A mon avis, les archives, d'un côté comme de l'autre de la Méditerranée, ne peuvent être ouvertes avant de longues décennies encore. Non que les plaies ne soient tout à fait cicatrisées sur les deux rives, mais des considérations politiques susceptibles de gêner les deux parties plaident plutôt pour le maintien du statut quo. On ne peut ouvrir, en effet, les cahiers de l'histoire algérienne sans craindre de mettre le feu aux poudres.
D'une part, les dirigeants algériens se trouveraient piégés pour justifier tous les mensonges qu'ils ont incrustés beaucoup trop légèrement dans l'esprit bien niais de leurs concitoyens. D'autre part, les autorités françaises pourraient pâtir d'un geste, pouvant être considéré pourtant comme naturel et d'autant plus compréhensible que les jeunes Français veulent savoir eux aussi la vérité de la colonisation et de la guerre qui l'a conclue.
Derrière les centaines de milliers de faux moudjahidin, peuvent en effet se profiler des dizaines de milliers de vrais collaborateurs de l'armée française engagée contre les rebelles algériens. Parmi eux, il risque de se trouver aussi nombre de dirigeants placés encore aujourd'hui à des hauts niveaux de l'Etat algérien.
Cette vérité-là risque, naturellement, de porter un grave préjudice aux relations franco-algériennes toujours soumises à des tensions. Et rien n'assure ensuite qu'Alger ne tournera pas le dos définitivement à la France en rejoignant à grande vitesse les pays arabes moyen-orientaux qu'appâte habituellement le laisser-faire anglo-saxon.
Quant à Boussouf et à sa clique, encore une fois il faut se remémorer la crise de 1948 pour saisir tous les enjeux qui ont constitué les soubassements de l'autre crise de 1962, à laquelle les Algériens doivent de se retrouver apparemment soumis pour l'éternité au clan d'Oujda.
Comme l'a bien écrit quelqu'un : "La révolution ne profite jamais à ceux qui la font", il fallait, de toute évidence, que d'autres Algériens, se disant encore plus patriotes, soufflent aux vrais moudjahidin de l'intérieur, le fruit de leur combat. L'histoire de France elle-même nous enseigne du reste maints exemples semblables : Napoléon 1er, qui s'est intronisé empereur au grand dam de la Révolution de 1989 ; Napoléon 3, son neveu, qui a ravi le pouvoir à la Commune pour se faire élire président de la République avant de s'autoproclamer empereur, etc.
L'unicité, elle-même, autre travers de l'Algérie indépendante, n'est que la résultante de la conspiration menée dans le prolongement de cette même crise de 1948. Elle a valeur de fondement incontournable, aux yeux de cette même clique, de la lutte pour l'ancrage définitif du pays dans le camp arabo-islamique.