L’UGTA en congrès

Pour tenir son onzième congrès, la centrale syndicale algérienne a pris son pied à l’hôtel Aurassi, dans cet environnement majestueux d’habitude réservé aux hommes d’affaires principalement étrangers accourant à la conquête de marchés dans le pays.

A n’en pas douter, c’eût été à l’honneur de l’Union générale des travailleurs algériens de puiser dans les cotisations de ses adhérents les fonds requis pour le financement de cette réunion, durant trois jours, dans un aussi grand palace de luxe. Les travailleurs, tous syndicats et corporations confondus, auraient même applaudi, à travers ce geste, un acte de grande solidarité et de bienveillance fait à l’endroit de leurs collègues, délégués les plus représentatifs de l'UGTA. Ils se seraient, en même temps, félicités de la dimension à la fois imposante et impressionnante, prise ainsi par la centrale, et surtout sans égale, par rapport même à ses consoeurs des grands pays développés. Tant il est vrai que pas même la C.G.T. , cette puissance organisation française des travailleurs, qui recense à tout le moins plus d'un million d’adhérents, n’a jamais réussi de toute son existence, et en dépit de sa vaste emprise sur le monde du travail, à organiser un congrès hors de ses propres locaux ou des salles publiques aussi nus les uns que les autres et où les congressistes doivent toujours se contenter de simples sandwichs et de casse-croutes qu’ils avalent sur le pouce.

La vérité est autrement plus affligeante, vu que le nombre de syndiqués à l’UGTA n’est jamais tombé aussi bas, notamment sous l’effet des dissolutions sinon des larges privatisations intervenues ces dernières années dans le secteur public. L’audience de ce syndicat se multipliant de plus de manière inversement proportionnelle au nombre de scandales qui secouent ses responsables, il n’est pas exclu que ceux qui se désignent comme congressistes ne soient en fait que de simples travailleurs, représentant leur seule petite personne, glanés ici ou là avec la promesse de les nourrir et de les héberger gratuitement dans un hôtel aussi prestigieux que l’Aurassi.

En réalité, l’Etat seul pourvoit, sur le dos du contribuable, à la couverture complète des frais de ce congrès. Et Sidi Saïd, le secrétaire général de l’UGTA , qui a besoin d’être reconduit à ses fonctions, le lui doit bien, lui qui s’empresse toujours d’aller au-devant des attentes du pouvoir.

Ne pouvant quand même scier la branche sur laquelle il est assis, Sidi Saïd, qui vit sur un grand pied depuis plus d’une dizaine d’années qu’il préside aux destinées non seulement de l’UGTA mais aussi de la Caisse de sécurité sociale grâce à quoi il est rétribué à la manière d’un PDG et dispose de ses mêmes privilèges, n’est pas prêt de cracher sur la soupe. Et pour les congressistes, ce n’est non plus pas trop demander que d’accéder, à leur tour, ne fût-ce que l’espace fugace de trois jours d’un congrès, aux rares privilèges d’ordinaire réservés aux « grands ».

L’Algérie de « la mamelle » est toujours là qui veille aux petits soins de ses dociles enfants.

Tayeb Louh, le ministre algérien du Travail, n'y est pas allé avec des gants. Pour lui, il n'y a et il n'y aura de syndicat représentatif que l'UGTA, la seule organisation capable de prendre part aux négociations salariales pouvant être menées entre les pouvoirs publics et les travailleurs.

Ne comptent donc que pour du pipi de chat les organisations syndicales concurrentes et autonomes qui ont pourtant bien démontré, récemment, leurs véritables capacités de mobilisation à l'occasion des dernières grèves qui ont même sévèrement malmené l'ensemble des rouages de l'Etat.

Décidément, il faut croire que l'Algérie est restée figée dans la décennie soixante-dix où tout était Etat et rien que Etat. Le monde n'a pas tourné depuis. Et le culot que poussent les pouvoirs publics et l'UGTA ne s'arrête pas là, puisque, en choeur, ils clament désormais à l'unisson que le syndicat croupion draine autour de lui quelques 1,7 million d'adhérents, appartenant majoritairement au secteur public.

C'est un chiffre bien évidemment incontrôlable qui n'a de valeur que dans la bouche des dirigeants de l'UGTA ou des dirigeants politiques, davantage soucieux les uns comme les autres de conserver le statu quo plutôt que de s'ouvrir à la nécessaire démocratisation du syndicalisme dans le pays. On aura compris tout le reste.

C'était un vrai scandale cette fin de congrès de l'UGTA. En plus de la présence pesante des ministres du Travail et des Ressources en eau, du président de l'Assemblée nationale et du Premier ministre, Bouteflika est lui-même intervenu, téléphoniquement à partir du Caire, pour imposer, un temps, par l'entremise de son frère Saïd, puis par lui-même, le renvoi au 9 avril prochain de la désignation du secrétaire général adjoint de l'organisation syndicale. Ce poste aura été spécialement créé, semble-t-il, dans la perspective où il faudra peut-être se passer des services de Sidi Saïd, le moment venu, pour soutenir la candidature pour le 3è mandat de Bouteflika, l'année prochaine. Mieux, les cercles officiels ambitionnent de le réserver à un homme de l'ouest du pays, seule garantie de tenir en mains les rouages de l'UGTA, lors des élections présidentielles prochaines.

Salah Djenouhat, étant originaire de Jijel, donc de l'est, il n'est pas question, par conséquent, qu'il occupe ledit poste malgré l'agrément obtenu du congrès, et ce, d'autant plus que l'ombre d'Ouyahia planerait, aura-t-on observé, dans les coulisses, pour soutenir ce personnage.

C'est cela l'Algérie des copains et des coquins. Le régime en place n'a guère l'intention de s'amender, 12 ministres en fonction en sus des présidents de l'APN et du Sénat et du Premier ministre ne suffisant pas à représenter l'ouest aux différents niveaux du sommet de l'Etat, il faut aussi s'attacher le contrôle de l'UGTA, cette organisation croupion qui ne représente, tout compte fait, qu'elle-même, malgré tout le tralala dont on l'entoure occasionnellement.

Il n'est pas surprenant que des Algériens de haut niveau, par ailleurs foncièrement patriotes, éprouvent alors le besoin d'abandonner leur pays à ce ramassis de mafieux, aussi assoiffés de pouvoir et de privilèges indécents que pendables.