétrole. On note depuis 2009 une nette augmentation des investissements des opérateurs.
En 2011, il devrait y avoir deux fois plus de forages d'huile que de forages de gaz." Reste un problème majeur, celui de la gestion de la ressource en eau pour produire ce type d'hydrocarbures.
Le cabinet IHS CERA a récemment évalué à 17 milliards de barils les réserves récupérables des six principaux gisements américains (Nord Dakota, Texas, Wyoming, Oklahoma…). Trois fois plus que l'US Geological Survey. Qui croire ? Cette promesse de richesse a en tout cas déclenché les grandes manœuvres depuis 2009. La plupart des compagnies s'y intéressent, qu'elles soient américaines (ExxonMobil, Marathon Oil…), russes (Rosneft), chinoises (Sinopec, Cnooc) ou norvégiennes (Statoil). Les fonds d'investissements aussi, comme KKR ou Blackstone, qui sautent sur "
les occasions attractives pour investir dans l'exploration-production pétrolière et gazière" en partenariat avec les pétroliers.
Gaz et huiles de schiste ont profondément modifié la donne et le débat énergétiques depuis l'élection de Barack Obama, en novembre 2008. Le nucléaire étant mis entre parenthèses en raison de ses coûts de départ et les énergies vertes encore largement subventionnées, les énergies fossiles reviennent en force dans un pays où le propriétaire du sol est aussi propriétaire du sous-sol.
DES ÉTATS-UNIS "TOTALEMENT INDÉPENDANTS" ?En 2011, Harold Hamm avait eu droit, dans le
Wall Street Journal, à un portrait pleine page (lien payant) intitulé "
Comment le Dakota du Nord est devenu l'Arabie saoudite". Le self made man, devenu la 36e fortune américaine selon Forbes, est persuadé que les États-Unis pourraient être "
totalement indépendants à la fin de la décennie" s'ils menaient une bonne politique énergétique. Et même devenir "
l'Arabie saoudite du pétrole et du gaz naturel au XXIe siècle". Il l'a dit au président et à son ministre de l'énergie, Steven Chu, en leur demandant d'assouplir les règles environnementales.
Sans convaincre ces chauds partisans d'une révolution verte elle aussi au service de l'indépendance. Harold Hamm a annoncé, début mars, son ralliement à la candidature du républicain Mitt Romney, aux côtés des lobbyistes du charbon et des sables bitumineux.
Les États-Unis produisaient 7,5 millions de barils de pétrole brut en 2010, ce qui n'assurait qu'environ 45 % de leurs besoins. Mais leurs importations d'or noir ne cessent de reculer depuis le milieu des années 2000 et leur production de progresser. Le Dakota du Nord devrait devenir la deuxième région productrice, derrière le Texas, mais devant l'Alaska et la Californie. Et Harold Hamm gagner quelques places dans le classement de Forbes.
(http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/03/12/apres-63-ans-les-etats-unis-redeviennent-exportateurs-nets-de-produits-petroliers_1656358_3234.html)