Bush et son équipe font depuis quelque temps un vrai raffut autour du problème du Darfour. Ne voulant pas sans doute refaire la même bêtise qu’en Irak, ils vont, cette fois, d’un forum à un autre solliciter des appuis dans le monde particulièrement occidental, tout en clamant, haut et fort, que les Etats-Unis, soi-disant inquiets de la situation au Soudan, ne laisseront pas se poursuivre le génocide qui s’y produit, depuis tant d’années.
A observer ces larmes de crocodile versées, à entendre cette espèce de compassion tardive, de la part d’un gouvernement qui semble tout à coup se réveiller de sa profonde léthargie pour fustiger son homologue du Soudan, rendu coupable d’extermination d’une partie de son peuple, bien des gens peuvent se laisser prendre à ce jeu plutôt sordide qu’inspiré par un humanisme étriqué et de mauvais aloi.
La question du martyre des minorités soudanaises, à y regarder de près, ne date pas en vérité d’hier. Elle remonte à bien des décennies, sans avoir jusqu’ici ému autant de monde que le cercle étroit du monde des affaires voudrait désormais élargir. Du temps même de Bush père, les relations soudano-américaines étaient bien au zénith, et le général Numeiry, qui dirigeait alors le Soudan d’une main de fer, pouvait même se flatter d’entretenir avec son homologue de Washington des rapports quasiment cordiaux.
Si les choses sont poussées au changement radical, aujourd’hui, la raison n’est à rechercher que dans cette course effrénée que livrent les USA et leurs alliés de l’OTAN à la Chine, ce pays émergent, sorti brusquement du sous-développement, qui leur fait justement de l’ombre non seulement au Soudan, mais dans l’Afrique entière. Ce nouveau dragon, en utilisant les propres armes du monde capitaliste, devient désormais un adversaire redoutable, sur le marché, notamment du Soudan. Il est vrai qu’il à un appétit sans bornes qu’imposent à mesure son développement accéléré et des besoins d’une très grande puissance. En occupant, de plus, la deuxième place dans l’échiquier mondial des principaux pays consommateurs de pétrole, après avoir relégué le Japon derrière elle, la Chine convoite rien de moins, dans un avenir proche, le tout premier rang, au grand dam, bien sûr, des Etats-Unis, qui tiennent jusqu’ici le flambeau.
A ce titre, Pékin, qui mesure à leur juste valeur les conséquences à venir de l’épuisement annoncé des gisements connus, tient, elle aussi, à en atténuer les effets directs sur son économie ; d’où l’intérêt de plus en plus net qu’elle témoigne à la mise en valeur des ressources nouvellement découvertes. Et c’est le cas, précisément, au Darfour, où les gisements mis au jour, en partie par ses propres soins, sont d’une telle importance qu’ils aiguisent les appétits, particulièrement occidentaux, visant tout simplement à l’en exclure. Par un procédé simple, qui a largement donné ses preuves par ailleurs, les USA s’échinent à trouver des justifications à une intervention musclée de l’OTAN pour renverser le régime de El-Bashir, afin de le remplacer par un autre, plus malléable, et surtout mieux ouvert sur leurs intérêts, à qui échoirait, il va de soi, la mission de bouter les Chinois hors du Soudan.
Une aussi vulgaire machination trouve, bien sûr, des soutiens dans les pays voisins, où les USA se sont parfois installés en force et président eux-mêmes à leur destinée, moyennant quelques subsides versés ici ou là, sinon quelques prêts parcimonieusement dispensés par l’entremise de la Banque mondiale ou du FMI, dont ils détiennent le contrôle. Mais, plus rusés qu’eux, les Chinois font mieux pour s’attirer la préférence des Africains : ils leur prêtent deux ou trois fois plus de fonds que ne leur offrent ces deux institutions ensemble, et surtout à moindre coût, puisque ces crédits sont exonérés le plus souvent d’intérêts. Et comme ces derniers vont tout droit à l’infrastructure et aux équipements essentiels : routes, hôpitaux, écoles, etc., chose qui contraste avec les exigences d’austérité qui accompagnent les prêts de la Banque mondiale et du FMI, rares sont donc les pays déclinant les offres chinoises. Ainsi, le Nigéria, l’Angola et le Mozambique se sont-ils partagé la coquette somme de 8 milliards de dollars, pendant que lesdites institutions déversaient, elles réunies, la bagatelle de 2.3 milliards pour toute l’Afrique sub-saharienne.
Un tel état de choses, on s’en doute, ne rassure évidemment pas les USA, qui, en Afrique, de longue date déjà, se croyaient en territoire conquis. Pour eux qu’inquiète sérieusement l’approche de la fin du pétrole, au point de suspecter faussement l’Irak de fabriquer des armes de destruction massive, de l’agresser ensuite pour, toute honte bue, s’approprier son pétrole, il est évident qu’ils ne reculeront devant rien pour mettre la main, au Soudan comme ailleurs, sur tous les gisements susceptibles de prolonger la durée de vie de leur économie. Ils invoquent de même aussi faussement, aujourd’hui, au Soudan, l’existence d’un prétendu génocide, dont ils n’avaient pourtant point cure, hier ou avant-hier, quand, en silence, les populations du sud, placées sous la protection des troupes de John Garang, se faisaient massacrer au grand jour, au vu et au de toute la communauté internationale.
Il n’est pas dit, d’ailleurs, que toute autre découverte à venir, dans un pays voisin ou éloigné, ne donnera pas lieu au montage d’un scénario comparable qui, en définitive, ne grandit ni les USA, ni leurs alliés, ni le monde entier qui, hypocritement le plus souvent, les regarde faire sans broncher.