Le Point.fr - Publié le 10/12/2010
Par Anne Jeanblanc
Les liens entre tabagisme et dépression sont bien réels. Mais ceux qui réussissent finalement à arrêter de fumer sont plus heureux.
Il n'y a pas (ou guère) de fumeurs heureux. En tout cas, toutes les études scientifiques établissent des liens entre l'addiction à l'herbe à Nicot et la fréquence des épisodes dépressifs. Deux publications récentes soulignent à la fois que la dépression réduit les chances de sevrage et que le fait d'avoir réussi à abandonner la cigarette procure un vrai bonheur. Explications du professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et président de l'Office français de prévention du tabagisme.
Le Point.fr : Les liens entre tabagisme et dépression sont-ils avérés ?
Professeur Dautzenberg : Oui. Il est désormais prouvé qu'être fumeur multiplie par trois le risque de souffrir de dépression ou de tenter de se suicider et que le fait d'être dépressif triple les "chances" de devenir dépendant au tabac. Il s'agit donc d'un terrible cercle vicieux. Il est impossible de dire si c'est la poule qui fait l'oeuf ou l'oeuf qui fait la poule, ici, ce serait les deux.
D'ailleurs, des travaux démontrent de façon assez claire que, à moral égal, les jeunes qui ont commencé à fumer au moment de l'adolescence deviennent plus souvent déprimés que ceux qui n'ont jamais cédé à cette tentation. Le tabagisme est donc un facteur de dépression. Mais, quand on se sent déprimé, on a envie d'allumer une cigarette. L'effet est bien à double sens.
Est-il beaucoup plus difficile d'arrêter de fumer quand on est déprimé ?
Oui, un fumeur dépressif a effectivement plus de mal qu'un autre à se passer de tabac. Et quand il cesse sa consommation, cela peut entraîner un déséquilibre de ses troubles psychologiques. Par ailleurs, un ancien dépressif a un risque augmenté de replonger, même longtemps après, quand il abandonne le tabac. Car l'état normal d'un fumeur après sa cigarette est identique à celui d'un non-fumeur. Sauf que la personne dépendante est en état de manque - et donc se sent très mal - si elle n'a pas accès à sa drogue.
Ce constat existe quels que soient les traitements d'aide au sevrage proposés. Une étude publiée l'an dernier dans le British Medical Journal montre qu'il n'y a finalement pas de différence significative dans le taux de dépression entre les personnes qui ont été aidées par des substituts nicotiniques et celles qui se sont vu prescrire les médicaments destinés à aider à soulager les symptômes de manque et à permettre de réduire les effets de plaisir liés au tabagisme.
Au final, la victoire sur le tabagisme rend-elle heureux ?
Un article paru dans le dernier Lancet mesure le bonheur général, en dehors de la maladie et des troubles dépressifs. Il montre que tous les gens qui arrêtent de fumer ont nettement plus la pêche que les autres. Leur humeur est meilleure. En pratique, c'est un grand bonheur pour un fumeur de se libérer de la cigarette. Il y gagne en bien-être. Et même les dépressifs se sentent beaucoup mieux. Mais il ne faut pas oublier que les choses s'aggravent chez ceux qui n'y arrivent pas. Pour ces personnes, l'échec est alors souvent difficile à supporter.
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