Une belle chronique, signée par Rémy Ourdan, parue dans Le Monde, met à plat la notion de tuer appliquée dans sa plus large dimension depuis l'attentat du 11 septembre à New York.
Elle met en évidence la passivité des Etats, soi-disant démocratiques, qui font la sourde oreille devant tant d'excès commis au nom de la lutte contre le terrorisme. Elle fustige surtout l'Etat américain qui a instauré cette tuerie aveugle en en confiant parfois l'exécution à des officines de mercenaires qui gravitent aujourd'hui à des niveaux très élevés du pouvoir.
Un seul regret : elle feint d'ignorer le silence complice du "machin", autrement dit de l'ONU, bien que chacun n'ignore que ses ordres viennent directement de la Maison Blanche et de nulle part ailleurs.
Voici, dans son intégralité, cette chronique.
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Permis de tuer
par Rémy Ourdan
LE MONDE | 27.08.09
On tue beaucoup dans le monde de l'après-11-Septembre. Al-Qaida et les djihadistes tuent, et sont tués. Les Américains et leurs alliés tuent, et sont tués. Afghans et Irakiens, morts par dizaines de milliers ces dernières années, sont les premiers à pâtir de ces affrontements. On tue avec un kamikaze solitaire ou une armée de 100 000 hommes. On tue au grand jour, et on tue dans l'ombre.
Al-Qaida a décrété que sa mission était de tuer "juifs et croisés", de libérer la planète des "infidèles". Un permis de tuer a été délivré à tout "bon musulman" souhaitant participer au combat.
Face aux djihadistes, des pays sont partis en guerre. Les Etats-Unis, attaqués sur leur sol en 2001, ont pris la tête de la lutte antidjihadiste. Avec un soutien international initialement unanime, contre Al-Qaida et les talibans afghans, puis de façon de plus en plus contestée, en Irak et aujourd'hui en Afghanistan.
On découvre que, dans cette guerre, Washington a délivré un permis de tuer à des hommes qui ne sont ni soldats, ni policiers, ni en aucune manière agents au service de l'Etat. La CIA a autorisé, par contrat, une société de mercenaires, Blackwater USA, à tuer des djihadistes. L'une des questions posées est simple : qui a le droit de tuer, au nom de l'Amérique ?
Blackwater est une firme militaire privée créée par un ex-commando des Navy Seals, Erik Prince. L'homme appartient à la mouvance des faucons républicains et des chrétiens conservateurs et revendique l'idée d'une "croisade" américaine et chrétienne contre l'islam. Devenu milliardaire grâce à la "guerre contre le terrorisme", M. Prince s'est hissé, sans aucune fonction officielle, jusqu'aux niveaux supérieurs du pouvoir à Washington, signant des contrats secrets pour des "opérations noires" connues des seuls Bush, Cheney, Rumsfeld et chefs des services de renseignements. M. Prince et les "soldats" de Blackwater sont devenus l'un des bras armés de l'Amérique en guerre. Des privés rémunérés partageant la même idéologie que leurs commanditaires.
Si ce programme secret a été interrompu, l'attitude de l'administration Obama à l'égard de Blackwater et d'autres sociétés militaires n'est pas encore claire. Des contrats ont été signés en 2009 pour la protection de diplomates et de chefs militaires américains.
Les autres démocraties occidentales, alliées des Etats-Unis, sont silencieuses. De même qu'elles s'étaient tues sur la sous-traitance de la torture, elles se taisent sur la sous-traitance de l'assassinat.
Beaucoup de valeurs ont été bafouées et beaucoup de repères perdus depuis le 11-Septembre, et le recours à des mercenaires est certes un phénomène aussi ancien que l'histoire des guerres. Il faudra pourtant réaffirmer un jour qui, dans une guerre, a le droit de tuer l'ennemi. La mythique Licence to Kill, généralement réservée à des agents secrets et à des soldats en mission, peut-elle être confiée à des tueurs à gages, pour une poignée de dollars ?
Courriel : ourdan@lemonde.fr
Rémy Ourdan