Bombay sous le feu des terroristes islamistes

Depuis hier soir, Bombay, la capitale économique de l'Inde, est sous l'emprise d'une dizaine d'attaques terroristes qui ont causé jusqu'ici 125 morts et plus de 300 blessés. Plus de 100 Indiens et 9 étrangers ont été tués, annoncent les agences de presse.

Les assaillants retiennent encore des otages, dont des étrangers, dans deux hôtels de luxe et un centre juif. Les attaques ont visé spécialement trois hôtels et un café recevant tout particulièrement des hommes d'affaires étrangers.

L'hôtel Oberoi-Trident est en ce moment la proie des flammes, un incendie s'étant déclaré dans les étages supérieurs. Il a été investi par les forces de l'ordre avec l'intention d'en déloger les terroristes et libérer les otages. Il en est également pareil à la Nariman House, un centre juif, où un rabbin est aussi pris en otage.

Les autorités croient savoir que les terroristes sont venus par la mer, à bord du cargo MV Alpha qui a été arraisonné non sans mal, puisque dix membres des services de police ont été abattus lors des affrontements.

Selon les témoins, les terroristes visaient spécialement, parmi les étrangers, les Américains et les Britanniques. Des Italiens et des Espagnols ont été relâchés après contrôle d'identité.

Selon les déclarations recueillies auprès de l'un des assaillants, le groupe serait indien et revendiquerait la cessation des persécutions conduites au Cachemire contre les musulmans. Il se réclame de l'organisation des Moudhahidin du Deccan.

Par contre, pour le Premier ministre indien, c'est d'un pays voisin - le Pakistan, sans le citer -, que proviennent les terroristes. Et il compte réagir avec vigueur contre lui, puisqu'il ajoute : « Nous allons formellement signifier à nos voisins que l'utilisation de leur territoire pour lancer des attaques contre nous ne sera pas tolérée. »

Islamabad vient de réagir "fermement" contre toute accusation pointant le Pakistan dans les attaques terroristes ayant frappé Bombay. Dans un communiqué rendu public, il a demandé à « se garder de tirer des conclusions hâtives », rejetant ainsi toute responsabilité sur l'Inde elle-même.

Moscou estime, de son côté, sur la base des indications fournies par ses services de renseignements, que les terroristes appartiendraient au "groupe Lashkar-e-Taïba", un mouvement militant pour l'indépendance du Cachemire. « Les combattants de ce groupe ont suivi un entraînement spécial dans les camps d'Al-Qaïda qui se trouvent à la frontière entre le Pakistan et l'Inde », assure-t-il. Mais le dit mouvement nie toute implication dans les derniers attentats.

Les témoignages, qu'appuie la revendication déjà rendue publique des Moudjahidin du Deccan, soutiennent plutôt l'origine indienne des assaillants, qui parlaient l'hindi ou l'ourdou, deux langues du pays.

Le monde, enfin, depuis l'ONU jusqu'à la Ligue arabe, le Vatican, en passant par l'ensemble des capitales de la planète, a condamné unanimement ces actes terroristes et appelé à ce qu'ils cessent le plus rapidement possible. Certains pays réclament même un châtiment exemplaire des auteurs et une coopération internationale soutenue pour lutter contre le terrorisme aveugle.

Après 60 heures de violents combats, les terroristes assaillants ont tous été mis hors d'état de nuire, déclare le chef de la police de Bombay. Les trois derniers, réfugiés dans l'hôtel Taj Mahal, viennent d'être réduits, précise-t-on.

Le bilan est lourd : 195 morts, dont 9 assaillants, et 295 blessés. Au nombre des étrangers tués, figurent 8 Israéliens, 5 Américains, 2 Français, 2 Australiens, 2 Canadiens, 1 Britannique, 1 Singapourienne, 1 Japonais, 1 Italien, 1 Thaïlandaise, 1 Allemand et 1 Mauricien, soit un total de 26, un chiffre recoupé avec l'ensemble des ambassades respectives.

Selon les services de renseignements indiens, huit des terroristes s'étaient infiltrés dans le pays depuis un mois environ, pour y mener les opérations de reconnaissance préalables. Ils se faisaient passer pour des étudiants, ajoute-t-on.

Le Pakistan désigné du doigt par New Delhi, quant à l'origine des terroristes, s'est déclaré formellement disposé à sévir ses ressortissants éventuellement impliqués dans ces attentats. Il n'exige que des preuves tangibles autorisant ces sanctions.

Par contre, les Occidentaux semblent plutôt pencher vers l'organisation Al-Qaïda qu'ils accusent d'être la vraie commanditaire de ces crimes.

Première conséquence directe des derniers attentats sur les relations entre le Pakistan et l'Inde, ce dernier pays, selon son agence de presse, PTI, vient de déclarer qu'il envisage de remettre sine die le processus de paix avec son voisin.

