Challenges.fr - 15.12.2011
par Paul Loubière
Le géant français de l'édition est le premier à signer un accord avec Attributor. Cette société scanne internet en permanence pour repérer les infractions et remonter jusqu'aux hébergeurs de contenus piratés.
Hachette Livre est tout fier. Le groupe d'édition français annonce en grande pompe qu’il vient de signer avec Attributor un contrat contre le piratage des livres numérisés. Et il se targue d’être ainsi "le premier groupe d’édition français à faire appel à ce type de prestataire".
Cet accord n’a rien de surprenant. Hachette table sur une augmentation croissante de ses ventes de livres numériques et craint que les acheteurs trouvent gratuitement sur internet des copies pirates de ses ouvrages. Il est évidemment normal que l’éditeur défende ses intérêts et le droit d’auteur. Toute la profession redoute de subir le même sort que les éditeurs de musique.
Les professionnels tentent donc de s’organiser pour éviter ce désastre. On ne peut évidemment pas les blâmer de chercher à protéger le droit d’auteur et l’intégrité des œuvres de l’esprit. Sans rémunération des auteurs, la création est en péril et avec elle la démocratie.
Difficile de contrer l'habileté des pirates
Mais plusieurs obstacles se dressent devant les éditeurs. D’abord, l’habileté des pirates. A titre d’exemple, la biographie en anglais de Steve Jobs de Walter Isaacson est disponible sur Numilog (la plateforme numérique d’Hachette) au prix de 15,99 euros.
Elle est gratuite pour l’internaute fouineur qui ne cherche pas à vérifier la légalité de ce qu’il télécharge. Pour éviter ce type de situation, au début des années 2000, l’Encyclopedia Universalis avait mis en vente un CD-ROM en principe inviolable. Il fallait brancher une clé physique sur l’ordinateur pour le lire. Une semaine après sa sortie, des copies pirates circulaient sous le manteau…
Hachette pense néanmoins avoir trouvé une arme contre le piratage. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une parade technique mais d’une dissuasion légale. Son allié Attributor, spécialisé dans le "Big data", scanne le net en permanence et repère toutes les infractions. Dès qu’il en repère une, il utilise une "technologie d’identification sophistiquée" pour remonter jusqu’à l'hébergeur du contenu piraté. Les sites concernés ont ensuite le choix entre cesser leurs activités ou se retrouver au tribunal.
Comment remonter jusqu'au contrevenant ?
Mais comment peut-on, ensuite, remonter jusqu’au contrevenant ? Comment fait-on pour identifier celui qui télécharge ? Les techniques utilisées sont-elles compatibles avec le respect du consommateur et des libertés démocratiques ? Le projet "Stop online piracy Act", actuellement en discussion au Congrès américain, permet d’en douter. Il vise plus ou moins à autoriser l’administration américaine à fermer sans jugement des sites internet, y compris à l’étranger, lorsqu’ils sont soupçonnés de diffuser des contenus illicites.
Le projet suscite un tollé général des internautes, à tel point que plusieurs pionniers du net, dont des fondateurs d’eBay, Google, Twitter, Yahoo ! ou Wikipedia, viennent de publier une lettre ouverte s’alarmant de ce projet de loi. Selon eux, il donnerait "au gouvernement américain le pouvoir de censurer internet en utilisant des procédures similaires à celles employées par la Chine, la Malaisie ou l’Iran."
De fait, la lutte contre le piratage a changé de nature. Auparavant il s’agissait de mettre les œuvres dans un coffre-fort numérique pour dissuader les voleurs. Aujourd’hui, l’administration veut mettre des caméras de surveillance partout pour surveiller le net en permanence en promulguant des lois qui obligent les sites internet à surveiller les liens vers lesquels renvoient les utilisateurs.
Un peu comme si on demandait aux commerçants de ficher tous les clients et de mettre ce fichier à la disposition des entreprises ou des administrations qui en feraient la demande. En clair, la mise en place d’un big brother tentaculaire ignorant les frontières. La démocratie est décidément bien fragile.
(http://www.challenges.fr/high-tech/20111215.CHA8387/hachette-croit-avoir-trouve-l-arme-fatale-contre-les-pirates.html)