Un documentaire, réalisé par Fr 2 dans la série “Cash investigation” attribuée à Élise Lucet, présentatrice du journal de 13 heures, et rediffusé sur TV5 Europe jeudi dernier, révèle à la fois “les stratégies commerciales des multinationales du secteur” et la compromission des hommes politiques en charge précisément de la lutte anti-tabac au niveau de l’U.E..
S’il est enregistré à travers le monde 6 millions de morts annuellement dus au tabagisme, l’Europe en compte 700 000 et la France seule 73 000 contre 22 000 imputables aux drogues lourdes. En d’autres termes, le ravage causé par le tabagisme est nettement plus grave que celui engendré par les drogues dures comme la cocaïne, l’héroïne, etc.
Partis d’un document interne produit en 2012 par Philippe Morris, le grand fabricant américain de cigarettes, vendues notamment sous la marque Marlboro (une étiquette très prisée d’ailleurs en Algérie), les enquêteurs de Fr 2 ont réussi à démonter tous les mécanismes, faussement appelés de marketing, mis en œuvre par cette entreprise, de concert parfois avec ses consœurs, pour obtenir le soutien des hommes les plus influents parfois de l’Union Européenne, grâce auquel la loi elle-même promulguée par cette dernière pour lutter contre le tabagisme dans sa zone s’est révélée quasiment inopérante, pour ne pas dire plutôt favorable aux industriels.
D’un côté, à l’exemple des services de renseignements d’un État opérant dans un autre, le document de Philippe Morris a d’abord fait état d’un fichier ouvert pour les 754 députés composant le parlement de l’U.E., qui sont classés en deux catégories, les verts, d’une part, qui défendent plutôt les fabricants, parce que plus ou moins convaincus de la liberté assurée aux consommateurs de fumer du tabac, sinon favorables à la simple liberté du commerce ; les rouges, d’autre part, qui s’affichent farouchement hostiles à ce commerce. Ces derniers sont donc les plus surveillés dans leur vie quotidienne, afin d’exploiter éventuellement leurs vices et autres défauts personnels, de façon à pouvoir les réduire au silence en cas de besoin, et donc à contrer plus sûrement leurs éventuelles initiatives parlementaires en faveur de la lutte anti-tabac.
En activant les premiers, autrement dit les verts, le fabricant a réussi ainsi à faire voter dix-huit amendements rédigés quasiment par ses propres services dans la loi dite anti-tabac de l’U.E.. Au micro de Fr 2, certains de ces fervents soutiens ont même reconnu, de vive voix à l’exemple de Gaston Franco, avoir copié-collé le texte tel que reçu de Philippe Morris. Jean-Pierre Aury déclare, lui, s’être opposé à la mise en place du paquet dit neutre, en reprenant exactement les termes de l’amendement qui lui avait été soufflé par le fabricant. Une telle disposition, jugée excessive, a d’ailleurs été finalement retirée de la loi, dans le prolongement des résultats positifs constatés par l’Australie qui venait de faire état d’une baisse sensible de la consommation de tabac dès la création du paquet neutre.
Au profit de tous ces représentants des peuples européens, censés pourtant défendre les intérêts des consommateurs au premier abord, Philippe Morris et ses confrères distribuent sans retenue, bien sûr, de juteuses « gratifications », sinon à tout le moins des invitations dans des restaurants chics ou dans des palaces de premier ordre…
D’un autre côté, ces mêmes fabricants, dans leur frénésie d’amener à eux le plus grand nombre possible de nouveaux consommateurs de cigarettes, donc de jeunes, n’ont pas manqué d’innover pour tromper leur clientèle. Ils ont créé, par exemple, la cigarette mentholée, sous forme d’une petite capsule introduite dans le filtre, que le fumeur casse pour déverser dans le tabac le menthol qu’elle contient, lui faisant ainsi ressentir le goût attrayant du menthol qui le pousse, par le processus classique d’addiction, à fumer encore plus. Or, ledit menthol, s’est révélé, à l’analyse, plus toxique encore que le tabac lui-même, en attaquant directement les poumons, ouvrant donc la voie au cancer qui ravage tant le monde des fumeurs. C’est dans un réflexe dit enfin humain que le Parlement européen a fini là par interdire, sur son territoire, l’usage des arômes dans les cigarettes.
Dans un objectif semblable et toujours intéressé, les buralistes, que l’on bourre de temps à autre de cadeaux, sont mis à leur tour à contribution pour manifester bruyamment dans la rue leur hostilité à l’introduction du paquet neutre ou simplement contre de nouvelles taxes anti-tabac.
Le plus navrant est encore ce défilé d’hommes politiques de premier plan, notamment en France, où un Brice Hortefeux, André Santini, Dominique Bussereau ou encore Noel Lenoir, la déontologue, spécialement chargée pourtant de débusquer les conflits d’intérêts, dissimulent mal pour certains leur complicité dans une duperie où les peuples européens seuls paient les conséquences de leurs propres travers. Non moins scandaleux est aussi le licenciement gratuit de John Dalli, l’ex commissaire européen chargé de la Santé, sur simple décision de Barroso, l’ancien président de la Commission européenne. Piégé apparemment par ce dernier, mais aussi par le responsable de l’OLAF, office de lutte contre le tabagisme, Jovanny Kessler, Dalli, comme l’a confirmé oralement José Bové, député écologiste, aurait été accusé à tort d’avoir partie liée avec le lobby du tabac. Interrogé personnellement par Élise Lucet sur ce point précis, Barroso s’est carrément refusé de répondre aux accusations selon lesquelles des millions d’euros versés par son entremise à l’U.E. auraient été dispatchés entre 10 pays européens, la France elle-même en ayant perçu 90 millions chaque année que l’on aurait répartis entre les Douanes, les écoles, etc. L’ancien ministre Dominique Bussereau aurait lui-même signé, du côté français, l’accord intervenu en 2004, entre les fabricants de cigarettes et l’U.E., en vertu duquel, ces étranges financements perdureront sous réserve que l’U.E. préserve le statu quo existant, et laisse particulièrement en sommeil le dispositif actuel de lutte anti-tabac, sans quoi les fabricants se verraient contractuellement en droit de réclamer le remboursement des sommes versées. Autrement dit, loin donc d’œuvrer au profit de leurs peuples respectifs, les députés européens se sont vraiment entendus pour défendre les intérêts des fabricants de tabac.
Poussant d’ailleurs le bouchon tellement loin, le chef de file et même le plus influent de ceux-ci, Philippe Morris se permet d’écrire, dans une étude à l’adresse des fumeurs : « En mourant plus tôt, après avoir de préférence payé le plus possible d’impôts, vous rendez vraiment service à votre pays, qui fera ainsi l’économie d’une longue retraite ou de soins extrêmement coûteux pour le contribuable.» Malthus, l’économiste anglais (1766-1834), le plus extrémiste de la mouvance de droite, n’aurait pas mieux écrit…