Un papier d'un expert britannique, publié par Ria Novosti il y a deux jours, a sa place dans ce forum. Il explique on ne peut mieux les réelles capacités de ce que Mao appelait jadis "le tigre en carton". Le voici, dans son intégralité :*****************************************************************************
L'OTAN, une alliance de papier20:25 | 27/ 08/ 2008
Par John Laughland, pour RIA Novosti
Alors que la poussière commence à se disperser après le conflit en Ossétie du Sud et qu'au fur et à mesure ce sujet disparaît des gros titres de la presse occidentale, il devient parfaitement évident que la Géorgie n'adhérera jamais à l'OTAN et que le rapport des forces dans le monde a radicalement changé à la suite de cette petite guerre de cinq jours.
Au cours du conflit, de nombreux représentants des médias russes (comme, sur le plan général, la population du pays) n'ont cessé, semble-t-il, de penser aux conséquences de l'évaluation négative de la position de la Russie qui a prédominé dans les médias occidentaux. Effectivement, les médias de toute l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord ont clairement accordé leur préférence à la position géorgienne et leurs commentaires avaient une tendance très antirusse. Il est également évident que cette évaluation négative est le résultat d'une longue période de détérioration des rapports entre la Russie et l'Occident qui a atteint son apogée aussitôt après le conflit en Ossétie du Sud, lorsque Condoleezza Rice s'est rendue à Varsovie pour signer l'accord sur le déploiement du nouveau système américain de défense antimissile sur le territoire de la Pologne.
D'autre part, bien que les réalités politiques soient aujourd'hui, pour beaucoup, créées de toute pièce par la réalité virtuelle de la télévision (ou, au moins, sous l'influence de celle-ci), le fait que les problèmes fondamentaux en politique - en particulier la question de savoir qui a le droit de diriger - soient habituellement réglés par la force apparaît comme un élément inévitable de l'histoire de l'humanité. Dans le cas de l'Ossétie du Sud, les déclarations de l'Occident dirigées contre Moscou (l'hypocrisie occidentale irrite beaucoup les dirigeants russes) font, en fait, office de compensation psychologique du fait que les leaders occidentaux savent, dans leur for intérieur, qu'ils ne peuvent entrer en guerre contre la Russie à cause de la Géorgie et qu'ils ne le feront pas.
La Russie occupe la deuxième place dans le monde pour le degré d'armement, elle est une puissance nucléaire redoutable. En outre, l'Occident mène une guerre prolongée en Irak et en Afghanistan, par conséquent, il a les mains liées. Puisque les pays de l'OTAN ne sont pas prêts à combattre contre l'armée russe à cause d'un petit lopin de terre autour de Tskhinvali dont les Occidentaux ne connaissaient même pas l'existence avant le début des hostilités, la Géorgie ne pourra jamais adhérer à cette alliance, dont les membres sont tenus de lutter pour l'intégrité territoriale de chacun de leurs semblables.
Autrement dit, les promesses faites depuis plus de dix ans à la Géorgie de l'inviter à rejoindre l'OTAN se trouvent maintenant reportées aux calendes grecques (bien que l'Occident ne le reconnaisse pas ouvertement). Bien plus, c'est non seulement l'admission de la Géorgie, mais aussi tout le processus d'élargissement de l'Alliance qui marque un coup d'arrêt. Si la Géorgie n'adhère pas à l'OTAN, l'Ukraine n'y adhérera pas non plus. L'admission de ces deux Etats riverains de la mer Noire à l'Alliance de l'Atlantique Nord faisait partie d'un même plan stratégique qui s'est volatilisé au moment même où les troupes russes sont entrées en Géorgie.
Ce n'est pas par hasard que les frictions au sein du bloc pro-occidental en Ukraine ont entraîné une grande tension aussitôt après le conflit ossète. Le président Viktor Iouchtchenko a accusé sa première ministre Ioulia Timochenko de trahison, celle-ci ayant tenté de s'assurer le soutien de Moscou dans ses ambitions présidentielles. Agissant selon les bonnes vieilles méthodes soviétiques, il a déclaré qu'il mettrait à ses trousses tous ses services secrets. Bien entendu, Ioulia Timochenko rejette ces accusations. Mais une chose est sûre: à l'instar de nombreux Ukrainiens, elle en est arrivée à la conclusion que son grand pays, essentiellement russophone, ne pourra jamais devenir membre d'une alliance militaire dont les missiles nucléaires sont dirigés contre les Russes résidant en Fédération de Russie.
Nous sommes face à un tournant dans l'Histoire. Après le démembrement de l'Union soviétique en 1991, l'Occident n'a cessé d'étendre son influence sur l'ancien territoire de l'URSS. Le Caucase, avec ses pipelines transportant du pétrole de la Caspienne vers l'Occident, a été l'une des principales régions concernées par cette expansion. Les troupes russes se trouvent actuellement à une heure de route d'un de ces pipelines et l'Occident ne peut rien y faire. D'ailleurs, il est fort peu probable que le fameux bouclier antimissile que les dirigeants russes qualifient à juste titre de projet antirusse devienne effectivement opérationnel. A présent que le projet d'expansion de l'OTAN est stoppé - et il n'est pas exclu que ce soit pour toujours - l'objectif de créer un monde unipolaire gravitant autour de la puissance américaine globale essuie un échec.
Tout cela aurait certainement pu être pressenti il y a longtemps, il suffisait d'écouter la célèbre chanson d'un Géorgien: l'OTAN ressemble aujourd'hui au soldat de papier de Boulat Okoudjava:
Il voulait refaire le monde,
Pour que chacun soit heureux,
Mais il ne tenait qu'à un fil,
Car il n'était qu'un soldat de papier.
John Laughland, historien et politologue britannique, est vice-directeur de l'Institut de la démocratie et de la coopération à Paris.