Au niveau du gouvernement de Delhi, beaucoup penchent pour cette mesure assez significative du rejet bien compris de ce type d'attaques terroristes, ajoute l'agence.

Le gouvernement, "y compris le Premier ministre, Manmohan Singh, est profondément choqué, car il a le sentiment que le Pakistan n'a pas tenu les promesses faites au plus haut niveau de mettre fin au terrorisme dirigé contre l'Inde", a ajouté PTI, selon le journal Le Monde qui donne l'information.

Et l'on attend qu'une série de rencontres de haut niveau se tiennent dans les prochains jours pour prendre une décision.

Si l'on pouvait douter de la démocratie indienne, les démissions simultanées du ministre de l'Intérieur et du conseiller à la Sécurité nationale, M.K. Narayanan, déposées aujourd'hui, sont là pour témoigner de sa réalité et de sa force.

L'ex ministre, Shivraj Patil, s'est cru même en devoir d'assumer "la responsabilité morale" des attaques terroristes. Il s'est retiré au lendemain d'une réunion des instances dirigeantes du Parti du Congrès au pouvoir.

Déjà avant ces dernières attaques, Patil avait fait l'objet d'une demande pressante exigeant sa démission après les attentats de New Delhi en septembre dernier, et dans l'Etat de l'Assam, au nord-est du pays, en octobre.

Il est clair que les deux hommes politiques ont une bien haute opinion de leurs responsabilités pour feindre de se soustraire à une règle devenue commune à tous les pays démocratiquement dirigés.

D'après les chaînes CNN et ABC News, les services secrets américains auraient déjà prévenu, à deux reprises, dès la mi-octobre, leurs homologues indiens de l'imminence d'une attaque terroriste contre divers objectifs de Bombay, l'hôtel Taj Mahal inclus.

Cette information a été confirmée par les services de New Delhi auprès de CNN. Il semble, cependant, que l'avertissement n'ait pas été pris au sérieux, excepté quelques mesures exceptionnelles prises, mais levées au bout d'une semaine, ayant eu pour objet de renforcer la sécurité dans les zones visées. Du reste, dans le cas de Taj Mahal, c'est l'entrée de service qui a été utilisée lors de l'assaut terroriste et non la porte principale soumise à surveillance, assure le propriétaire de l'hôtel.

ABC ajoute que les services indiens auraient, eux-mêmes, intercepté, dans la semaine précédant les attentats, une communication sur téléphone satellitaire annonçant une attaque maritime. L'appel venait d'un responsable du mouvement terroriste, basé au Pakistan, du nom de Lashkar-e-Taiba. Mais ce dernier nie jusqu'ici toute implication dans ces violences de Bombay.

L'Inde, en exigeant de son voisin l'extradition des responsables de Lashkar-e-Taiba pour les juger, et le Pakistan, en se limitant à offrir ses services pour une enquête conjointe ayant pour but d'identifier les auteurs des crimes perpétrés, semblent plutôt s'adonner à un dialogue de sourds. Il ne reste donc plus qu'à espérer que Condoleeza Rice, la secrétaire d'Etat américaine dont le déplacement est annoncé en Inde, réussisse à calmer les esprits toujours surchauffés à New Delhi.

Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, le Pakistan se déclare non disposé à remettre à l'Inde les auteurs présumés des attentats de Bombay. Il s'agit en l'occurrence des 16 islamistes appartenant au mouvement Lashkar-a-Taïba et arrêtés par la police d'Islamabad, sur la foi des indications fournies par New Delhi. Le ministre a déclaré aujourd'hui : « Nous les jugerons nous-mêmes en vertu de la loi pakistanaise. »

Selon la presse indienne, un projet semble avoir été concocté par l'état-major de l'armée en vue d'attaquer des zones ciblées en territoire pakistanais pour y détruire des repaires d'islamistes en formation de combat.

Les Pakistanais, soumis également aux pressions des Etats-Unis exigeant d'eux une pleine collaboration à l'enquête ouverte par l'Inde pour retrouver les suspects, n'entendent pas se laisser dicter des ordres. Ils se disent même disposés à affronter militairement l'ennemi héréditaire : « Nous ne voulons pas la guerre mais nous sommes totalement prêts pour le cas où elle nous serait imposée », prévient le ministre pakistanais.

Ce dernier, pour bien montrer la détermination de son pays, n'a pas manqué d'ajouter avec fermeté : « Nous n'oublions pas nos responsabilités pour défendre notre terre... Ceci est un message clair : nous sommes pour l'amitié, nous chérissons la paix et nous voulons la stabilité de la région, mais cela ne doit pas être interprété comme de la faiblesse. »

Devant semblable résolution, les USA tentent désormais de calmer les deux antagonistes. Sachant qu'une mobilisation éventuelle au Pakistan ne pourrait s'opérer qu'au détriment des troupes amassées à la frontière de l'Afghanistan pour contrôler les mouvements des islamistes, ils préfèrent à présent jouer aux bons offices pour éviter l'affrontement.