La dictature de Rangoun ébranlée

Pacifiquement, des dizaines de milliers (on parle de 100000) de manifestants ont pris, ce matin, possession de la rue à Rangoun (Birmanie) pour protester contre les augmentations abusives de l’essence et de ses dérivés, des transports communs. Sachant que ces augmentations ne manqueront pas de se répercuter sur l’ensemble des produits de large consommation, les Birmans expriment ainsi leur ras-le-bol d’une dictature militaire honnie qui les prive non seulement de leurs libertés les plus élémentaires mais les confine dans une situation de pauvreté devenue intolérable.

C’est pourquoi, 30000 moines bouddhistes, un corps religieux largement respecté dans le pays et soutenu par le dalaÏ-lama, leader spirituel tibétain et autorité morale du bouddhisme, se sont rangés aux côtés des manifestants pour braver le régime militaire, installé depuis 45 ans, et désormais discrédité et même placé au ban des nations.

Même la Chine, alliée de Rangoun, en appelle désormais à une gestion plus humaine de la situation nouvellement créée.

Aussi, espère-t-on une amorce de dialogue rapide avec l’armée, s’ouvrant sur une réconciliation nationale permettant la libération de Aung San Suu Kyi, leader célèbre de l’opposition, l’unique Prix Nobel de la Paix privé de liberté dans le monde, rappelle une dépêche de l’AFP.

La seule planche de salut réside dans l’ouverture de négociations avec cette représentante qui avait largement remporté les élections législatives de 1990, sans jamais être autorisée à gouverner.

Bien sûr, l’autre solution extrême n’est pas à écarter, pour le règlement de la crise. Le pouvoir sanguinaire de Rangoun pourrait s'aviser d'utiliser une nouvelle fois la force pour réprimer sauvagement la manifestation ouverte, comme en 1988 où plus de 3000 morts ont été enregistrés.

Fort heureusement la communauté internationale est loin, aujourd’hui, de céder autant de terrain qu’en 1988, à des dictateurs du genre Than Shwe de Birmanie. On s’attend d’ailleurs à une intervention musclée de Bush, à la tribune de l’ONU, aujourd’hui même, sur le sujet.

Passant outre aux interpellations de la communauté internationale lui demandant d'observer plus de retenue, le régime de Rangoun préfère, depuis ce matin, utiliser la manière forte pour mettre fin aux manifestations populaires organisées dans la rue.

Les policiers et militaires ramenés par fournées dans des camions, dès hier soir, se sont déployés autour des pagodes et des monastères et commencé à charger les manifestants à l’aide de bâtons. Frappant indistinctement les étudiants et les moines bouddhistes, ils ont même arrêté une centaine d’entre eux. Des tirs de sommation ont aussi été utilisés, concomitamment avec du gaz lacrymogène pour disperser les centaines d'autres manifestants rassemblés ici et là.

Tandis que se renforcent les sanctions prises dans les arènes internationales par Washington et l’UE contre la dictature locale, des personnalités birmanes de l’opposition, célèbres par leur lutte pour les droits de l’homme et la démocratie, sont également arrêtées. C’est le cas de l’acteur bien connu, Zaganar, et du politique, Win Naing.

En dépit de la répression engagée, les manifestations semblent devoir se poursuivre dans la journée.

La répression, qui s'installe depuis quelques heures, prend des proportions inquiétantes. On signale déjà 4 morts (3 moines et 1 civil), une centaine de blessés et des dizaines d’arrestations, selon les agences de presse, parmi les manifestants qui bravent les services de police appuyés par l’armée. Des cris ont même fusé de la foule pour stigmatiser les brutalités dont elle fait l’objet. « Vous êtes des imbéciles ! », a-t-on entendu à l’adresse des forces de l'ordre.

Furieux que ces dernières s’en soient prises aux bonzes, traditionnellement calmes et militants de la paix, les protestataires ne lâchent pas prise pour reprendre leur manifestation un peu plus loin, sitôt délogés au gaz lacrymogène de l’endroit où ils étaient.

Conforté sans doute par le véto que la Chine, pays voisin et ami, ne manquera pas d’opposer à toute espèce de résolution contraignante pouvant être prise contre lui par le Conseil de sécurité, le régime de Rangoun semble ne présenter, dans l'immédiat, aucune disposition à faire machine arrière et moins encore à céder du lest en ouvrant le dialogue avec l’opposition.

Plus de 50 000 Birmans ont encore manifesté aujourd’hui dans les rues de Rangoun, en dépit des interdictions lancées par la junte militaire.

Mais cette dernière n’est pas restée inactive, puisqu’on dénombre, parmi les protestataires, en cette fin de journée, quelques 9 morts, y compris le journaliste japonais de 50 ans dans l'exercice de ses fonctions, et des centaines d’arrestations.

Pourtant, des appels à la modération et au calme, tout au long de la journée, ont été diligemment transmis aux autorités depuis un grand nombre de capitales. Pour seule réponse, le régime birman a accepté de recevoir l’émissaire des Nations Unies.

