Rares sont devenues les émissions de télévision politiques où les principaux invités comme débatteurs ne profitent pas de l'occasion en or qui leur est offerte de promouvoir leur livre (qui est souvent le dernier) à cette occasion. C'est généralement à la fin de ces rencontres dites prometteuses qu'un gros plan est pris des jaquettes de ces ouvrages.
Cependant, quand on additionne l'ensemble de ces derniers à caractère particulièrement politique publiés dans l'année, l'on se rend vite compte qu'il est matériellement impossible d'en lire seulement le dixième, tant ils sont nombreux et coûtent excessivement cher, d'une part; et, d'autre part, parce qu'ils n'apportent généralement rien que l'on ignore de la ligne politique de leurs auteurs et de leur approche des grands sujets d'actualité. Enfin, écrits le plus souvent à la va-vite, il est rare que ces ouvrages retiennent notablement l'attention par leur qualité littéraire exceptionnelle.
Toutes ces raisons concourent vraisemblablement à constituer année après année des montagnes d'exemplaires invendus qu'il faut passer au pilon, les chances s'épuisant très vite d'en intéresser de nouveaux clients, l'actualité immédiate prenant le pas sur l'ancienne.
Rue89, dans un article consacré justement à certains titres récents de l'espèce, apporte un éclairage encore plus étendu de ce volet culturel qui mérite d'être porté à la connaissance des lecteurs de Thilelli. Le voici, intégralement.
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Rentrée littéraire des politiques : les tops, les flops et les chiffresPar Hubert Artus | Rue89 | 04/12/2010
Plantages d'édition pour les bouquins de Pécresse, Duflot et Besson, succès pour ceux de Rocard, Mélenchon ou Villepin. Pourquoi ?
Pour différentes raisons (affaires, perspective de l'élection de 2012), la politique est cette année à l'honneur sur les rayons des libraires. Pas moins de sept ténors y sont allés de leur livre lors de cette rentrée littéraire :
Chantal Jouanno («
Sans tabou », La Martinière) ;
Rama Yade («
Lettre à la jeunesse », Grasset) ;
Dominique de Villepin («
De l'esprit de cour : la malédiction française », Perrin) ;
Michel Rocard et le très utile «
Si ça vous amuse » (Flammarion) ;
Martin Hirsch («
Pour en finir avec les conflits d'intérêt », Stock) ;
Jean-Luc Mélenchon («
Qu'ils s'en aillent tous », Flammarion) ;
Arnaud Montebourg et son programme («
Des idées et des rêves », Flammarion).
Ils s'ajoutent à une année 2010 déjà riche de ce genre d'ouvrages. Mais si certains de ces livres cartonnent, d'autres voient leurs ventes stagner.
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Les tops : Hirsch, Rocard, Mélenchon et Yade"
Qu'ils s'en aillent tous !" de Jean-Luc MélenchonOn constate qu'il vaut mieux être hors du gouvernement pour être dans les meilleures ventes. Paru fin septembre, le livre de Martin Hirsch affiche 10 162 exemplaires vendus. Parus une semaine plus tard, les livres de Jean-Luc Mélenchon et de Michel Rocard affichent respectivement 21 544 et 11 092 ventes.
Sorti alors qu'elle était encore membre du gouvernement, le livre de Rama Yade a trouvé 6 055 acheteurs, score tout à fait honorable (sources de tous ces chiffres, arrêtés au 23 novembre : GFK).
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Les flops : Besson, Duflot, Bianco et PécresseIci, on atteint des niveaux de profondeur dont seuls les mineurs chiliens sont revenus. Les flops touchent de gros poissons dans le gouvernement ou dans l'opposition. Par exemple, Cécile Duflot, qui publiait en février son premier livre (« Apartés », entretiens avec Guy Sitbon, éd. Les Petits Matins), n'a trouvé que 822 acheteurs.
«
Si j'étais Président… » de Jean-Louis Bianco (Albin Michel), paru en septembre chez Albin Michel, culmine à 1 500 ventes environ.
Paru en janvier, le livre d'Eric Besson censé introduire le débat sur l'identité nationale («
Pour la nation », Grasset) est un bide total (1 616 exemplaires), pour un homme dont le livre signant sa vengeance et sa trahison avait trouvé 129 579 acheteurs !
«
Et si on parlait de vous » ? », le livre de Valérie Pécresse paru en janvier à L'Archipel, affichait 516 ventes en dix mois, quand le récent livre de Chantal Jouanno («
Sans tabou », La Martinière), paru fin septembre, avait trouvé 321 lecteurs.
Combien ça coûte ?"
Sans tabou" de Chantal Jouanno. Bien sûr, aucun éditeur ne donne de chiffres d'à-valoir. Mais quelques questions et quelques calculs rapides permettent de deviner la réponse : ainsi Bertil Scali avoue-t-il avoir donné environ 2 500 euros à Chantal Jouanno, une somme extrêmement basse qui lui permet de rentrer dans ses frais avec 2 000 ventes.
Le patron de L'Archipel, Jean-Daniel Belfond, a mis en place 1 000 exemplaires du livre de Valérie Pécresse, et envoyé 215 services de presse. «
Et si on parlait de vous » était clairement le livre-programme de celle qui, aux régionales 2010, allait porter le fer umpiste au président PS Jean-Paul Huchon.
«
Je suis fidèle [il édita en 2006 le premier livre de la future ministre, “ Etre une femme politique ”, vendu au score très honorable de 3 500 exemplaires, ndlr], et il était normal que je la suive » dit Belfond. Avouant sans le dire qu'il avait pressenti le bide :
«
C'était un livre pour les élections régionales, le bassin de population concerné était donc plus bas. »
Pourquoi éditer le livre d'un politique ?«
Parce que pour les politiques, il est important d'avoir un ouvrage sur lequel s'appuyer, eux qui sont toujours en réunion ou en meetings. Ils ont besoin du livre pour communiquer », répond Jean-Daniel Belfond.
Tous les politologues et tous les éditeurs sont d'accord là-dessus. «
Que les hommes politiques se servent de livres pour promouvoir leurs idées est aussi ancien que la politique », dit Benoît Yvert, historien, ancien président du Centre national du livre. A présent conseiller éditorial aux éditions Perrin, il a travaillé avec Dominique de Villepin sur son récent ouvrage.
Qui finance les livres politiques ?Grasset, Albin Michel, ou encore Les Petits Matins n'ont pas donné suite à nos sollicitations. Car outre les à-valoir et surtout les éventuelles mises au pilon des invendus, il est un secret encore bien gardé sur l'édition de tels ouvrages : leur financement.
Pas qu'il y ait quoi que ce soit d'illégal, non. Ce qui est important, c'est : qui finance ? L'éditeur ou l'auteur ? Car -et ce n'est pas la moindre des iniquités de ce marché- il est courant que la personnalité politique «
couvre » les frais du livre (et son bide éventuel) par des sortes de pré-achats par des fédérations de son parti ou des circuits militants.
"
Et si on parlait de vous ?" de Valérie Pécresse. Jean-Daniel Belfond avoue ainsi que la ministre avait acheté «
quelques centaines d'ouvrages », précisant «
qu'elle a pris toutes les dispositions légales pour que cela rentre dans son budget de campagne ». Il n'en dira pas plus.
Sollicitée, la ministre ne nous a pas répondu. Quand on sait qu'au 23 novembre, elle avait vendu 516 copies, la question se pose : a-t-elle acheté - ou fait acheter - tous ses livres ?