Pour le public algérien, la formule popularisée de "mange et fais manger" a déjà fait le tour des foyers depuis au moins trois décennies.
C'est une autre façon de dire : sers-toi ou mets ton doigt dans le miel, mais pense aussi aux copains pour leur assurer leur part.
En Algérie, tout le monde, à différents degrés de la hiérarchie s'est conformé à cette règle, dès la mise en place du socialisme de "la mamelle" et surtout depuis l'ouverture sur le capitalisme débridé, grâce à laquelle l'accès à la devise est devenu possible plus particulièrement pour les gens aux bras longs.
Benbella, l'ancien président de la République, avait été pointé du doigt, durant son règne, à cause du fameux fonds de solidarité dont on lui impute le détournement. Les milliards amassés au lendemain de l'indépendance, sous forme de bijoux et autres œuvres d'art collectés auprès des familles, se sont volatilisés et personne ne sait aujourd'hui encore la destination qui leur a été réservée.
Bouteflika, l'actuel président de la République, a lui-même été poursuivi en 1981/82 pour le détournement de quelques 12 milliards de centimes durant son passage au ministère des Affaires étrangères, entre 1963 et 1977. Il ratissait les soldes budgétaires inutilisés des ambassades algériennes pour alimenter ses comptes personnels en Suisse. Jugé et condamné en 1982, par la Cour des comptes, le malfrat n'a pas cru devoir rembourser depuis le montant détourné. Mieux, dix-sept ans plus tard, il est revenu par la grande porte pour présider aux destinées du pays, et à présent il entame son troisième mandat présidentiel. Qui dit mieux, dans le royaume de l'imbécilité ?
Saïdani, l'ancien président de l'Assemblée populaire nationale, est cité souvent ces dernières semaines pour le détournement, à hauteur de 30 milliards de dinars, des subventions destinées à l'agriculture. Avec cet argent volé, il se serait payé une série de biens immobiliers hors du pays, indique le journal El-Khabar.
Saïd Barkat, actuel ministre de la Santé, aurait lui aussi mis la main dans le sac en subtilisant au budget agricole, du temps où il dirigeait le département de l'Agriculture, les subventions allouées aux petits agriculteurs, qui se montent en dizaines de milliards de dinars.
Ould Abbès, le ministre de la Solidarité nationale, aurait acquis un hôtel de grand standing à Paris.
Larbi Belkheir, enfin, ancien "faiseur de rois" qui dirigeait le cabinet présidentiel, est lui-même accusé d'avoir détourné des fonds considérables, grâce auxquels il a tissé toute une chaîne d'industries.
Face à ces dernières révélations époustouflantes, dont la presse privée se fait des choux gras ces dernières jours, le pouvoir reste de glace. Personne ne lève le doigt sur quiconque, sachant qu'elle-même est sujette à d'autres griefs. "j'ai mangé, mais tu as aussi mangé", semble être la réponse de chacun.