La répression s’est poursuivie, ce jeudi, à l’endroit particulièrement des moines, dont plus de cent avaient été arrêtés déjà au cours de la nuit précédente.

Et c’est justement ces moines qui constituent, aujourd’hui encore, le fer de lance de ce mouvement de protestation.

Apparemment, l’Occident peut continuer longtemps de protester contre les atteintes aux Droits de l’homme et les libertés mettant en cause le régime birman, il ne sera jamais entendu.

La Birmanie, pays asiatique, entend, en effet, se passer bien volontiers de l’aide devenue chimérique des Etats-Unis et de l’Europe, puisqu’elle fait désormais l’objet d’une attention toute particulière de ses grands voisins, comme la Chine, la Thaïlande et l’Inde qui reluquent tout particulièrement ses gisements pétrolifères considérables.

Avec 510 milliards de m3 de réserves de gaz prouvées, additionnées à d’importantes autres réserves de pétrole, le pays intéresse au premier abord la Chine limitrophe, ce grand géant qu’inquiète sérieusement désormais la large mainmise américaine sur les autres gisements du reste du monde.

Aussi, ne faut-il en rien s’étonner que Pékin ne se mette en travers demain contre toute sanction sérieuse que le Conseil de sécurité pourrait s’aviser de voter contre Rangoun. Au demeurant, rien n’indique que la Russie, qui commence elle aussi à lorgner du côté de ce dernier pour les mêmes raisons que la Chine et l'Inde, ne soit pas tentée de se démarquer de la position occidentale, afin de se frayer précisément un meilleur chemin vers le partage du gâteau .

La question lancinante du pétrole devient désormais si préoccupante que même Total, l’une des plus importantes compagnies pétrolières mondiales, ne semble point prête à suivre à la lettre les injonctions de sa tutelle, l’Elysée, ayant pour objet de bloquer ses investissements futurs en Birmanie. La réaction de l’entreprise a été immédiate : « Pourquoi laisser le terrain vide à d’autres concurrents ? »

Comme il fallait s’y attendre, la junte militaire finit graduellement par avoir raison des manifestants. Rassurée sans nul doute de l’appui de son allié traditionnel, la Chine, qui pèse désormais d’un grand poids dans l’arène internationale, elle a poursuivi, durant toute la journée d’hier, les arrestations par centaines. Des agences de presse annoncent même que d’autres massacres auraient eu lieu et que les chiffres des victimes abattues ou blessées sont très loin de ceux rendus publics.

Il faut ajouter, aussi, que des renforts de l’armée, à hauteur de 20000 soldats, ont été dépêchés sur les lieux et qu’ils submergent désormais en nombre les masses de manifestants réunies.

Bien que tout indique que les horizons restent bouchés, faute par l’Inde, la Chine et Moscou de faire pression sur la junte, il reste à espérer que l’émissaire des Nations Unies, Ibrahim Gambari, arrivé samedi à Rangoun, réussisse à désamorcer la crise, à l’occasion des entretiens qu’il compte avoir avec les principaux responsables du régime.

Selon les déclarations officielles, 100 000 Birmans étaient rassemblés aujourd’hui à Rangoun pour manifester leur solidarité avec la junte militaire au pouvoir. C’étaient pour la plupart, selon les dépêches d'agences, des fonctionnaires, des miliciens, des ouvriers d’usine rassemblés souvent de force et chargés dans des autobus qui allaient les déposer dans le stade de la capitale.

Les manifestants étaient ensuite invités à scander les mêmes slogans à la gloire du régime : « Pas de désintégration de la solidarité nationale », ou encore : « La feuille de route en 7 points sera un succès », par allusion au programme de gouvernement actuellement mis en avant.

Ce rassemblement est intervenu deux jours seulement après la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU déplorant la violente répression qui s’est abattue sur les précédentes manifestations populaires organisées avec les moines bouddhistes.

L’émissaire de l’ONU, le Nigérian Ibrahim Gambari est invité une nouvelle fois à se rendre à Rangoun pour tenter de favoriser le dialogue entre la junte et l’opposition conduite par Aung San Suu Kyi, le mentor de l’opposition.

Le Courrier international rapporte à propos des manifestants birmans, que la police avait écrasés à force de bastonnades et d’arrestations abusives, qu'ils viennent de trouver un moyen original de poursuivre leur lutte contre le régime sanguinaire de la junte au pouvoir. Au cou de leurs chiens, ils pendent des photos de généraux les plus abhorrés, et principalement de Than Shwe, le n° 1, avant de les envoyer sillonner les rues.

Et comme dans le pays, relier un chien à un homme constitue une insulte grave, la police s’est aussitôt mise à la recherche de ces "nouveaux protestataires" ayant l'avantage sur l'homme de pouvoir plus facilement échapper à leurs poursuivants. Les passants s'en font du coup des gorges chaudes.

L’esprit inventif, c’est aussi cela, même sous la tempête...